Une oeuvre d'art a-t-elle quelque chose à nous apprendre ?

Le plan proposé est constitué de 3 parties. Copie entièrement rédigée d'un élève de Terminale S, après correction et prise en compte des remarques du professeur. Note obtenue : 17/20.

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: Kogun (élève)

"Tout art s’adresse d’abord aux sens plutôt qu’à l’esprit", a écrit Francis Carco, dans son ouvrage L’Ami des peintres. Il sous-entend par là qu’une œuvre d’art touche aux sensations : elle provoque des émotions, à travers nos sens, notamment l’ouïe, à travers la musique, ou la vue, à travers peinture, photographie, architecture. Certain arts font appel à plusieurs sens à la fois, notamment le cinéma, ouïe et vue, ou sculpture, vue et toucher. Tous les arts touchent à nos sens émotionnels en plus de nos sens biologiques: une œuvre peut nous faire rire, pleurer, avoir peur, ou nous donner envie de liberté. Il s’agit ici de pure sensation. Le but premier de l’art est de déclencher ces réactions. Pourtant, s’il n’était qu’un vecteur d’émotions, serait-il enseigné par l’éducation nationale, notamment dans des cours comme l’Histoire des Arts, ou le Français, ou l’art plastique, la musique ? On note dans la citation de Carco l’emploi du mot « d’abord ». Ainsi, si l’art touche dans un premier temps aux émotions, ne serait-ce pas pour mieux nous transmettre un message ?

Une œuvre d’art ne semble pas avoir à nous apprendre quoi que ce soit. Ce n’est du moins pas son but premier. Par définition, l’art consiste en une transformation de quelque chose, naturel ou artificiel, dans un but purement esthétique. Pas forcément la recherche de la beauté : cela va plus loin. Une œuvre d’art éveille en chacun un plaisir contemplatif : sa vue provoque des sensations, souvent agréables. De son temps, Platon a lancé un débat sur l’art et l’imitation : pour le philosophe grec, la peinture et la poésie ne peuvent compter comme de vrais arts, dans la mesure où ils ne se contentent bien souvent que de reproduire une scène, un paysage. Des siècles plus tard, Hegel, dans son Esthétique, contredit cette pensée, en stipulant clairement que l’imitation en art, en plus d’être inutile, est totalement vaine : d’une part, représenter ce qu’on a sous les yeux à longueur de temps ne présente que peu d’intérêt. A quoi bon se fatiguer à refaire ce qui existe déjà ? Qu’est-ce qui différencie l’artiste de l’artisan lorsque le premier reproduit le second ? D’autre part, représenter le réel dans toute sa complexité est proprement impossible. La peinture ne donne qu’une image plane, usant d’artifices comme la perspective pour donner l’illusion de la profondeur. De plus le peintre ne peut représenter ni les odeurs, ni les sensations de toucher d’une scène réelle. Peu importe l’art en question, qu’il s’agisse de peinture, de poésie, de sculpture, d’architecture, de cinéma et j’en passe, il ne peut donner une représentation fidèle du monde. Hegel précise qu’il vaut donc mieux parler, plutôt que d’imitation, de traduction : traduction d’une émotion, d’une scène, d’un paysage, d’une histoire, selon les moyens mis à disposition. L’œuvre d’art est capable d’attirer l’observateur dans un monde à part, un monde différent : le monde créé par l’œuvre elle-même, qui, s’il est inspiré du monde réel, n’en est pas moins quelque chose de différent. C’est une expérience nouvelle. Ce nouveau monde permet au spectateur d’échapper, le temps d’un regard, à la vie quotidienne : l’art agit comme une porte ouverte, une échappatoire à la réalité : il ouvre à l’observateur des chemins vers d’autres Univers, qui peuvent laisser rêveur, ou songeur. En tout cas, qui présentent un attrait certain.
