Est-ce dans la solitude que l'on prend conscience de soi ?

Dissertation entièrement rédigée en trois parties.

Dernière mise à jour : 08/11/2021 • Proposé par: marieb2 (élève)

Ce qui, dit-on, nous distingue de l’animal, c’est que nous, êtres humains, avons la faculté de prendre conscience de nous-mêmes, c'est-à-dire la capacité de retourner notre conscience sur nous-mêmes et de nous prendre nous-mêmes pour objet de pensée. Cette prise de conscience menée à terme suppose la découverte d’un « je » particulier, qui entraîne ensuite la connaissance de ce « je ». Si la prise de conscience répond à la question « suis-je ? », elle peut aussi répondre à la question « qui suis-je ?», comment alors parvenir à cette prise de conscience, à cette connaissance de soi la plus authentique et complète possible ?

En effet, le problème est de savoir si, dans ce processus, l’on a besoin d’autrui ou si l’on a besoin de la solitude pour prendre conscience de soi, et mieux se connaître, à moins que cette conscience et cette connaissance de soi ne soit qu’illusoire. L’homme, « animal social » semble pouvoir se définir par rapport à autrui, même si c’est dans la solitude qu’il peut aussi affirmer cette prise de conscience. Pour autant, nous pouvons nous demander quelle valeur accorder à ce travail sur soi.

I. La conscience de soi semble s’effectuer en rapport à autrui

Nous allons donc voir que la conscience de soi semble s’effectuer en rapport à autrui.

La conscience de soi ne peut être que collective, dans la mesure où elle est le résultat et le produit d’une histoire dont fait partie autrui et d’un certain nombre de circonstances. Selon Nietzsche, la conscience est « un réseau de communication entre les hommes », ce qui implique des liens, des relations entre les hommes. Cette vision de la conscience nous montre bien qu’elle n’est pas innée mais qu’elle est le résultat de plusieurs individus, consciences. Pour affirmer cela, il faut partir du constat que l’homme ; caractérisé par sa faiblesse dans un monde hostile n’aurait pas su survivre sans l’aide d’autres hommes, cette vie collective apparaît comme une nécessité, or comment assurer un lien entre les hommes ? C’est justement la conscience qui permet la communication, et c’est cette communication qui permet ce fameux lien. Nous pouvons prendre un exemple plus proche de notre réalité, celui d’un enfant, avant et après sa naissance. A quel moment, un bébé se perçoit-il en tant qu’être existant ? Dès sa conception, sous forme de fœtus, il existe une sorte de fusion avec son environnement – or ce qui caractérise bien la conscience réfléchie, c’est un certain décalage entre la conscience et le monde- puisqu’il ne manque de rien, n’a besoin de rien. Une fois sa naissance venue, le voici confronté au monde, sans la protection et les apports automatiques dont il bénéficiait dans le ventre de sa mère. A ce moment là ; ce sont les besoins qu’il ressent qui le poussent vers autrui, qui le poussent à la communication, à travers le langage du corps ou des sons. Puis sa conscience s’affine, il passe du simple « j’ai faim » à « donne-moi à manger », où l’ont voit bien l’intervention d’autrui à travers l’impératif « donne » et sa conscience de soi avec le pronom « moi ». D’après ce que nous venons de démontrer, nous pouvons confirmer le caractère social de notre conscience, autrui est donc indispensable dans notre prise de conscience.

