Travailler rend-il libre ?

Il s'agit de la dissertation complète pour laquelle j'ai eu 14 sur 20.

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: luayah (élève)

La notion de liberté possède plusieurs significations.
La liberté peut s’appliquer à une personne qui n’est pas sous la dépendance de quelqu’un, une personne qui peut agir sans contrainte, qui est autonome.
La liberté peut aussi renvoyer au fait de pouvoir agir, dans une société organisée, selon sa propre détermination, dans la limite de règles. Comme les droits, par exemple, qui sont les libertés que la loi reconnaît aux individus dans un domaine. La liberté d’expression, d’opinion ou encore religieuse, c'est-à-dire qu’elle donne le droit à l’individu de choisir sa religion, ou de ne pas en avoir.
En philosophie, la liberté est le caractère indéterminé de la volonté humaine, ce qu’on appelle le libre arbitre.
Le verbe « travailler » désigne toute activité visant à la production d'une oeuvre utile. Dans nos sociétés actuelles le travail est difficilement conçu sans rémunération. Le travail est souvent associé à la peine, à la souffrance, il est vu comme une contrainte.
Il apparaît donc que les termes « liberté » et « travail » soient en totale opposition.
Mais l’on verra par la suite qu’ils peuvent être, au contraire, intimement liés.
L’Homme n’est pas forcément partagé entre ces deux notions et l’une sans l’autre pourrait même le déshumaniser. Les Hommes pensent le travail comme une entrave à leur liberté, comme quelque chose qui a fait disparaître la liberté de la vie humaine. Mais la notion de liberté existerait-elle si rien ne venait l’entraver ? Et si la liberté n’est pas apparue avant le travail ; si le travail a, au contraire, permis à la liberté à la fois d’exister et de prendre tout son sens, une question fondamentale se pose alors : la liberté de l’Homme dépend-elle de sa faculté à travailler ?

Le travail est un phénomène humain. Dès lors qu’il y a trace d’humanité il y a travail. Il accompagne l’existence et le développement de l’humanité. C’est un élément qui intervient nécessairement pour définir la condition humaine. L’animal travaille certes, mais ce qui différencie le travail humain du travail animal est que, dans le cas de l’homme, on a affaire à un projet médité, conscient de lui-même et toujours prémédité. Dès lors, la différence entre Homme et animal est définie. L’homme est l’être qui a le plus de besoins et que la nature à le moins favorisé pour les satisfaire. L’homme est donc forcément, de part sa nature, contraint de travailler pour survivre. Il n’est alors pas libre de travailler, il y est obligé, sa survie en dépend. Le travail témoigne ainsi de notre asservissement à la nécessité.
Le travail apparaît tout d’abord comme une activité négative. Le travail est vu comme le lieu de l’exploitation, de la domination. Dans la Grèce antique, le travail est considéré comme une des activités les plus animales et les moins nobles. C’est pourquoi cette tâche était confiée à des esclaves afin de libérer l’homme « libre » (l’homme qui s’adonne à des activités intellectuelles telles que la philosophie ou les sciences, ou à des activités « pratiques » telle que la politique) des tâches pénibles que représentait le travail. L’esclave était alors soumis, maltraité, il était un être fragile, réduit à l’état d’animalité. Sa condition était pitoyable mais ce n’étaient pas les esclaves qui étaient méprisés, c’était le travail. C’était l’activité à laquelle ils étaient condamnés qui les rendaient méprisables. Le travail avait donc déjà à cette époque une connotation très négative.
Dans la société moderne, l’existence de l’homme est déterminée de près ou de loin par le travail et la notion de travail est toujours perçue, comme dans la Grèce antique, de façon péjorative.
L’idée que l’ouvrier travaille car il y est contraint est omniprésente. Le travail est vu comme une contrainte extérieure subie par l’ouvrier, quelque chose dans quoi il ne réalise pas son être. Le travail est perçu comme un lieu dans lequel l’individu se nie et est dépossédé. Marx appelle cela « l’aliénation ».
L’aliénation existentielle est le fait que dans et par le travail, le travailleur ne se retrouve plus. Il devient étranger à lui-même.
Le fait que le travailleur soit contraint à la répétition des mêmes gestes toute la journée illustre bien cette idée. Idée que l’on retrouve dans Les Temps Modernes de Charles Chaplin. Ce dernier incarne alors un ouvrier qui exerce dans la société moderne. Il passe ses journées à viser des boulons et ne peut s’empêcher de reproduire les mêmes gestes une fois sa journée de travail terminée. Tout en étant exagérée, cette idée de « machine humaine » est présente dans la société moderne. L’aliénation dans le travail signe la déshumanisation de l’individu. Le travail serait alors une véritable malédiction pour l’homme ; on peut se rapporter alors à la genèse : le travail s’inscrit dans le contexte d’une punition adressée à Adam et donc à l’ensemble du genre humain. Condition qui fait apparaître les êtres humains comme déchus et exempts de toute liberté.
Le travail est considéré comme du temps que l’on donne à la société, un sacrifice de soi. Le temps hors travail est vu comme un temps pour soi, l’individu n’a le sentiment d’être lui qu’en dehors du travail. Il a l’impression de perdre sa vie en travaillant. L’homme pense que c’est après le travail que commence la vraie vie, qu’il devient libre. D’ailleurs ne dit-on pas, en parlant du temps consacré aux loisirs, le « temps libre » ?
Pour Marx, la malédiction qui s’attache au travail tient, non pas à sa nature, mais à la façon dont il est socialement organisé. Il existe pour lui deux classes sociales bien distinctes : la bourgeoisie et le prolétariat. L’un s’enrichie tandis que l’autre s’appauvrit de plus en plus en conciliant exploitation et aliénation.
Marx montre ainsi que dans une société capitaliste, le travail est exploité : il y a une partie du travail du salarié qui ne lui est pas payée, un « surtravail ». Le salarié et son travail dépendent alors entièrement du patron. La notion de liberté ne peut se développer lorsqu’il y a exploitation. Le salarié exploité ne peut donc se concevoir comme un homme libre dans le travail et donc dans sa vie en général.