Une autre sensation qu’une œuvre d’art est capable de provoquer chez un observateur est le désir, en particulier dans le cas des œuvres d’art qu’on pourrait qualifier de belles : la beauté aiguise l’envie. Ce n’est pas une coïncidence si les femmes et les hommes les plus convoités de la planète sont top models. Il ne s’agit là que d’une émotion ressentie, et aucunement de transmission de savoir, sous quelque forme que ce soit. La publicité a bien compris ce concept et l’exploite largement : aujourd’hui, l’apparence d’un objet technique est un critère de choix non négligeable. Il faut que le design soit beau, et que cet objet soit entouré de beau – à travers la publicité – pour pousser le consommateur potentiel à désirer cet objet. Théophile Gautier, dans son ouvrage Portraits et souvenirs littéraires précise que « en littérature, les œuvres ne sont rien sans la grâce ». Il rend compte ici à quel point la beauté est un élément important d’une œuvre d’art. C’en est même, selon lui, le fondement, car s’il n’y a pas de beauté, l’œuvre n’est « rien ».
Schopenhauer, dans son essai Le monde comme volonté et comme représentation, écrit que l’art est la « contemplation des choses, indépendamment du principe de raison. » L’opposition entre art et science est ici évidente, la science se basant sur la raison et la logique. L’art est étranger à ces concepts : il se base sur l’émotion, et le symbolisme. Si l’art à quelque chose à nous apprendre, ce ne serait donc pas quelque chose de raisonnable, de démontrable. Ce serait un apprentissage basé non pas sur une réflexion, mais sur des émotions. « Il s’oppose ainsi au mode de connaissance qui conduit à l’expérience et à la science » ajoute le philosophe.
Mais la beauté ne fait pas tout : nombre d’œuvres ne sont pas créées dans le but d’être belles, et pourtant, elles peuvent provoquer des sentiments, des sensations. Un artiste cherche à exprimer une vérité universelle, compréhensible par tous, pour que tout le monde soit touché par cette œuvre. C’est la réunion du particulier et de l’universelle qu’Hegel aborde dans l’Esthétique : l’artiste, à travers son expérience personnelle, son vécu, ses ressentis et ses émotions, va tenter d’exprimer, au travers de son œuvre, une vérité qu’il juge indéniable. Le spectateur comprendra l’œuvre, et sera touchée par elle, car elle correspond à quelque chose qu’il connaît et reconnaît. C’est une théorie que développe aussi Bergson, dans La Pensée et le mouvant : « A quoi vise l'art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l'esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d'âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n'observions pas en nous, jusqu'à un certain point, ce qu'ils nous disent d'autrui. »
Au 19ème siècle s’est développé un mouvement littéraire, le Parnasse, avec comme chef de file Théophile Gautier. Le but du mouvement était tout simplement de créer du beau, de faire de l’art pour faire de l’art, et non pas pour faire passer un message. Gautier écrit à ce propos : « des mots rayonnants, des mots de lumières, avec un rythme et une musique, voilà ce qu’est la poésie ». Il prend ici la poésie comme exemple, mais le principe est le même pour tous les arts : un artiste n’a pas à essayer de transmettre un message, un savoir, d’une quelconque manière, dans une de ses œuvres. Il doit juste essayer de rendre son œuvre belle, autant que faire se peut. Cela rejoint la théorie de Kant, selon laquelle l’art est une « finalité sans fin », à savoir que l’art n’a aucun but, sinon lui-même.