Mais il y a d’autres paramètres à envisager en ce qui concerne la conscience de soi par rapport à autrui. Effectivement, la thèse soutenue dans L’introduction à la lecture de Hegel d’après Kojève, est que l’objectivité de cette conscience de soi nécessite une médiation avec l’extérieur : « Je ne peux être un objet que pour un autre sujet » et non « Je peux prendre pour objet mon propre sujet ». C’est donc grâce à autrui, comme nous l’avons vu avec Nietzsche, et grâce à l’œuvre, à la production, à la pratique que nous prenons conscience de nous. Cependant, le processus parcouru par l’homme pour prendre conscience de lui est différent de celui de Nietzsche. Pour parvenir à une conscience de soi humaine, différente d’une simple conscience immédiate, animale, du simple sentiment de soi, autrui est indispensable car il s’agit de montrer à une autre conscience humaine que l’ont est capable de risquer sa vie pour des motifs non vitaux. En effet, selon Hegel, ce qui distingue l’homme et l’animal, c’est que l’animal ne vise que la conservation de la vie, alors que l’homme est prêt à se tuer pour une idéologie, un désir non matériel. Hegel décrit deux attitudes dans cette lutte à mort qu’est la reconnaissance de la conscience humaine : celle du maître, celle de l’esclave. Le maître est du côté de la liberté, il est prêt à sacrifier sa vie, or l’esclave, lui, renonce à cette reconnaissance, et se place du côté de la servitude. Cependant, c’est l’esclave qui est porteur de la conscience de soi. Le maître, lui, n’aura pas de rapport au monde, il est dans un monde éthéré, où il a tous ses désirs comblés. Or l’esclave qui est confronté aux difficultés, va pouvoir prendre conscience de lui à travers ce qu’il a créé. Le maître qui a risqué sa vie, est loin d’avoir exploré toute sa conscience. Puisque l’esclave n’a pas été reconnu comme homme, il va philosopher, progresser dans sa conscience de soi. En voulant réaliser sa liberté, il atteindra la reconnaissance d’autrui. A travers cette analyse, nous pouvons voir qu’autrui est indispensable : à travers la lutte à mort, à travers son œuvre.

Dans le processus de la prise de conscience de soi, nous pourrions envisager l’introspection, c'est-à-dire l’étude de la conscience par elle-même, or cette introspection ne peut que nous tromper sur notre connaissance. Cette introspection suppose qu’il y ait deux entités : celle qui observe, celle qui est observée, mais cette double identité est bien absente du « moi » (sauf cas de schizophrénie, le « moi » représente bien une seule et même personne). Auguste Comte pose ce problème : le « moi » peut-il s’observer lui-même ? En ce qui concerne l’étude des passions par exemple, le mieux à faire est de l’observer de façon postérieure, car l’état de passion interdit toute objectivité, mais l’état de passion prononcé est celui qui est le plus important à examiner, or cet état est nécessairement incompatible avec l’observation. Le même problème se pose pour l’étude des phénomènes intellectuels, l’organe observé et l’organe observateur, étant, dans ce cas, identiques, comment l’observation pourrait-elle avoir lieu. Nous avons vu, donc, que l’introspection est impossible car les réponses qui en résulteraient, seraient fausses, car non objectives, du fait de cette impossibilité de l’homme à se partager en deux, un qui pense, et un qui observe l’autre penser. Cette analyse dénonce d’ailleurs le genre littéraire de l’autobiographie qui consiste à effectuer une introspection et une rétrospection. Si j’ai pleinement conscience que ce « je » que je convoque pour parler de moi, aussi bien au passé qu’au présent est affecté d’une certaine continuité, je sais pertinemment que ce « je » que j’étais et tel qu’il était dans le passé m’est à jamais inaccessible ; ce « je » que j’étais est pour moi une énigme dans la mesure où si je tente de l’envisager, c’est à partir du « je » que je suis maintenant.

En définitive, pour prendre conscience de soi, et accéder à une connaissance juste du « moi », autrui est un facteur essentiel pour y parvenir. Pourtant, grâce à autrui seulement, arrivons-nous à une connaissance de nous profonde, plus réfléchie ?

II. Mais l’isolement permet une conscience de soi approfondie

Effectivement, la solitude « dite du philosophe » ; l’isolement physique et mental peut nous aider à une connaissance plus poussée. Selon Hegel, une conscience déjà constituée par autrui peut simuler une conscience de soi qui ne dépend que d’elle-même, il s’agit donc bien d’un processus d’après coup.

Platon, pour parvenir à une vraie conscience de soi, va diviser la réalité en deux parties : le monde sensible dont nous acquérons une connaissance imparfaite, approximative. Ce monde des sens est sous le signe du changement, rien n’y est permanent ; et le monde intelligible,qui est le monde des idées, nous permet grâce à l’usage de notre raison d’acquérir la vraie connaissance, où les idées sont éternelles et immuables. Pour cela, il nous faut prendre une distance au monde sensible, afin d’arriver au monde supérieur : celui des idées, des essences et de notre propre essence. Notre âme doit être isolée de toute passion ou attache du monde des sens, tout cela dans le but de prendre conscience de son essence. La façon de rejeter le monde sensible pour accéder à la conscience de soi ressemble en effet à un isolement mental, où l’homme refuse ce qu’il l’entoure, pour se concentrer sur lui-même, de cette façon, il s’isole aussi d’autrui. Attention, il ne s’agit pas de prendre conscience de soi, et d’accéder à la connaissance tout court, puisque nous avons démontré que c’est impossible dans la première partie, mais d’atteindre une connaissance de soi plus approfondie, plus « éthérée ». Une concession est peut-être à noter, dans l’allégorie de la caverne, il est vrai que l’on peut s’interroger sur le rôle et l’existence des personnes qui délivrent un des habitants de la caverne, en effet, cela sous-entendrait qu’il y ait à un moment donné une initiation, un rapport à autrui, mais sûrement ces personnages ne sont présents que pour les besoins de la cohérence de l’allégorie.

