Peut-on ne pas savoir ce que l'on fait ?

Annale bac 1995, Série ES - France métropolitaine

Dissertation entièrement rédigée en trois parties :
I. Ne sommes-nous pas censés être responsables et donc conscients de ce que nous faisons ?
II. L’hypothèse de l’inconscient remet-elle totalement en question la connaissance et la maîtrise que nous exerçons sur nos actes ?
III. La connaissance de l’existence et des mécanismes de l’inconscient ne rendrait-elle justement pas l’homme plus conscient de ses actes ?

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: maximeh (élève)

Introduction

Dans son Introduction à la psychanalyse, le psychiatre autrichien Sigmund Freud affirma que la psychanalyse représentait la troisième blessure narcissique infligée à l’homme, après les révolutions copernicienne et darwinienne. De même que la Terre n’est plus le centre de l’univers et que l’homme possède une étroite parenté avec certains animaux, le Moi conscient ne serait désormais plus le « maître en sa maison ». Nous pouvons en effet constater que nos actions, notre imaginaire et d’autres phénomènes ne sont parfois pas décidés en pleine conscience. Les hypothèses des influences économiques, culturelles et sociales ne suffisent pas à expliquer l’origine de nos agissements inconscients. Une instance psychique, autre que ces causes extérieures, fait donc de l’homme un être moins souverain, moins maître de lui-même, puisque parfois l’origine de ses actes, leurs accomplissements et leurs conséquences lui échappent, totalement ou en partie.

Pourtant ne sommes-nous pas censés être responsables et donc conscients de ce que nous faisons ? L’hypothèse de l’inconscient remet-elle totalement en question la connaissance et la maîtrise que nous exerçons sur nos actes ? Mais la connaissance de l’existence et des mécanismes de l’inconscient ne rendrait-elle justement pas l’homme plus conscient de ses actes ?

I. Ne sommes-nous pas censés être responsables et donc conscients de ce que nous faisons ?

Dans l’histoire de la philosophie occidentale, l’homme a longtemps été considéré comme un sujet, c’est-à-dire comme un être conscient de ce qu’il entreprend. En effet, dans les philosophies rationalistes du XVIIIe siècle, ainsi que dans le cartésianisme, le sujet est le point de départ de ses pensées et de ses actes. Selon René Descartes, « je pense donc je suis ». L’homme ne peut donc se définir comme un être agissant, sans la pensée et la connaissance de ses actes. Ainsi, le terme conscience, qui vient du latin « cum scientae », signifiant « avec savoir », peut caractériser cet état où l’existence de l’homme est accompagnée de la connaissance de ses actions. « Ne pas savoir ce que l’on fait » apparaît donc comme contradictoire, car une action doit être forcément pensée pour qu’elle soit réalisée.

Par ailleurs, le droit positif qui régit nos sociétés s’appuie sur ce postulat, que sauf cas particulier, l’homme est responsable pénalement de ses actes et en tant que tel, répréhensible en cas d’écart par rapport aux lois. Cette responsabilité de chacun implique donc que l’homme est capable de prendre conscience de ses actes et de leurs conséquences. Ce sont ses propres choix, qui sont à l’origine de ses délits.

Cependant, l’impossibilité de juger ce que l’on appelle communément un fou ou un malade mental est également reconnue. Ceux-ci ne sont donc pas considérés comme responsables de leurs actes. Cela revient à dire qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Peut-on ne pas être ainsi conscient de certains de nos actes ?

II. L’hypothèse de l’inconscient remet-elle totalement en question la connaissance et la maîtrise que nous exerçons sur nos actes ?

« Voilà mes jambes qui me poussent ! Sûrement un dieu me conduit » s’écrie Ajax dans l’Iliade. Homère évoque ainsi à travers le personnage du héros grec, une force inconnue qu’il attribue à un dieu, mais que Freud appela, au début du XXe siècle, l’inconscient. Pour celui-ci, l’homme ne peut être purement rationnel, car bien souvent ce sont des impulsions irrationnelles, expressions d’instincts et de désirs profonds tels que la pulsion sexuelle, qui déterminent ce que nous pensons, rêvons ou faisons. Ces besoins fondamentaux, le Ça, sont, pour la plupart, refoulés pendant l’enfance, lors de la construction du Moi. Le principe de plaisir à l’origine de ces pulsions s’efface donc devant le principe de réalité qui limite, voire empêche la réalisation de nos désirs, mais également devant les interdits dictés par la morale et la société, qui jouent ainsi un rôle de censeurs par rapport à nos pulsions. Freud appela cette dernière notion, le Sur-moi. Si tous nos désirs ne peuvent s’accomplir et sont donc refoulés, ils ne disparaissent cependant pas pour autant et restent très actifs. Ils vont en effet resurgir et s’accomplir d’une autre manière, en évitant la barrière du Sur-moi. Ce « retour du refoulé » est alors à l’origine de nos agissements inconscients, manifestations de nos désirs refoulés.