Nous avons donc vu que le but de beaucoup d’œuvres d’art n’est pas de nous apprendre quelque chose. Pourtant, il est évident que, de beaucoup d’autres œuvres, on peut tirer une connaissance. Les plus évidentes sont bien sûr les œuvres dites engagées, dont le but est la transmission d’un message. Elles servent de vecteur à une information. Les exemples sont on ne peut plus nombreux, et dans quasiment tous les domaines artistiques. Le message n’est pas forcément indiqué au premier degré : il peut être camouflé derrière une histoire, une image. Mais il n’en reste pas moins présent. On peut citer une bonne partie des œuvres de Molière, comme l’Avare, Dom Juan ou encore L’Ecole des Femmes, qui constituent une critique des mœurs de l’époque ; on peut aussi parler des films de Charlie Chaplin, comme Le Dictateur, une dénonciation des totalitarismes, ou de nombre de films plus récents, Apocalypse Now, Las Vegas Parano ou La Ligne Verte ; en peinture, là encore, on peut nommer Goya et ses Fusillés du 3 mai, qui nous montre l’horreur de la guerre pour nous en dégoûter. Qu’en est-il de la poésie engagée, avec Hugo, Desnos, Prévert ou Vian ? Des essais avec les philosophes des Lumières, comme Voltaire, Rousseau, ou même de plus vieux, comme Montaigne, ou même Aristote ? De la sculpture, avec la Non-Violence, de Carl Frederik Reuterswär ? Des romans, avec le 1984 d’Orwell ou le Farenheit 451 de Bradbury ? A chaque art ses auteurs et ses œuvres qui nous laissent un message, qui nous en apprennent aussi bien sur les opinions politiques de l’auteur, que sur des réalités du monde (nous parlions à l’instant de Goya et de sa peinture de la guerre). Certaines œuvres d’art ont donc bien évidemment quelque chose à nous apprendre, et le message, s’il n’est pas forcément explicite, est tout de même laissé volontairement par son auteur.
L’art peut essayer d’expliquer le monde : l’enseignement qu’on peut alors en tirer est évident. On peut reprendre la théorie d’Hegel, développée précédemment : l’art agirait comme un traducteur. Camus, dans Le Mythe de Sisyphe, écrit que « Si le monde était clair, l’art ne serait pas ». L’art est un traducteur du monde qui nous entoure. Il nous permet de mieux le comprendre, de mieux l’appréhender, pour s’insérer dedans. Rappelons que Camus était un philosophe de l’absurde : pour lui, la vie, le monde mais surtout leur rencontre sont absurdes. La vie conduit indubitablement à la mort. Le monde est ainsi « peuplé d’irrationnels », qui font que l’intelligence même semblerait incapable de le comprendre et encore moins l’expliquer. L’art apparaît alors comme un moyen dérivé, détourné de comprendre ce monde, et qui sait, peut-être de pouvoir l’expliquer. Auguste Rodin rejoint Camus quant à sa vision de l’art. Il dit « L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre ». Cette traduction du monde se fait à travers les émotions. Nous avons en effet vu que le but premier d’une œuvre d’art est la transmission d’émotions. Mais rien n’empêche que, à travers ces émotions, on puisse apprendre quelque chose. Le seul problème est celui soulevé par la réflexion Schopenhauer, à savoir que cet apprentissage n’est pas fait selon les règles de la raison, et qu’il n’est donc pas démontré. Problème auquel répond Goodman, dans Le langage de l’art : « dans l'expérience esthétique, les émotions fonctionnent cognitivement. » L’émotion provoquée par l’art nous pousse à réfléchir.