Nous pouvons remarquer, à travers la démarche de Socrate, le processus décrit plus haut : je prends d’abord conscience de moi grâce à autrui, puis je l’affine dans ma solitude. Sa recherche philosophique consistait à s’entretenir avec n’importe qui, qu’il rencontrait dans la rue, et ensuite à se plonger de nombreuses heures dans ses pensées : par le biais du sensible, il fait un saut dans le monde des idées qui se traduit pas une méditation, une réflexion personnelle. Et c’est là, qu’apparaît le caractère essentiel de la solitude, de la même façon que personne ne peut manger à ma place, personne ne peut penser à ma place. Le même isolement mental est visible chez Descartes, il va s’exclure du monde sensible, enfermé dans son poêle. Dans son cogito, le « je » de Descartes désigne un sujet, un être pensant; la découverte de Descartes réside dans l’invention de la subjectivité constituante : ce n’est pas un point de vue particulier et déformé d’un individu, mais une donnée fondamentale, c’est grâce à elle que se fondent toutes les vérités du monde. C’est donc par le sujet qu’il peut avoir objectivité. Pour arriver à cette conclusion, Descartes va mettre en place un doute hyperbolique, il va douter du monde sensible. Cette incertitude des sens conduit au doute de l’existence des objets sensibles, du monde, de moi-même ; je vais douter de mes impressions corporelles, de ma mémoire.

Descartes va ensuite douter du monde intelligible, des objets mathématiques, en évoquant un « malin génie » qui parvient à nous tromper, à nous conduire à remettre en cause par exemple : 2+2=4 alors que c’est peut-être faux. Que reste-il alors de vrai ? Que reste-il si je doute de tout ? Il reste le « je » qui doute, le « je » qui pense, donc ce « je» existe bien. Cette vérité, personne ne peut la saisir à ma place, puisqu’il s’agit bien de moi qui fais cette réflexion. Le cogito est donc effectivement atteint dans la solitude. La solitude et la conscience de soi paraissent indissociables ; si je veux prendre conscience de moi, je dois me purifier, m’isoler d’autrui. D’ailleurs, grâce à cette conscience de soi à la raison, Descartes va pouvoir connaître les énigmes de son non-conscient. Ainsi, seul, il réussit à découvrir pourquoi il tombe amoureux d’une fille louche, il explique donc que quand nous aimons quelqu’un sans savoir pourquoi, il est possible que cela vienne du fait que nous retrouvons en ce quelqu’un, quelque choses de semblable qui était présent chez une autre personne que nous aimions, et en déterminant ce « quelque chose » nous pouvons juger ou non s’il est préférable d’aimer cette personne pour ce « quelque » chose. De cette façon, l’homme devient maître de lui, il peut prendre conscience de certaines questions, y répondre, et agir alors en conséquence.

La conscience de soi et la connaissance qui en découle semblent s’effectuer donc grâce à autrui, mais peut être approfondi par l’isolement, la méditation.

III. La conscience de soi reste malgré tout illusoire

Or, cette conscience de soi est peut-être illusoire. Permet-elle une connaissance ?

La prise de conscience de soi peut être remise en cause par l’existence même ou non d’une conscience propre à un sujet. Selon Nietzsche, par exemple le cogito cartésien n’est qu’un fait de grammaire. En effet, Descartes semble confondre le sujet grammatical et le sujet effectif. L’existence de la conscience comme sujet connaissant ne serait pas aussi « évidente que si notre langue disait à la place de « je pense, je parle », « ça pense, ça parle en moi ». Pour appuyer cette idée, il évoque le fait que les pensées viennent quand elles veulent, et non quand je veux. Peut-être que quelque chose pense, mais il remet en cause le fait que ce soit « je ». Nietzsche va jusqu’à dire que ce « quelque chose » est aussi factice car nous ne pouvons nous empêcher de penser selon la grammaire : toute action suppose un sujet actif.

