Montesquieu, De l'esprit des lois: Liberté et pouvoir

Une copie entièrement retranscrite d'une élève de Terminale (philosophie tronc commun) en trois parties. Note obtenue : 18/20.

Dernière mise à jour : 19/11/2021 • Proposé par: Sissel (élève)

Texte étudié

Il est vrai que dans les démocraties le peuple paraît faire ce qu'il veut ; mais la liberté politique ne consiste point à faire ce que l'on veut. Dans un État, c'est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir.

Il faut se mettre dans l'esprit ce que c'est que l'indépendance, et ce que c'est que la liberté. La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir.

[...]Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Une constitution peut être telle que personne ne sera contraint de faire les choses auxquelles la loi ne l'oblige pas, et à ne point faire celles que la loi lui permet.

Montesquieu, De l'esprit des lois - livre XI, chapitre 3

Notre étude porte sur un extrait de l’ouvrage philosophique de Montesquieu, De l’esprit des lois, publié en 1748. L’auteur s’interroge à propos de la liberté, et se pose plus précisément la question suivante : comment définir la liberté ? La liberté est en effet un concept complexe. Au sein des démocraties, les citoyens doivent suivre la loi et sont donc contraints par elle. La contrainte étant opposée à la liberté, il semble paradoxal pour des citoyens d’être libres. Pourtant, Montesquieu affirme le contraire. Il explique que les lois contraignent en effet le citoyen, mais lui offrent aussi une certaine liberté. Pour Montesquieu, la liberté, bien que limitée par la loi, ne lui est pas antithétique : la liberté dépend des lois. Ainsi, il explique d’abord que la liberté a un lien avec la politique, les lois et donc le droit. Il oppose ensuite les notions de liberté et d’indépendance. Enfin, il expose le lien complexe entre liberté et pouvoir. En suivant ce plan, nous allons analyser plus en détail les arguments de Montesquieu.

I. La liberté a un lien avec la politique, les lois et donc le droit

Tout d’abord, l’auteur explique que la liberté a un lien avec la politique, les lois et donc le droit. La réflexion de Montesquieu dans ce premier paragraphe est divisée en deux étapes de problématisation que nous allons analyser.

Dans la première étape, l’auteur signale un écart entre l’apparence et la réalité. Effectivement, Montesquieu affirme dès la première phrase : « dans les démocraties, le peuple paraît faire ce qu’il veut ». Le verbe paraître est implicitement opposé au verbe être : il y a une contradiction entre l’apparence et la réalité. Le peuple paraît faire ce qu’il veut – donc paraît libre –, mais il ne l’est pas totalement. L’auteur insiste sur cette idée dans la phrase « la liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut ». L’utilisation de la négation totale montre que Montesquieu est certain de ce en quoi la liberté ne consiste pas : un pouvoir illimité. À ce stade de sa réflexion, Montesquieu commence donc à répondre à sa problématique en définissant d’abord la liberté par ce qu’elle n’est pas.

Montesquieu considère la démocratie comme un accès à la liberté, mais il nuance dès le début de l’extrait la définition qu’on en donne. La liberté dans une démocratie, ce n’est pas faire ce que l’on veut. Apparaît donc un paradoxe : si la liberté ne consiste pas à faire ce que l’on veut, alors nous sommes tentés de penser que la liberté n’existe tout simplement pas dans une démocratie. Pourtant ce n’est pas ce qu’affirme Montesquieu : pour lui, la liberté dans une démocratie existe, mais elle est inexorablement limitée par le fonctionnement des lois. C’est l’idée de la deuxième étape de problématisation.

