Hegel, Esthétique: Consience de soi-même

Dissertation entièrement rédigée en trois parties. Note obtenue : 13/20.

Dernière mise à jour : 14/10/2023 • Proposé par: valentinl (élève)

Texte étudié

Cette consience de lui-même, l'homme l'acquiert de deux manières : théoriquement, en prenant conscience de ce qu'il est intérieurement, de tous les mouvements de son âme, de toutes les nuances de ses sentiments, en cherchant à se représenter à lui-même, tel qu'il se découvre par la pensée, et à se reconnaître dans cette représentation qu'il offre à ses propres yeux. Mais l'homme est également engagé dans des rapports pratiques avec le monde extérieur, et de ces rapports naît également le besoin de transformer ce monde, comme lui-même, dans la mesure où il en fait partie, en lui imprimant son cachet personnel. Et il le fait, pour encore se reconnaître lui-même dans la forme des choses, pour jouir de lui-même comme d'une réalité extérieure. On saisit déjà cette tendance dans les premières impulsions de l'enfant : il veut voir des choses dont il soit lui-même l'auteur, et s'il lance des pierres dans l'eau, c'est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son oeuvre dans laquelle il retrouve comme un reflet de lui-même. Ceci s'observe dans de multiples occasions et sous les formes les plus diverses, jusqu'à cette sorte de reproduction de soi-même qu'est une oeuvre d'art.

Hegel, Esthétique (traduction Jankélévitch)

Hegel, dans ce texte, aborde le thème de la conscience de soi, et aussi de la connaissance de soi. Il tente de répondre à la question : « Comment l’homme acquiert-il la conscience de lui-même ? ». Le philosophe propose sa thèse : il affirme que l’homme prend conscience de lui-même de deux manières. Il prend tout d’abord conscience de son intérieur, de son âme, mais il prend conscience de lui-même aussi grâce à ses rapports avec le monde extérieur. Pour démontrer sa thèse, Hegel utilise un mode de raisonnement déductif. Il propose d’abord sa thèse, puis dans un premier temps, explique la prise de conscience de notre intérieur, et enfin dans un second temps, le rapport que l’homme a avec le monde extérieur.

I. La prise de conscience de notre intérieur

Après avoir émis l’hypothèse que l’homme acquiert la conscience, c’est à dire la perception chez lui de sa propre existence de deux manières, Hegel développe son premier argument : la première manière dont il prend conscience de lui-même, en « prenant conscience de ce qu’il est intérieurement ». Mais pour lui, cet argument est théorique par opposition à la pratique. Il explique cet argument dans les lignes qui suivent. Pour lui, cette prise de conscience intérieure est une prise de conscience de « tous les mouvements de son âme », c'est-à-dire que l’homme se rend compte de toutes les transformations que subit son âme, de tous ses changements d’opinion, de toute l’évolution de son caractère. Ces évolutions montrent bien que son âme existe. Hegel considère aussi les « nuances des sentiments » de l’homme. Ce qui signifie que les sentiments d’un homme ne sont pas figés, ils varient, ils évoluent. Cette évolution est donc le fruit d’une âme vivante. La perception qu’un homme a de son âme vivante l’aide bien sûr à prendre conscience de celle-ci. L’homme « se découvre [ainsi] par la pensée ».

Hegel touche ici à la connaissance de soi. Se « découvrir par la pensée », c’est commencer à se connaître intérieurement, ce qui est différent de prendre conscience de soi intérieurement. Néanmoins, découvrir et connaître son âme aide à prendre conscience de celle-ci (et uniquement de celle-ci, pas du corps). Ainsi, en se découvrant, l’homme apprend à se connaître intérieurement, il peut donc « se reconnaître dans cette représentation qu’il offre à ses propres yeux ». C’est de cette manière, en apprenant à se connaître intérieurement et à se connaître que l’homme découvre et prend conscience qu’il est individu unique, car il se fait une représentation de lui-même différente de celle des autres. Donc dans ce premier argument, Hegel démontre que l’homme, en analysant son âme, et donc ses pensées, apprend à se connaître, se découvrir, ce qui lui permet de se faire une représentation de lui-même, et donc de prendre conscience de lui-même, ou en tout cas de prendre conscience de son âme (distincte du corps).

II. Le rapport que l’homme a avec le monde extérieur

Après avoir démontré comment l’homme prenait conscience de son âme, de ce qu’il est intérieurement, Hegel propose un second argument. D’après lui, « l’homme est (…) engagé dans ses rapports pratiques avec le monde extérieur ». Il veut donc dire que ce sont les interactions que l’homme et le monde ont, et surtout les conséquences des actes que l’homme a sur le monde qui permettent à celui-ci de prendre conscience de lui-même. C’est bien parce que le monde extérieur réagit à un acte de l’homme que celui-ci existe. L’homme faisant partie de ce monde, il souhaite en fait « imprim[er] son cachet personnel ». C'est-à-dire que l’homme veut laisser une trace de soi, comme pour se prouver à lui-même qu’il est bien là et que ses actes ont bien des conséquences sur le monde qui l’entoure.

