La liberté est-elle source d'obstacles ?

Ceci est un très bon devoir qui m'a permis d'obtenir 16/20!

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: reavens (élève)

On définit souvent la liberté comme l'absence de contraintes, la liberté de faire ce que l'on veut, à condition d'être un homme libre. La liberté est alors l'absence d'obstacles.
Or, autrui peut lui-même être présenté comme une certaine forme d'obstacle, puisque il m'empêche, indirectement, de faire tout ce que je veux. Il semble alors légitime de s'interroger sur la véritable valeur d'autrui quant à sa relation avec la liberté. Limite t il ma liberté, ou au contraire est il une condition nécessaire à ma liberté?


I. Autrui limite, voire interdit ma liberté



a) une place que je ne peux pas occuper

S'interroger sur la valeur qu'autrui tient dans notre liberté, c'est d'abord s'interroger sur notre liberté en général. Car il n'y a pas un moment ou autrui est absent de ma vie. Au travail, en ville, il n'est pas un instant ou je ne le fréquente pas, excepté de rares moments de solitude. Que penser de sa présence ? M'est-t-elle réellement profitable ? Car en effet, il n'est pas difficile de se rendre compte tous les désavantages que présente la simple vision de cet autre, qui n'est pas moi. Car en effet, autrui occupe une place que je ne peux occuper. Définir la liberté par le libre arbitre, c'est-à-dire " puissance que nous avons de faire ou de ne pas faire quelque chose " ( Bossuet ), c'est affirmer que ma Volonté est libre, qu'elle est exempte de tous déterminismes extérieurs. Or, l'on ne peut pas prétendre à prendre la place d'autrui. Vouloir définir la liberté par le libre-arbitre, c'est affirmer alors qu'on n'est tout simplement pas libre, car s'il est moralement possible de se mettre à la place d'autrui, il est physiquement impossible, par les lois de la nature, de prendre sa place. Autruil limite ainsi, indirectement, ma liberté.

b) le désir mimétique

1° la honte et la jalousie
Si l'on juge de tels dispositifs bien sophistiqués, il suffit de revenir à la vie de tous les jours pour constater qu'autrui entrave ma liberté. Les vices tels que la jalousie, la honte, ne sont ils pas des phénomènes fréquents, nuisant à ma liberté, et qui ne sont pourtant présent qu'à cause d'autrui ? Dans Madame Bovary, la seule apparition de Charles à Emma la met dans un tumulte profond, empris de honte, de gêne. Or, ces gênes, par définition, nous sont bien involontaires, que notre Raison ne peut maîtriser. Souffrir de ces vices, c'est affirmer alors la limite de notre liberté.

2° le désir mimétique
Mais encore, considérer que c'est par le simple regard d'autrui que notre liberté est limitée, c'est se donner une interprétation erronée. Car là encore, c'est également par notre propre regard vis-à-vis d'autrui que notre liberté peut être limitée. Nous désirons sans cesse, sans nous rendre compte des déterminismes qui nous empêchent de contrôler ces désirs. Car en effet, le désir est mimétique, c'est-à-dire que l'on cherche continuellement à vouloir ce que veut l'autre, l'on cherche à ressembler, à copier, voire à éliminer l'autre. L'homme est donc inscrit dans ce conflit permanent qui consiste en une sorte de " vengeance ". Une chose est d'autant plus désirable qu'elle est désirée par d'autres. Cette idée de violence perpétuelle exclut totalement celle de liberté.

c) le regard d'autrui est conflictuel

Mais non seulement autrui empêche ma liberté dans le sens ou il me fait apparaître des sentiments que je ne peux maîtriser, mais en plus il me relègue simplement à un rang d'objet. Cest la théorie de Sartre; sa théorie du regard illustre sa position. Imaginons que je sois seul dans un jardin: ma conscience saisit toutes choses comme mes objets ( ce qui est devant moi, devant le je ) exclusifs. Toute apparition d'autrui fait que le monde va se dérober à moi, va m'échapper vers cet autre, va me frustrer d'une présence que je croyais être pour moi seul. Il me faudra alors compter avec celui là qui voit la même chose que moi, et qui, en plus m'englobe dans sa vision. Me voici réduit à l'état d'objet; je découvre ainsi que la simple existence de l'Autre constitue une chute pour moi, j'ai honte de ce regard sur moi, j'en perds ma liberté qui s'enfuit là bas, hors de mon vécu. Oui, " l'enfer, c'est les autres "…

d) le respect d'autrui m'interdit toute violence ( Kant > impératif catégorique )

Il faut donc considérer autrui comme part entière de mon existence. Par lui, je vais être forcé de me contraindre à des lois morales et politiques qui ne sont l'affaire que d'autrui. S'il existe des lois, c'est bien à cause d'autrui. La loi me dit de ne pas griller le feu rouge, c'est pour ne pas tuer autrui, la loi me dit de ne pas tuer, c'est pour ne pas porter atteinte à la vie d'autrui…Cette vision morale du rôle d'autrui se retrouve dans l'impératif catégorique kantien. Tout être humain est digne de respect, respect de soi et respect des autres qui permet le rapport de réciprocité entre les hommes. " Agis de telle sorte que ton action puisse devenir une loi universelle d'action ", tel est sa maxime. Or, il s'agit donc d'une contrainte m'empêchant de faire ce que je veux. Si la définition de la liberté, c'est de pouvoir faire ce que l'on veut, quand on veut, il s'agit alors par là d'une limite flagrante à ma liberté.