Toutefois, on peut apprendre beaucoup d’œuvres d’art, sans qu’un message y ait été inscrit par son auteur. Une œuvre d’art, à travers sa beauté, son symbolisme et tout ce qui la créé, nous touche au plus profond de nous-mêmes : nous l’avons vu, elle joue avec nos sentiments. C’est d’ailleurs bien souvent, rappelons-le, le but premier d’une œuvre d’art. Dans Phèdre, Platon écrit que toute âme humaine a déjà touché, goûté et contemplé les choses du ciel. C’est choses sont ce qu’il y a de plus merveilleux. En descendant sur Terre, l’âme humaine les a oubliées, ou du moins, effacées de sa partie consciente. La vue du beau, à travers notamment les œuvres d’art – Platon ne se limite pas qu’aux œuvres, il parle aussi de la Justice, par exemple, mais nous ne nous intéresserons ici qu’à l’art – nous saisit, nous renvoie à ces choses du ciel, que nous avons refoulées. Ainsi, le philosophe grec explique le pourquoi du comment de ces sensations qui s’emparent de nous à la vue d’une œuvre d’art. Mais l’explication ne s’arrête pas là : on comprend que Platon, de façon imagée, développe une thèse dualiste sur l’Homme, tel qu’il le perçoit : un être, à la base, fait d’Idées, de pensées, ce qui explique sa sensibilité aux choses de l’esprit, comme les œuvres d’art. L’art sert à nous en apprendre sur notre nature profonde, notre condition d’être humain. Comment expliquer, par des moyens physiologiques, qu’on puisse être ému, qu’on puisse rire, pleurer, s’interroger, à la simple vue d’une image, d’une forme ou d’une couleur ? Un simple processus cérébral, mû par quelque réaction chimique pourrait-il vraiment expliquer l’impact que l’art à sur l’être humain, ou faut-il, à la manière de Platon, chercher une autre explication ?
De même que l’art peut nous en apprendre sur nous, elle peut nous renseigner quant à l’époque de l’auteur. Chaque œuvre d’art est créée dans un contexte historique et géographique, en particulier les œuvres engagées politiquement. L’artiste est ancré dans une culture, avec ses coutumes et ses techniques, et, à quelques exceptions près, il les suit. Ainsi, les peintures des grottes de Lascaux, séparées de celles de la Renaissance de plusieurs siècles sont totalement différentes ; l’architecture entre les bâtiments Paris et ceux de Tokyo n’a rien en commun, de même que les règles du théâtre ont évolué entre l’époque classique du XVIIème et aujourd’hui. Plus que la technique utilisée, souvent, l’œuvre d’art est inscrite elle-même dans l’époque de son auteur : là encore, les exemples sont légion. Des Misérables à A l’Ouest rien de Nouveau, ou quelque autre fresque historique ou témoignage que ce soit, les exemples se trouvent en quantité et rapportent souvent un témoignage fidèle des évènements de l’époque, car vécus par l’auteur. L’étude minutieuse d’une œuvre d’art peut nous révéler beaucoup sur le monde qui entoure l’artiste au moment où il créé. Inversement, à travers la connaissance de la culture en question, on peut étudier plus en détail l’œuvre.
Parlons à présent de l’inspiration : si elle est bien sûr due à une recherche consciente et à un travail de l’artiste, une grande partie vient de l’inconscient, selon Freud : l’inconscient va s’exprimer en symboles et en émotions, que l’artiste va tâcher de retranscrire dans son œuvre. Cette œuvre devient alors un moyen pour nous d’en apprendre plus sur l’artiste, à travers l’étude de ces manifestations inconscientes : quels sont ses désirs, ses pulsions. L’inspiration, en usant de symboles, semblerait fonctionner selon le même schéma que le rêve tel que le perçoit Freud : c’est un moyen d’évacuer ses pulsions censurées, sous une forme moralement et socialement acceptable. Elle permet à l’artiste d’exprimer ses émotions les plus profondes, et de les afficher à la vue de tous, sans qu’elles soient condamnables. Pour illustrer cette fonction de l’inconscient, Freud publie un essai sur Léonard de Vinci, Un Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, essai dans lequel le psychanalyste va étudier les œuvres de l’artiste de la Renaissance, pour en tirer quelques hypothèses quant à ses pensées. Ainsi, le sourire de Mona Lisa incarnerait un idéal féminin, qui correspondrait à la mère de de Vinci. Le thème de la mère et de la femme est d’ailleurs omniprésent dans son œuvre : La Joconde, La Vierge aux Rochers… Freud tente d’expliquer, à travers la simple analyse de la symbolique que présentent les tableaux, quels étaient les pulsions et les obsessions du peintre italien.
