La philosophie est-elle un luxe théorique ?

Dissertation entièrement rédigée en trois parties. Appréciation du professeur: très bon devoir, bien argumenté et structuré, 16/20.

Dernière mise à jour : 09/10/2021 • Proposé par: tatouner (élève)

L'idée de luxe est liée à tout ce qui est d'un grand prix mais dont la nécessité n'est pas absolue : je peux par exemple si je suis milliardaire m'offrir le luxe d'une Roll Royce mais je pourrais tout aussi bien rouler en deux chevaux sans que ma capacité à me déplacer en automobile en soit atteinte ; circuler en Roll n'est pas une nécessité.

Ainsi donc, le sujet soumis à notre réflexion pose le problème de la raison d'être de la philosophie. Est-ce un luxe théorique, c'est à dire un ensemble de concepts, à l'inverse de la science, non susceptibles d'application pratique, et dont on peut par conséquent faire l'économie ? Est-ce au contraire une nécessité fondamentale de l'existence humaine ? Quel rôle réserver à la philosophie ?

I. La philosophie précède les sciences

Dans l'Antiquité, la philosophie n'apparaît nullement comme un luxe théorique dont on peut se passer. Elle désigne au contraire l'ensemble du savoir, car la science moderne avec son idéal de mesure, de vérification, ses méthodes de mesure n'était pas encore née. C 'est aussi qu'Aristote déclarait "Nous concevons d'abord le philosophe comme possédant la totalité du savoir dans la mesure du possible". Au XVIIeme siècle, par exemple, le mot philosophie est encore synonyme de " science-physique ". Voilà pourquoi l'ouvrage fondamentale où Newton expose sa mécanique s'intitule Principes Mathématiques de philosophie naturelle.

Et Descartes prétendait sans ambages que " toute la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique, et les trois maîtresses branches, la mécanique, la médecine et la morale ". C'est donc que la métaphysique ou philosophie première (étude de Dieu, de l'âme, de la connaissance en général) et la morale sont pour Descartes non seulement des disciplines philosophiques mais des sciences au sens moderne comme la physique ou la mécanique.

On le voit bien, à l'origine la philosophie n'est pas un ensemble de théories dont on pourrait faire l'économie, un épiphénomène de la connaissance, une réalité coupée de l'être, une abstraction sans substance, mais bien au contraire, elle représente la totalité du savoir.

II. Mais l'avancée des sciences semble faire reculer la philosophie

Néanmoins le problème de la nécessité de la philosophie, dépose avec une acuité sans cesse accrue, depuis que ces sciences qui se confondaient jadis avec la philosophie se sont détachées comme autant de branches d'un tronc commun. D'abord, les mathématiques, avec la géométrie d'Euclide et la mécanique d'Archimède, se sont affranchies de la tutelle philosophique. Puis, la physique, avec Galilée et Newton, ont abandonné la métaphysique dont elle dépendait. Enfin, la chimie qui se pose en s'opposant à l'alchimie (souvenons-nous de la recherche de la pierre philosophique) avec Lavoisier, suivie de la biologie avec Lamarck et Claude Bernard.

Dans tous les domaines la philosophie semble battue en brèche. Aujourd'hui le savoir semble résolument à dominante scientifique et l'on assiste à une révolution technologique qui soumet tout à l'investigation du savant. Dès lors, quel domaine réserver à la philosophie ? En quoi est-elle nécessaire ? Philosopher, n'est-ce pas échafauder des théories creuses, sans application concrète, un verbiage inutile, prisé par quelques initiés, mais sans vérification ni mesure, un luxe théorique ?

III. Si la philosophie ne donne pas des réponses comme les sciences, elle permet d'en étudier les fondements

Prenons garde pourtant de ne pas réduire la philosophie à un concept réservé à certains esprits ésotériques. Car même si son domaine a changé avec l'évolution de la science et de la technique, cela ne signifie pas qu'elle n'a plus de raison d'être. Déjà Socrate laissant l'univers aux dieux voyait dans la réflexion sur soi-même la vocation de la philosophie : "connais-toi, toi-même", mais il y a plus. On doit voir dans la philosophie une réflexion d'ensemble sur l'être et les problèmes posés par la connaissance scientifique. Comme disait Thibaudet, la philosophie "n'est pas la science de tout mais la science du tout", c'est-à-dire une vision du monde unifiée, qui trouve ses éléments dans les diverses sciences qui explorent chacune un domaine particulier. En effet, si le savant cherche la solution d'une question scientifique, le philosophe lui aborde le problème philosophique de la connaissance.

S'il est vrai que la science cherche et trouve des vérités, la question " Quelle est l'essence de la vérité ou des vérités ? " est une question philosophique. Faire de la philosophie des mathématiques, c'est se demander comment le mathématicien raisonne, ce qu'est une démonstration, qu'elle est l'origine des notions mathématiques, le fondement des postulats qu'on nous demande d'admettre, et non chercher à découvrir des théorèmes. La science construit un édifice de théories, mais la philosophie creuse sous ses constructions pour en expliciter les fondements. Bien plus, il ne saurait être question de cantonner la philosophie à une réflexion sur la science, car elle médite aussi bien sur l'art, sur la vie quotidienne, la morale et toutes les expériences humaines en général. Elle pose la vraie question des valeurs et s'interroge sur leur validité.

Conclusion

Nous sommes, on le voit bien, loin d'une définition simpliste qui réduirait la philosophie à une vision de l'esprit, un luxe théorique, car à la réflexion philosophique "rien d'humain ne peut-être échangé", souscrivons la déclaration de Paul Valéry " j'estime philosophe tout homme de quelque degré de culture qui soit qui essaie de temps en temps de se donner une vision d'ensemble, une vision ordonnée devant ce qu'il sait. ".