Le travail apparaît donc comme ce qui prive l’homme de toute liberté.
Mais en examinant la doctrine de Marx de plus près on s’aperçoit qu’il ne possède pas seulement une vision négative du travail. On trouve chez lui une ambivalence qui amène à examiner le côté positif du travail et la notion de liberté.

Il faut pour cela retourner aux sources de l’humanité. Lorsque n’existait encore que l’être humain dépourvu d’outils, seul face à une nature hostile. Le travail a permis à l’homme d’intervenir sur la nature afin de satisfaire ses besoins les plus élémentaires. Il l’a façonnée. Le travail a donc permis à faire passer l’homme de l’état de soumission par rapport à la nature à l’état de domination.
En revenant à l’époque de la Grèce antique on se rend compte que le travail serait le propre de l’homme, ce qui lui permettrait de réaliser son humanité, mais aussi que les hommes dit « libres » étaient dans le faux quant à leur conception du travail.
En effet l’esclave va se donner un pouvoir sur la matière inconnu du maître. Ce dernier est dans la satisfaction immédiate, dans l’absence d’effort. Il perd son temps. Tandis que l’esclave, par son travail et en acceptant l’humilité de la tâche, conquière sa liberté et sa dignité. Les rôles sont alors inversés : le maître devient esclave de l’esclave.
La dignité humaine c’est la liberté et la liberté est la capacité à s’élever à ce qui est proprement humain. L’homme assiste alors, par son travail, à une modification de sa propre nature, mais également à la réalisation de son être parce qu’il peut se reconnaître dans son travail. L’homme se crée comme sujet et acquière alors un pouvoir de décision. Il est libre de choisir de travailler ou non. Et en choisissant de travailler l’homme ne subit plus le monde car il peut le modifier grâce à son travail. En effet, un monde où tout serait donné à l’homme, où il ne connaîtrait plus que ses désirs et serait incapable de les discipliner en se confrontant à la réalité ne pourrait que se laisser dominer par elle.
Mais le travail possède, au-delà d’une éducation à la liberté, une valeur morale : il oblige à l’effort et à la persévérance. Ces deux notions portent l’être comme maître de son travail et lui confère ainsi une certaine liberté. Alain pense que le travail est une éducation à la volonté.
Plus encore, c’est par le travail que l’homme devient un être social. C’est par le travail que s’effectue aussi bien l’intégration au sein de la société que le lien social. Le mot « travail » est devenu si noble que sa fonction est reconnue socialement comme l’activité sociale la plus valorisante dès que métier et passion se confondent.
Le travail est à l’origine des sentiments sociaux de l’humanité, notamment le sentiment de propriété.
C’est le travail qui rend propriétaire. Par exemple, un homme qui a travaillé sa terre en devient propriétaire. Et le fait d’être propriétaire de quelque chose confère à l’individu une liberté quant au devenir de cette chose. Être propriétaire c’est donc pouvoir être libre.
Le monde moderne n’oppose donc plus nécessité et liberté mais la liberté en passe par la contrainte.

Le travail apparaît donc comme étant le propre de l’homme. Sans cette faculté à travailler il serait dépendant de la nature et de son hostilité première. Il s’épanouit à travers le travail, il s’impose et existe dans une société qu’il a choisi d’intégrer. Malgré le fait qu’il soit parfois aliéné et dépendant de son travail, l’homme ne peut compter que sur sa faculté à travailler pour réaliser son être et ainsi devenir libre.