A cela s’ajoute le caractère universel de la beauté, décrit par Kant dans sa Critique de la faculté de juger. Le philosophe indique que « est beau ce qui plaît universellement sans concept ». La beauté, beauté d’une œuvre d’art, ou beauté en générale, n’est donc pas liée aux opinions ou aux goûts de chacun, mais à une loi universelle : chacun est en mesure d’apprécier une œuvre, à des degrés différents. Et cela peut nous apprendre à nous rapprocher des gens, à communiquer avec eux, à entrer en contact avec le monde : l’art permet de partager quelque chose avec le reste des gens, quelque chose de commun à tous. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’art et religion sont étroitement liés : peintures de Jésus, ou de Marie, églises gothiques, romanes, ou encore les mosquées richement décorées. D’autres valeurs peuvent être transmises par l’art, notamment la morale. La morale ne s’apprend pas par la raison, ou par des démonstrations : elle fait appel à des sentiments, des sensations, que l’art peut transmettre puisque, nous l’avons vu, c’est une de ses fonctions principales.

Beaucoup d’arguments de cette thèse sont toutefois critiquables et critiqués. On peut ici aborder la théorie de Heidegger, qu’il développe dans L’Origine de l’œuvre d’art et dans Chemins qui ne mènent nulle part : il y explique que ce qui différencie une œuvre d’art et un outil sont les interactions que chacun a avec le monde qui l’entoure, le Dasein. Un outil n’existe que parce qu’il a des interactions avec le monde : le marteau n’est marteau que parce qu’il peut enfoncer des clous et servir à construire une maison. Sa nature de marteau n’est perçue qu’à travers les relations qu’il entretient avec le reste du monde. Sa véritable nature est voilée. A contrario, une œuvre d’art n’entretient aucune interaction avec le monde, et est perçue telle qu’elle est réellement. L’art agit donc comme un dévoilement de l’être profond, de la nature d’un objet. Heidegger développe l’exemple du Rhin : le Rhin peut être considéré comme un simple outil, si on y installe une centrale hydro-électrique. Le Rhin sera ce qui permet à la centrale de produire de l’électricité. En revanche, à travers les poèmes de Hölderlin, le Rhin est perçu pour sa beauté, pour ce qui le constitue : pour lui-même en somme. L’art a donc une fonction de dévoilement de l’être. Une œuvre d’art qui aurait un but comme l’apprentissage serait donc reléguée au rang d’outil : la seule utilité d’une œuvre d’art devrait être le dévoilement de l’être. L’art engagé dont nous parlions tout à l’heure ne serait pas de l’art à proprement parler, du moins pas au sens où l’entend Heidegger.
Nous pouvons aussi opposer une critique quant au fait qu’une œuvre d’art peut nous en apprendre sur l’époque à laquelle elle a été créée. Si ce fait est vrai, il faut néanmoins préciser que dans ce cas-là, nous ne nous intéressons pas aux œuvres d’art en tant que tel, mais en tant que témoignage de cette époque.
Les critiques qu’on peut opposer à la théorie de l’inspiration venant de l’inconscient sont les mêmes que celles opposées habituellement à la théorie d’un inconscient psychique : si on en nie l’existence, il est évident qu’on considère que l’inspiration ne vient pas de là. Les contestations sont nombreuses, d’Alain qui qualifie l’inconscient de « fantôme mythologique », accusant Freud de faire preuve d’hypersémentisation, à Sartre et sa théorie de la mauvaise foi, développée dans L’Etre et le néant.
