Désirer est-ce nécessairement souffrir ?

Fait par l'élève. Note obtenue : 15/20

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: isolde1310 (élève)

Le mot « désir », du latin de, « absence de », et sidus, « astre, étoile », se définit comme un manque à combler. Nous sommes donc esclave de notre âme entêtée à désirer. Si la quête de l'objet du désir ne se réalise pas et que l'on reste constamment dans le manque, alors le désir est néfaste à notre bonheur.
La réflexion philosophique se porte donc sur cette question : Est-il possible de désirer sans souffrir ? Si oui, dans quelles conditions ?
Pour y répondre, nous nous intéresserons à l'origine du désir jusqu'à sa fin. Pour cela, nous verrons tout d'abord que chercher à combler un manque est synonyme de souffrance. Cependant, nous prouverons ensuite que désirer modérément peut procurer du plaisir, s'opposant donc à la souffrance. Enfin, nous expliquerons que le désir est aussi une forme de volonté qui nous permet d'exister.

Tout d'abord, il est important de distinguer le désir et le besoin. Le besoin est une nécessité vitale tandis que le désir ne l'est pas. Socrate, lors du Banquet de Platon, relate l'histoire d'Eros, un demi-dieu. Il explique qu’Éros ressent le manque de ne pas être un dieu comme son père, de ne pas être parfait. Il désire être comme lui. Pour Socrate le désir est donc manque. Platon le définit aussi de la sorte en racontant le mythe d'Aristophane, récit de l'origine de l'amour. Aristophane, toujours durant ce fameux Banquet, se lève et explique, qu'à une certaine époque, des créatures mythologiques composées de deux têtes et quatre membres et réunissaient des couples féminins, masculins et féminins/masculins. Une fois avoir défié les dieux orgueilleusement, Zeus les punis en les coupant en deux. Les deux corps jumeaux sont donc dans une quête désespérée de l'un et de l'autre. Chacun éprouve donc un manque constant en désirant sa moitié.
Or, si le désir est un manque essentiellement, l'obtention d'un objet attendu n'est plus manque et n'est donc plus désir. Le désir est donc impossible à assouvir comme l'illustre Platon en le comparant au tonneau des Danaïdes : des femmes condamnée à remplir des tonneaux trouées. Le désir se vide pour toujours retomber dans un autre désir. Schopenhauer dira aussi que « la vie oscille comme un pendule de la souffrance à l'ennui », ainsi désirer est souffrir et obtenir l'objet désiré est lassitude et ennui jusqu'à désirer à nouveau. Nous sommes donc, tel un Don Juan cherchant une proie nouvelle, dans un cercle vicieux qui nous voue à la souffrance systématiquement. Les stoïciens, effrayés par cet engouement du désir infini préfère même couper tout désir. Selon eux, la béatitude doit passer par une restriction des désirs qui sont forcément dangereux. Épictète, un des stoïciens les plus connus, dit : « Ne désire pas que les choses arrivent tel que le désires mais qu'elles arrivent telles qu'elles arrivent et tu seras heureux. ». Ainsi, nous devons apprendre à ne désirer que ce qui dépends de nous et accepter comme il est ce que qui ne dépends pas de nous sans tenter de changer le cours du destin.
Nous avons donc vu que le désir est synonyme d'attente, de manque. Ainsi, désir n'est-il pas que déception, non satisfaction et cause de souffrances ? Ceci est-il valable pour tous les désirs, et faut-il renoncer à certains ?