e) le soliptisisme comme connaissance de soi

Là encore, il ne faut pas considérer cette limite au simple plan moral, mais également métaphysique. Selon Aristote, plus la connaissance de soi est grande, plus la liberté est élevée. Il faut donc tâcher à atteindre cette connaissance de soi avec la plus grande vigueur possible. Or, pour Descartes, la découverte du cogito aboutit à une unique certitude: celle de mon être pensant. Ce solipsisme est le point limite de l'idéalisme métaphysique: il définit une attitude du sujet pour lequel rien n'existe en dehors de ma conscience. Tout se passe dans la solitude du moi: je suis seul dans ma tête et ne puis entrer dans la conscience d'autrui. Dans cette perspective, il faut absolument tenir à l'écart autrui pour atteindre la connaissance de soi. Il semble donc qu'autrui empêche ma liberté, puisqu'il m'empêche d'atteindre la connaissance de moi-même. Pascal également disait qu' " on n'aime jamais personne, on n'aime que des qualités ". Autrui est donc inutile, et en me leurrant sur sa véritable personne, empêche la liberté de ma raison. A quoi sert autrui, si le véritable amour n'est pas celui que l'on croit, c'est-à-dire envers la personne aimée, mais envers de simple qualités ? Roméo n'aimerait alors point Juliette, mais aimerait sa simple beauté.

Autrui semble donc limiter totalement ma liberté. Il s'agit d'éviter sa présence le plus possible; " on ne peut être vraiment soi qu'aussi longtemps qu'on est seul; qui n'aime donc pas la solitude n'aime pas la liberté, car on n'est libre qu'en étant seul ", disait Schopenhauer. Toutefois, définir la liberté comme absence de contrainte, c'est en donner une définition factuelle, c'est-à-dire une liberté qui se réfère à l'action, à l'expérience. Cette liberté ne peut donc pas être totale dès lors que nous vivons en société.

II. Autrui m'est indispensable dans la vie en société



a) l'insociable sociabilité de l'homme

Kant met en évidence la tendance contradictoire de l'homme qui cherche à la fois à s'associer à d'autres hommes pour être plus fort, mais aussi à s'isoler pour rechercher son propre intérêt. Cette dernière le pousse à résister à autrui pour s'imposer. Ces forces contradictoires le mènent peu à peu vers la culture. Cet antagonisme en l'homme se résume dans cette formule kantienne : " insociable sociabilité ". Que signifie-t-elle ? Elle signifie que l'homme ne peut ni se passer d'autrui ni vivre harmonieusement avec autrui. Autrui est un moyen paradoxal de civilisation: il sert les desseins de la nature qui poursuit ses fins suprahumaines à travers nous. Autrui est donc à la fois une limite et une condition à ma liberté, puisque c’est par lui que je pourrais intégrer la société, même si cela doit se traduire par des conflits perpétuels.

b) dialectique du maitre et de l'esclave

Ainsi, dans la célèbre " dialectique du maître et de l'esclave ", Hegel révèle également une interprétation d'autrui comme dilemme entre maîtrise et servitude, mais avec un dépassement de cette opposition vers une reconnaissance réciproque. La reconnaissance s'effectue sur le mode de la lutte; chaque conscience cherche à s'imposer en niant celle de l'autre. Celui qui est le plus attaché à la vie finit par se soumettre tandis que celui qui préfère la liberté à la vie manifeste sa supériorité. Le vaincu entre alors au service du vainqueur, et lui obéira. Autrui est donc indispensable à ma liberté, puisque c'est par lui que je vais pouvoir atteindre ma liberté d'indépendance. C'est pourquoi Hegel peut dire " pour se faire valoir et être reconnu comme libre, il faut que la conscience de soi se représente pour une autre comme libérée de la réalité naturelle ".

c) la vie en société passe par autrui

Si la lutte est un moyen pour atteindre ma liberté, celle-ci peut également passer par une collaboration avec autrui. Platon souligne que la vie en commun facilité l'existence. C'est le partage du travail qui permet à la communauté de jouir d'une production abondante, c'est la communauté qui peut défendre ses hommes contre les dangers extérieurs; c'est peut être même cette union qui leur permet de survivre. Car comme l'a souligné Aristote, l'homme est un " animal politique ", et il ne peut pas survivre sans société. C'est la théorie de Hobbes, pour lequel la vie en société serait indispensable: en son absence, les hommes passeraient leur temps à s'entretuer. Il convient donc à l'homme de s'allier avec autrui pour une plus grande liberté. L'individu isolé se heurte à de graves difficultés: outre qu'il doit produire lui-même ce qui est nécessaire, il lui faut affronter seul les dangers qu'il rencontrera. L'entrée en société, l'alliance à autrui garantit ainsi la sécurité, qui est par définition une notion de la liberté.