Ces actions inconscientes, ayant pour origine la pression des pensées refoulées pour atteindre la conscience, peuvent se manifester de multiples manières. Ainsi, Freud voit dans le rêve une production du psychisme où la conscience est absente et qui permet la satisfaction de nos désirs refoulés, même s’ils se réalisent de manière codée. De même, nos actes manqués, que ce soient des lapsus, des oublis de noms, des pertes d’objets ou autres, sont un échec du point de vue de la conscience, mais représente une réussite de nos désirs profonds. Il nous arrive également de projeter sur d’autres personnes des pensées, des désirs que nous refoulons nous-mêmes. Enfin, les névroses qui s’expriment de façons variées et parfois insupportables, sont le signe de notre difficile rapport à la réalité.

Par ailleurs, l’inconscient se manifeste également dans l’art et la littérature. En effet, en 1924, dans le Manifeste du Surréalisme, André Breton déclare que l’art doit jaillir de l’inconscient. L’artiste doit, selon lui, passer outre la censure imposée par la conscience afin de laisser libre cours à son imagination et accueillir les mots et les images qui lui viennent. Les œuvres de Salvador Dali révèlent donc sans doute les désirs refoulés du peintre, de même que l’écriture automatique des surréalistes est une preuve de l’inconscient, qui peut s’apparenter à de l’inspiration. L’art est donc un des moyens que l’on peut utiliser afin d’accéder à une meilleure connaissance de l’inconscient et de ses mécanismes. Cette connaissance ne permettrait-elle pas justement de devenir plus conscient de ce que l’on fait ?

III. La connaissance de l’existence et des mécanismes de l’inconscient ne rendrait-elle justement pas l’homme plus conscient de ses actes ?

Dans le Monde de Sophie, Jostein Gaarder compare la psychanalyse à une « archéologie de l’âme ». Selon lui, cette science, dont l’objet est l’étude de l’inconscient, permet aux patients de faire resurgir des expériences qui ont un jour provoqué des souffrances chez ces individus et qui ont, de fait, été refoulées. Le rôle de la psychanalyse est donc précisément de faire ce travail d’anamnèse, de remémoration, en mettant en forme verbale ces affects douloureux afin que le sujet en prenne conscience et les dédramatise. Grâce à une parole libérée de la censure du Sur-moi, les désirs et les pulsions, jusqu'alors refoulés, peuvent être assumés et regardés objectivement, lucidement.

La psychanalyse a donc en quelque sorte une vertu émancipatrice, car bien qu’elle enlève à la conscience sa souveraineté sur le Moi, elle lui donne une fonction essentielle dans une démarche de prise de conscience, de découverte de ce qui était inconscient. En effet, cette science permet de retrouver quels sont les désirs inconscients à l’œuvre chez l’individu et par leur identification de lever leurs angoisses et de les faire sortir de leurs névroses. L’intérêt de la psychanalyse aura donc été de montrer, sans doute à la suite de Montaigne, que la conscience n’est pas souveraine, que notre autonomie n’est pas donnée une fois pour toutes, mais qu’elle suppose plutôt une conquête de soi, partielle et jamais achevée, puisque notre inconscient fonctionne toute notre vie.

Conclusion

Malgré l’opposition du philosophe Leibniz ou des écrivains romantiques, l’opinion commune garda, jusqu’au début du XXe siècle, la conviction que l’homme est un être de raison, conscient de ses actes et ses pensées. Il faut attendre Freud et le développement de la psychanalyse pour que l’hypothèse de l’inconscient prenne une réelle importance. Selon lui, on peut parfois ne pas savoir ce que l’on fait. Mais il assume un parti-pris rationaliste puisqu’il considère qu’il faut réduire le décalage entre notre identité apparente et notre identité réelle grâce à la psychanalyse, afin de donner plus de cohérence à notre existence consciente.