Une ultime critique de l’apprentissage à travers une œuvre d’art que l’on puisse faire touche à la qualité de cet apprentissage. L’utilisation d’œuvres d’art, à des fins de désinformation, est monnaie courante sous les régimes dictatoriaux : on peut ici citer l’exemple de l’URSS, et de son encadrement de la population, sous Staline. Les arts furent utilisés comme des armes idéologiques : les artistes ont l’obligation de servir la cause stalinienne. Les œuvres concernent surtout le prolétariat, et mettent en avant des paysans, ouvriers, ou militaires faisant preuve d’une force à toute épreuve, et capable d’accomplir quantité de tâches en un temps record, selon le modèle de l’ouvrier Stakhanov. L’œuvre la plus représentative de cette tendance est la statue L’Ouvrier et la Kolkhozienne de Véra Mukhine, qui ornait le pavillon soviétique, lors de l’Exposition universelle de Paris en 1937. Sous les autres régimes totalitaires aussi, on trouve des exemples d’encadrement de la population et de propagande par les arts : en Allemagne nazie, on peut par exemple citer les deux films Les Dieux du Stade, réalisés par Léni Riefenstahl, qui présentent les athlètes nazis pendant les JO de Berlin de 1936, pour montrer la supériorité de la race aryenne. Mais les totalitarismes et les dictatures ne sont pas les seuls à utiliser l’art comme moyen de contrôle de la population. Pendant près d’un millénaire, l’Eglise catholique a maintenu la population d’Europe dans un obscurantisme forcé, notamment à travers des représentations religieuses sur vitraux ou en peinture, la lecture étant à l’époque peu répandue. L’architecture a aussi joué un rôle, en permettant de construire des cathédrales imposantes, signes du pouvoir religieux.
Quelque soit l’œuvre d’art, même si ce n’est pas son but, il semblerait qu’on puisse en tirer un apprentissage, et ce, dans plusieurs domaines : sur l’artiste lui-même, sur nous, sur l’œuvre, sur l’époque de l’artiste, sur le monde, etc… Mais s’il est certain qu’on peut apprendre d’une œuvre, l’interprétation qu’on fait de cette œuvre (et donc ce qu’on en apprend) varie d’une personne à l’autre. Il existe une liberté d’interprétation, que ne peut contrôler l’artiste : s’il a une autorité quant à la nature de l’œuvre qu’il créé, il n’en a pas sur l’interprétation qu’on peut en faire. Un exemple qui illustre parfaitement cela se trouve en 1982 : la nièce d’Hervé Cristiani, alors en 4ème, doit écrire un commentaire de la chanson Il est libre Max de son oncle. Naturellement, Cristiani l’aide, lui expliquant le sens de ce qu’il a écrit. La nièce obtint la note de huit sur vingt, avec en commentaire du professeur « n’a pas saisi la pensée de l’auteur ». On voit bien à quel point la vision qu’un artiste a de son œuvre peut différer de celle des gens qui l’étudient. A partir de là, une infinité d’interprétation sont possibles, et son autant d’apprentissage qu’on peut tirer de l’œuvre.
Si l’interprétation d’une œuvre peut varier d’une personne à l’autre, son message et son intérêt peuvent aussi varier d’une époque à l’autre. L’œuvre de Blazac, Hugo et autres romantiques présentent aujourd’hui l’intérêt d’être des témoignages de l’époque, intérêt que les œuvres n’avaient pas du temps de leur auteur. Un autre exemple frappant est celui des grottes de Lascaux : les experts s’accordent à dire que les peintures de scènes de chasse résultent d’un culte religieux. Aujourd’hui, naturellement, plus personne ne voue un culte à ces Dieux préhistoriques. Les peintures restent en revanche d’un grand intérêt pour les scientifiques qui étudient le paléolithique.

La création d’une œuvre d’art ne se fait pas forcément dans l’optique de l’apprentissage : la recherche de la beauté ou des émotions est le plus souvent privilégiée. Mais la liberté d’interprétation fait que chacun peut ou non tirer quelque chose de l’œuvre. L’œuvre d’art est un moyen de comprendre le monde, mais appréhende le problème sous un angle différent que celui qu’on a l’habitude d’aborder. Toute œuvre possède un potentiel formateur, même lorsqu’elle n’est pas créée dans ce but : la portée d’une œuvre peut tout à fait dépasser les intentions de l’artiste.