La définition de la conscience de soi peut annuler cette prise de conscience. Selon Husserl et Sartre, nous pouvons nous représenter la conscience par l’image de l’éclatement, un mouvement, une fuite, un glissement hors de soi. Sartre dit bien que cette conscience n’a pas de dedans, que c’est un refus d’être substance stable qui la constitue comme une conscience, ce n’est pas une substance, une chose, mais une dynamique, une activité. Or, si cette conscience essaie de se reprendre elle-même, elle s’anéantit, c’est pourquoi Husserl dit que la « conscience est conscience de quelque chose », la condition d’existence de la conscience est qu’elle doit être conscience d’autre chose que de soi, c’est ce que Husserl nomme d’après Sartre : intentionnalité. D’après cet exemple, nous comprenons bien que la prise de conscience de soi est impossible. La définition de l’inconscient freudien empêche aussi d’envisager une prise de conscience complète. Mais il s’agit d’abord de distinguer le non-conscient (celui de Descartes quand il réfléchit sur la fameuse fille louche) qui correspond en fait au préconscient de Freud, c'est-à-dire des souvenirs qui ne sont pas actuellement dans notre conscience, mais qui sont accessibles lorsque l’on a besoin de se les rappeler. L’inconscient, lui, est à un degré supérieur, puisque les souvenirs sont refoulés. L’inconscient correspond à la découverte du caractère partagé de l’être humain. Prenons l’exemple d’un candidat à un examen, son désir conscient est la réussite, il s’est longtemps préparé à l’avance pour l’épreuve, il veut réussir, ainsi que toute sa famille. Mais il désire également échouer, pour de nombreuses raisons : désir de rester dans l’enfance, retarder l’entrée dans la vie active, etc, mais ce désir est inconscient. Ainsi l’échec à un examen peut correspondre en fait à un désir inconscient satisfait dont le candidat ne prendra jamais peut-être conscience.

Un autre obstacle existe dans cette prise de conscience de soi, elle concerne la définition du « moi », l’identité qui semble être une notion que nous pouvons avoir du mal à cerner. A quoi bon prendre conscience d’une identité qui n’est pas clairement définie. Nous pouvons établir certains fondements de l’identité, mais ils sont tous contestables. La première identité que l’ont peut citer est l’identité génétique, c’est un fait qu’on ne peut contester scientifiquement, mais elle est réductrice, elle n’explique pas les sensations intimes de l’existence, de plus, des jumeaux ont le même patrimoine génétique, ne sont pas forcément les mêmes individus. Ensuite, l’âme pourrait être une définition de notre identité, ce serait une unité spirituelle présente dès ma naissance, or cette âme relève de la métaphysique, aucune expérience n’a réussi aujourd’hui a en apporté la preuve de son existence. Le cogito de Descartes nous offre la possibilité de saisir notre identité comme substance pensante, mais cette réalité est une identité impersonnelle. L’identité sociale, elle aussi semble ne pas convenir, car une donnée comme une carte d’identité permet de nous identifier dans l’administration, mais elle reste anonyme. Un caractère peut être déterminant dans l’identité, mais un tempérament se forme dans le temps, selon les expériences, et pendant qu’il se forme, il se fait caractère : je suis à la fois celui qui forme et celui qui est formé, dans ce cercle, nous ne pouvons pas définir le moi.

Tout ceci nous laisser à penser que la prise de conscience de soi ne peut être qu’un échec, car notre identité est soit sous le signe du changement, soit superficielle, incomplète.

Conclusion

Nous avons démontré qu’il était clair qu’autrui était indispensable pour prendre conscience de soi, à travers la description de deux phénomènes : la conscience de soi à caractère social du fait du besoin du langage chez Nietzsche, et la conscience de soi humaine à travers la reconnaissance par d’autres consciences de cette conscience humaine. Pourtant, il ne faut pas négliger complètement le rôle de la solitude dans cette recherche, un isolement physique, mental est intéressant, et peut être enrichissant, dans la mesure où la méditation permet d’affiner, d’approfondir cette connaissance de soi. Cependant, nous nous sommes interrogés sur la question du bien fondé de cette prise de conscience, en nous demandant si cette prise de conscience nous amène à une connaissance de soi véritable. Du fait de la non exhaustivité, de la superficialité du moi ou tout simplement de la définition de la conscience, cette démarche s’avère être un problème sans réponse.