La relation avec autrui, même si elle est emprise de violence et de politique, semble être donc une condition nécessaire à la liberté de l'homme. Il semble pourtant réducteur de ne considérer la relation entre moi et autrui que par les formes de la violence et du pouvoir. N'y a-t-il pas d'autres moyens plus humains pour qu'autrui et moi atteignons cette liberté?

III. Autrui me permet d'accéder à mon humanité



a) aider autrui à atteindre sa liberté, c'est m'aider à l'atteindre moi-même

Les philosophes des "Lumières" (Diderot, Rousseau, Kant...) ont montré que la liberté est un bien inaliénable (qu'on ne peut ni ne doit jamais céder à personne), un bien auquel on ne peut renoncer sans, du même coup, renoncer à sa qualité, à sa dignité d'homme (Rousseau, Du contrat social). Mais la liberté n'est jamais donnée d'avance; elle est à conquérir: contre la nature, contre les systèmes, les coutumes, les préjugés, contre soi-même aussi. La liberté n'est jamais un acquis mais une libération incessante. Or, il n'est pas toujours facile de savoir comment s'y prendre pour se défaire des chaînes. Ainsi, aider autrui à atteindre sa liberté, c'est en quelque sorte m'aider à l'atteindre moi-même.

b) la solidarité entre consciences

Autrui me permet d'accéder à l'humanité en général, mais d'abord à la mienne, lorsque je me découvre conscience libre. Toute prise de conscience est faite par obstacles: la psychologie puis la psychanalise nous l'avaient révélé: prendre conscience de soi, c'est faire l'expérience douloureuse de la séparation, de la confrontation. Autrui est toujours présent dans cette prise de conscience. Cette présence d'autrui inquiète et rassure tout à fois. C'est donc grâce à autrui que je ressens ce qu'on appele la liberté, car sans autrui, que serais je? Comment pourrais je atteindre cette liberté si autrui n'est pas présent? J'ai besoin d'autrui pour qu'il puisse témoigner cette liberté. Ma pensée n'a de vérité que si elle est partagée par autrui. Ainsi, comme le dit Sartre, " autrui est un médiateur indispensable entre moi et moi-même "

c) le langage

Etre reconnu par les autres, c'est aussi affirmer que l'on appartient à l'humanité, mais ce n'est pas nécessairement revendiquer une place dominante par rapport aux autres. Etre humain ne s'effectue d'abord que dans la réciprocité, dans l'échange. Dans ces conditions, la reconnaissance implique la réciprocité. Le face à face, selon Levinas, est alors une épreuve, mais une épreuve nécessaire, car c'est au fond de notre solitiude qu'on est amenés à reconnaître dans le visage de l'autre, et dans son regard, la présence de la loi morale, ce par quoi commence l'existence authentiquement humaine, par ou elle marque sa différence vis à vis de l'animalité . Refuser de fréquenter autrui, c'est alors perdre la liberté, ce " bien inaliénable ". Or, selon Rousseau, " renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme ". Refuser de vivre en société s'apparente ainsi à un simple refus de cette liberté. Car comme l'a montré Rousseau dans son Contrat social, l'homme de la nature ( c'est-à-dire celui qui ne vit pas en société et donc à l'écart d'autrui ) n'est doué ni de conscience, et donc ni de valeurs morales. Il a perdu toute notion de liberté.

d) La dimension culturelle

Il est d'ailleurs intéressant de noter que toute la dimension culturelle de l'homme s'est construite à partir d'autrui. La société n'est pas seulement pour chacun de ses membres une garantie de survie: elle constitue également le cadre dans lequel se manifestent les dimensions spécifiques de l'existence humaine, qui ne sont possibles hors de la société. L'art, le langage sont autant de valeurs spécifiquement humaines qui ne se sont baties qu'à partir d'autrui. Quel intérêt y aurait il à faire une œuvre d'art si autrui n'était pas là pour la contempler ? De même, le langage, " ce fait culturel par excellence " ( Levi- Strauss ), n'aurait de sens si l'on vivait seul. Or, " vouloir penser sans les mots est une tentative insensée " disait Hegel. Le langage est à ce point humain, qu'il est ce qui forge notre être, notre identité. Y renoncer, c'est renoncer également à notre qualité d'homme dont parlait Rousseau, et perdre une partie de notre liberté.

Il va sans dire que la liberté serait sans doute inexistante dans l'état de nature dont parlait les nombreux théoriciens politiques ( Rousseau, Hobbes et Locke entre autres ). La présence d'autrui s'avérerait être une entrave à notre liberté, puisque ce serait alors le " droit du plus fort ". Or, cet état de nature, qui " n'a peut être jamais existé " ( Rousseau ), est révolu, et la présence d'autrui nous est devenu indispensable dans les sociétés dans lesquelles nous vivons, ou la vie en collectivité est absolument indissociable de notre liberté. Notre liberté n'est certes pas parfaite, mais dire qu'autrui limite notre liberté, serait faire preuve d'une totale injustice lorsqu'on connaît les désavantages de vivre seul.