Ainsi, lorsque l’homme observe « une réalité extérieure » qui est le fruit d’un de ses actes, l’homme peut « jouir de lui-même ». Il se rend en fait compte qu’il est bel et bien existant, et que le monde réagit à sa présence. C’est évidemment une preuve que les interactions avec le monde extérieur sont une aide à la prise de conscience de soi. Hegel illustre son propos par un exemple. En effet, lorsqu’un enfant jette une pierre dans l’eau, il voit des cercles qui se dessinent sur l’eau. Or c’est pendant la petite enfance que l’homme prend conscience de lui-même. Dans les ronds qui se forment sur l’eau, l’enfant voit dans cette œuvre comme un « reflet de lui-même ». L’enfant prend conscience qu’il est bien «l’auteur de réalités extérieures ». C’est bien une prise de conscience, une prise de conscience de soi. Hegel élargit son exemple de rapport avec le monde de l’homme. Il précise que ces interactions avec le monde ne se retrouvent pas que chez les enfants, mais à de « multiples occasions »,  « sous les formes les plus diverses ». Il conclut avec l’exemple de l’artiste, qui essaye de se « reprod[uire] soi-même » grâce à l’« œuvre d’art ». En effet, faire une œuvre d’art est bien une interaction avec le monde extérieur, et l’artiste essaye bien parfois de reproduire l’image qu’il a de lui-même.

III. Ces deux manières sont-elles indispensables ?



Hegel considère donc qu’il y a deux manières complémentaires pour un homme de prendre conscience de lui-même. Ces deux manières sont-elles indispensables ? Est-ce que la connaissance de ce qu’un homme est intérieurement entraîne systématiquement la conscience de soi ?

Dans son premier paragraphe, Hegel explique que découvrir son intérieur, donc son âme, permet la prise de conscience de soi. Cette façon de prendre conscience de soi implique donc une réflexion, elle n’est pas automatique, bien que comme le disait Descartes, « l’âme est plus difficile à connaître que le corps ». D’après le philosophe, il y a donc forcément prise de conscience s’il y a connaissance. En effet, comment, si l’on se connaît, ne pas savoir que l’on est. Si l’on se connaît et que l’on mène une réflexion sur notre âme, on pense et on s’analyse en tant que sujet. Or pour analyser un sujet, il faut bien être conscient de celui-ci. L’analyse de notre intérieur suppose que nous soyons conscients de nous-mêmes. Par conséquent, ce ne serait peut-être même pas l’analyse de notre âme qui serait responsable de la prise de conscience, puisque dès l’instant où nous l’analysons, nous sommes conscients de notre existence. Nous sommes donc bien conscients de nous-mêmes lorsque nous prenons conscience de notre intérieur, mais lorsque nous prenons connaissance de notre intérieur, nous sommes déjà conscients de celui-ci depuis un moment. Plus loin dans le texte, Hegel fait référence aux premières impulsions de l’enfant, qui lui fait prendre conscience de son être. D’après Kant, l’homme est dans sa petite enfance dans l’animalité, ce qui signifie qu’il n’est pas encore conscient de lui-même. Ce serait donc des « impulsions » animales, donc instinctives et non réfléchies qui permettraient à l’enfant de sortir de cette animalité. Par conséquent, cette manière de prendre conscience de soi serait automatique, spontanée, par opposition à la première manière de devenir conscient : la réflexion (non automatique). On déduit donc que l’une des manières avancées par Hegel pour devenir conscient de soi est automatique.

Néanmoins, lorsque la conscience de soi est acquise, elle l’est définitivement. Or on a vu précédemment que l’enfant prenait conscience de soi grâce à des impulsions animales automatiques. Cela signifie donc que l’homme prend conscience de soi dès la petite enfance. En revanche, l’homme ne peut se permettre de mener une réflexion sur son intérieur durant sa petite enfance. Cela signifie donc que lorsque l’homme mène ses premières réflexions, plus tard, il est déjà conscient de lui-même. La prise de conscience de ce qu’il est intérieurement a-t-elle donc, dans ce cas, une quelconque utilité dans la prise de conscience que l’homme a de lui-même ? Il n’y aurait donc qu’une seule façon d’être conscient de soi-même, et c’est la deuxième façon dont parle Hegel dans ce texte. A la fin de son texte, Hegel considère que l’on peut observer « dans de multiples occasions et sous les formes les plus diverses » des rapports pratiques de l’homme avec le monde extérieur qui lui permettrait de prendre conscience de lui-même. Or comme dans la prise de conscience de soi est définitive et se fait durant la petite enfance, tous les autres rapports pratiques de l’homme avec le monde plus tard ne serviraient plus à aider l’homme à acquérir la conscience de soi, mais seulement à le rassurer quant à son existence. Peut-être que celui-ci craint de ne plus être ; et voir que ses actes ont des conséquences lui rappelle qu’il est toujours.

Conclusion

Pour conclure, Hegel pense qu’il y a deux moyens d’acquérir une conscience de soi : la prise de conscience de son âme et les rapports qu’il entretient avec l’extérieur. Ce texte permet, notamment dans sa deuxième partie, d’expliquer comment les « premières impulsions » de l’enfant aident celui-ci à être conscient de lui-même, et d’expliquer de quelle manière nous devenons conscients de notre âme, tout du moins en partie. En revanche, nous avons vu que plus tard, l’homme entretenait des rapports avec le monde extérieur probablement pour se rassurer qu’il existe. Mais pour cela, il lui suffit de penser. Car comme le disait Descartes, si l’on pense, c’est que l’on est.