Pour Platon, le désir ne doit pas être tourné vers le corps pour ne pas devenir esclave de nos désirs, il faut dire non aux pulsions du corps. Le seul désir acceptable est celui de la vérité, de l’élévation. On devient esclave de nos désirs, notre ennemi est donc corps que notre esprit doit surpasser. Platon reprends ainsi le mythe du Char Ailé qui compare l’âme à un attelage ailé : le cocher est la raison, le cheval blanc représente le cœur et aspire au ciel tandis que le cheval noir est attiré par la terre. Ce dernier représente la partie désirante de l’âme. Ainsi, toute âme désirante ne peut atteindre le monde éternel transcendantal, et elle retombe forcément dans le monde sensible car ses ailes ne sont pas assez fortes. Le désir pour Platon doit donc être exclusivement un désir de vérité pour s’élever.
Épicure, qualifié de « pourceau d’Épicure », c'est à dire un homme plongé dans la jouissance des sens, fut mal compris dans sa philosophie. En effet, sa philosophie eudémoniste et édeniste, cherche à modéré les plaisirs. Il faut donc faire une sélection de ses désirs et donc avoir connaissance de ceux-ci. Pour Épicure, être en ataraxie et en aponie, il faut se contenter des désirs naturels et nécessaires. Les désirs naturels et non-nécessaires comme les bons mets, les plaisirs sexuels, etc… sont à prendre avec parcimonie. Il faut faire une réelle diététique de ces désirs, sans les rejeter mais en les modérant. Il faut « cueillir le jour » mais ne pas l'arracher. Enfin, les désirs non-naturels et non-nécessaires, soit les désirs de gloire et de richesse, sont à éradiquer totalement. Céder à ces désirs c'est ne rien gagner en bonheur et tout risquer à perdre. « Pour vivre heureux, vivons cachés. » dira-t-il. La philosophie d’Épicure est donc une forme d’ascétisme : il réussit à se détacher de ses passions, de ses désirs, il ne garde que les bons objets de désirs en écoutant sa vertu.
Cependant on peut s'interroger sur la frustration subie par cette restriction de la satisfaction de nos désirs. Est-on alors réellement vivant finalement ?


L’Homme se différencie des animaux de par ses désirs. Pour Spinoza, le désir naît du phénomène mimétique : on veut quelque chose parce qu’on le voit sur quelqu’un. Un objet est désirable que si les autres désirent aussi. Ce qui déclenche le désir n’est donc pas l’objet du désir mais le véritable moteur du désir est autrui. René Girard parlera de relation triangulaire : ce n’est pas seulement une relation de sujet à objet mais entre sujet, objet et autrui. C’est donc ici un désir « suggéré ». Ainsi, le désir permet à l’homme de s’affirmer, d’ek-sistere : d’exister. Il est le moteur de l’action humaine, l’essence même de l’Homme. Le désir pousse l’Homme à dévoiler sa puissance, c’est le conatus. Grâce au désir, l’Homme est toujours en quête de perfection, de sublimation comme l’est Eros. De plus, ce désir permet de se connaître et d’être reconnu.
On peut d’ailleurs faire un lien avec Freud, pour qui la connaissance de soi passe par la connaissance de ses désirs refoulés dans le Ca. Il faut donc prendre conscience de son déterminisme. Une fois avoir pris conscience de ses désirs inconscients, il est évident que l’on peut tendre vers des désirs qui nous rendront heureux. De plus, une fois les désirs et leurs origines connus nous ne soufrerons plus de ceux-là. Par exemple un homme a un penchant pour les filles qui louchent. Or, un jour il se remémore d’où cela vient, c’est-à-dire d’un amour de jeunesse, il ne désire alors plus les filles qui louchent. En ayant pris conscience de son désir il devient libre de le refuser consciemment. Ainsi, Freud pense qu’il ne faut pas réprimer les désirs puisque cela mène à des névroses et psychoses mais il faut simplement les connaître afin d’être libre de désirer sans souffrance.

Pour conclure, le désir peut faire souffrir. Cependant, désirer sans souffrir l’est aussi. Et il est même important de désirer pour ne pas rester dans la passivité et l’ennui, pour ne pas devenir un mort-vivant. De plus, désirer nous permet de se libérer de ses déterminismes et donc d’être libre de ses actions. Même si la réalisation d’un désir n’est pas toujours certaine et qu’un désir présente un risque d’espérance interminable et de souffrance, nous devons le surmonter afin de se sublimer et de s’engager dans sa propre quête du bonheur. La vie est une symphonie à créer et le désir nous pousse à écrire notre propre œuvre jusqu’à ce que la signature de la mort s’y inscrive.
Nous pensons dès alors à un nouveau débat : Est-il possible de ne pas désirer dans la société de consommation actuelle ? Mais cela est autre sujet !