La justification par le poids des circonstances extérieures est souvent avancée par un individu lorsqu'il lui est reproché de ne pas avoir agi comme il l'aurait dû : c'est "l'occasion, l'herbe tendre, quelque diable aussi me poussant" qu'évoque La Fontaine... Mais peut-on accepter de telles explications, sinon excuses ? Si j'admets qu'une détermination agit sur moi, quelle idée ai-je de moi-même? Et cette idée correspond-elle à ce que je suis par définition ?
I. Passivité et activité
Hegel rappelle tout d'abord la fréquence de l'attitude incriminée : "on dit volontiers" : il y a là une sorte de solution qui apparaît comme étant de facilité (on peut faire un sort au pronom neutre en rappelant sa signification pour Heidegger).
Aspect paradoxal de la formule : "mon vouloir a été déterminé", qui souligne que le vouloir, en l'occurrence, ne veut plus rien . Dans ce cas, il y a bien passivité. Et celle-ci s'effectue relativement à l'extérieur (mobiles, circonstances) et à des déterminations plus subjectives (excitations, impulsions).
En amont des déterminations présentées comme passivement subies, Hegel décèle une première intervention du vouloir, dans l'acquiescement aux circonstances reconnues comme déterminantes. C'est donc le vouloir qui décide initialement de la signification des circonstances et du rôle qu'elles pourront avoir sur mon comportement.
II. Causalité et réflexion
Lorsque j'affirme que ma conduite résulte de circonstances, je fais un mauvais usage de la relation de causalité. En effet
1) la causalité implique l'idée d'une nécessité complète (il n'y a pas d'exception à la loi, rien ne peut empêcher la conséquence d'apparaître) ;
2) au contraire, "la réflexion" est toujours capable de "dépasser" la détermination dont je prétends qu'elle s'applique sur mon comportement.
On rencontre ici un point fondamental : la pensée d'un sujet est par nature supérieure à tous les événements (aussi bien externes qu'internes), parce qu'elle est mise à distance, et diffère l'efficacité des choses. Cette réflexion est l'indice de l'homme comme essence libre, c'est-à-dire comme doté d'une liberté essentielle par rapport à tout donné immédiat (en particulier de la nature).
III. Négation et affirmation de la liberté
Se protéger d'une accusation en faisant référence aux circonstances, c'est d'abord rejeter sa responsabilité. Mais du même coup, c'est nier son essence libre et se mettre au même rang que les phénomènes naturels qui, eux sont bien déterminés par la causalité de la sorte, je trahis l'essence de l'homme en moi (rappel; Hegel affirme semblablement qu'un artiste qui renoncerait à créer librement pour imiter servilement un modèle naturel renonce à la liberté fondamentale de l'esprit).
II y a là une sorte de "mauvaise foi" sartrienne : je renonce à ma liberté quand cela m'arrange (momentanément), alors qu'en fait c'est toujours mon vouloir qui a choisi d'attribuer une signification déterminante aux circonstances. C'est ainsi parce que l'homme commence par attribuer un pouvoir aux circonstances qu'il peut ensuite faire allusion à ce même pouvoir pour justifier ses actes.
Conclusion
L'analyse de Hegel (dont les conséquences morales sont évidemment capitales : revendication nécessaire d'une responsabilité totale sur ce que je fais) transpose un point de vue kantien (différence entre l'empirique et le rationnel dans l'homme) en termes d'essence, et souligne ainsi l'importance de la liberté de l'esprit relativement à tout phénomène.