L’auteur définit l’État comme « une société où il y a des lois ». La contradiction entre liberté et État se remarque rapidement, puisque le principe même des lois est de contraindre, tandis que la liberté est justement, selon le sens commun, l’absence de contrainte. Mais Montesquieu n’exclut pas totalement la liberté de l’État pour autant puisqu’il déclare ensuite : « la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir ». L’auteur contredit la définition généralement donnée à la liberté – qui stipule que la liberté consiste à faire ce que l’on veut –, et en donne une nouvelle définition. Cette dernière repose uniquement (comme l’exprime la négation restrictive) sur deux limites, présentées dans la phrase précédemment citée par une opposition symétrique. La proposition principale « la liberté ne peut consister qu’à » est liée à deux autres propositions : premièrement « pouvoir faire ce que l’on doit vouloir », puis « n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir ». L’auteur limite donc la liberté d’abord par rapport à ce qu’on peut faire au sein de l’État, c’est-à-dire agir en fonction de ce qu’impose la loi comme possibilité (idée émise par l’expression « ce que l’on doit vouloir »). Puis, Montesquieu limite la liberté par rapport à ce que l’on n’est pas obligé de faire. L’expression « ce que l’on ne doit pas vouloir » signifie « ce qui est interdit par la loi » (car s’il est de notre devoir de ne pas avoir la volonté de faire quelque chose, c’est que ce quelque chose est mal vu, incorrect, illégal). En ce sens, la phrase « la liberté ne peut consister qu’à […] n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir » signifie donc « la liberté consiste à ne pas être obligé de faire ce qui est interdit par la loi ». Si nous ne sommes pas « obligés » de faire ce qui est interdit, cela implique qu’on peut le faire tout de même, mais que nous serons alors hors-la-loi. Cette phrase prend sens lorsque les lois d’un pays ne sont pas adaptées à sa culture, ses mœurs, etc. ou se contredisent, et qu’elles forcent en quelque sorte les citoyens à désobéir, car ils ne peuvent pas faire autrement. Par exemple, dans certains pays, la loi stipule que le seul moyen pour les personnes sans-papier de gagner la nationalité du pays concerné est de travailler dans ce même pays, mais d’un autre côté ces personnes ne peuvent pas travailler légalement sans papier. La loi est contradictoire. Selon Montesquieu, la liberté ne peut pas être trouvée dans une démocratie qui se contredit.

Dans ce premier paragraphe, Montesquieu affirme donc que la liberté consiste à avoir le droit de faire un nombre de choses limitées par la loi, ainsi qu’à ne pas être obligé de faire ce qui est interdit. Dans les deux cas, la loi limite la liberté. Mais la problématique de Montesquieu persiste : il y a d’autres manières de définir la liberté.

II. L'opposition des notions de liberté et d'indépendance

L’auteur poursuit son raisonnement dans le deuxième paragraphe en opposant la liberté à l’indépendance, comme on le comprend dès la première phrase du deuxième paragraphe : « il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté ». La conjonction de coordination « et » différencie bien les deux notions et exprime leur opposition. Bien que Montesquieu ne définisse pas clairement ce qu’est l’indépendance, nous pouvons comprendre son sens. En effet, puisque les termes « indépendance » et « liberté » sont opposés dans le texte, logiquement, si la liberté est limitée par les lois, alors l’indépendance au contraire ne l’est pas. Être indépendant est donc ne pas dépendre de la loi. Quant à la liberté, Montesquieu la définit cette fois-ci clairement : « la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ». Cette définition reprend les idées qui ont été présentées dans le premier paragraphe. La liberté reste limitée par la loi, en opposition avec l’indépendance.

Montesquieu continue : « et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté ». Le pronom « elles » se réfère aux lois, et le verbe « défendre » prend ici le sens d’ « interdire ». L’auteur affirme donc que si un citoyen faisait ce que les lois lui interdisent, il n’aurait plus de liberté. Un nouveau paradoxe se forme : on pourrait penser que, si nous ne nous limitons plus aux lois, alors nous nous libérons, or pour Montesquieu, braver les lois revient à prendre son indépendance et non à se libérer. Il explique ensuite ce paradoxe : « si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir ». La phrase se poursuit donc avec l’expression « parce que », signifiant que l’auteur explique son raisonnement. Pour comprendre cette phrase, nous avons besoin de savoir qui sont « les autres » et quel est le pouvoir en question. Tout d’abord, puisque le début de la phrase parlait d’un citoyen, on devine que « les autres » désigne les autres citoyens. Concernant le « pouvoir », il est introduit dans la phrase par le déterminant démonstratif « ce », on comprend donc que le pouvoir a déjà été présenté plus tôt dans le texte et que Montesquieu le désigne à nouveau. « Ce pouvoir » renvoie en fait au verbe pouvoir déjà énoncé, dans l’expression « si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent ». Le pouvoir dont il est question est donc celui de faire ce que les lois interdisent. Montesquieu explique que si un citoyen pouvait faire ce que les lois interdisent, alors les autres citoyens pourraient de la même façon être hors-la-loi. Si tel était le cas, il n’y aurait plus aucune protection contre les délits et les crimes (le vol, les agressions, les meurtres, etc.). Montesquieu exprime ici l’idée que sans protection, il n’y a pas de liberté, car nous ne pouvons pas nous sentir libres quand notre confort voire notre vie sont potentiellement en danger.

Dans cette deuxième partie de son plan argumentatif, l’auteur explique donc que la liberté et l’indépendance sont deux notions distinctes. Nous pouvons prendre notre indépendance et désobéir aux lois, mais nous ne serons pas libres ainsi. En revanche, notre liberté dépend des lois puisque ce sont elles qui lui permettent une protection. Pour Montesquieu, la liberté, c’est aussi s’assurer que les autres citoyens n’enfreignent pas la loi. Cette idée repose sur le fait que les citoyens peuvent abuser du pouvoir, mais il existe des moyens de faire en sorte que le pouvoir ne soit pas déséquilibré ; c’est l’idée de la troisième partie.

III. Le lien complexe entre liberté et pouvoir

Montesquieu continue son raisonnement en affirmant que la liberté a un rapport complexe avec le pouvoir. Le troisième paragraphe commence ainsi : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que ». La préposition « pour » exprime un souhait tandis que l’expression « il faut que » apporte une solution pour rendre le souhait réalisable. Montesquieu s’apprête donc à donner la façon de garantir le fait « qu’on ne puisse abuser du pouvoir ». Il s’apprête plus précisément à expliquer comment s’assurer qu’on n’enfreigne pas la loi, et donc comment conserver la liberté. Il poursuit : « il faut que le pouvoir arrête le pouvoir ». Autrement dit, il ne s’intéresse cette fois-ci plus au pouvoir du citoyen mais à celui des institutions. Cette phrase, pouvant porter à confusion au premier abord, signifie en fait qu’il ne doit pas y avoir un seul et unique pouvoir, mais qu’il doit être partagé. Il ne faut pas laisser le pouvoir à une seule institution mais le séparer pour en empêcher les abus. Nous retrouvons ici l’idée de la séparation des pouvoirs avec les pouvoirs législatif, juridique et exécutif, dont Montesquieu est en partie à l’origine. Dans cette façon de faire, les pouvoirs se « surveillent » mutuellement pour éviter tout abus, et sont dépendants les uns des autres (ils ne sont donc pas indépendants car, s’ils étaient, le pouvoir pourrait être déséquilibré et il n’y aurait plus de liberté). Pour Montesquieu, la séparation des pouvoirs est la seule manière de conserver la liberté.

La deuxième phrase du paragraphe commence par : « Une constitution peut être telle que ». Une constitution étant un ensemble de lois, elle renvoie aux deux arguments précédents, tandis que le verbe « pouvoir » donne l’idée d’une possibilité qu’émet Montesquieu : une constitution peut être faite de telle manière et conserverait ainsi la liberté. C’est ce qu’il développe par une nouvelle opposition symétrique. La proposition principale « personne ne sera contraint » est premièrement reliée à la proposition « de faire les choses auxquelles la loi ne l’oblige pas ». Le verbe « obliger » renvoie à la contrainte et donc au devoir. Montesquieu déclare que lorsque la loi ne nous donne pas de devoir, et par conséquent ne nous oblige à rien, personne ne peut nous contraindre à faire quoi que ce soit. La proposition principale est ensuite reliée à la proposition « à ne point faire celles que la loi lui permet » (« celles » désignant « les choses »). Le verbe « permettre » signifie « donner la possibilité » et renvoie donc cette fois-ci au droit. À partir du moment où la loi nous laisse des droits, et nous donne donc la possibilité de faire quelque chose, personne ne peut nous contraindre à ne pas le faire. En bref, dès lors que la loi ne nous contraint plus, nous pouvons faire ce que nous voulons, et nous sommes alors libres.

Pour résumer, dans cette troisième partie, Montesquieu affirme que le pouvoir doit être partagé pour former une constitution qui conserverait la liberté.

Conclusion

Pour Montesquieu, la liberté a premièrement un lien fort avec la politique, les lois et le droit. Elle est aussi à distinguer de l’indépendance, car elle dépend des lois. Enfin, le pouvoir menace la liberté et il est important d’en empêcher les abus. En définitive, la liberté, bien que limitée par les lois, en dépend, et pour la préserver, il faut veiller à avoir un pouvoir partagé. Liberté et pouvoir sont donc les deux grandes notions de ce texte ; puisque Montesquieu définit ici la liberté, il serait maintenant intéressant de donner une définition du pouvoir.