Malebranche, Entretiens sur la métaphysique: Le juste et l'injuste

Le commentaire entièrement rédigé, en deux parties :
I. La théorie réfutée par Malebranche : l'être humain serait mû par son amour-propre et là-dessus la société humaine
II. Le point de vue de Malebranche : cette organisation n'a aucune légitimité, reposant de fait sur la loi du plus fort

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: clemencer (élève)

Texte étudié

Le juste et l’injuste aussi bien que le vrai et le faux ne sont point des inventions de l’esprit humain, ainsi que prétendent certains esprits corrompus. Les hommes, disent-ils, se sont fait des lois pour leur mutuelle conservation. C’est sur l’amour-propre qu’ils les ont fondées. Ils sont convenus entre eux : et par là, ils se sont obligés. Car celui qui manque à la convention se trouvant plus faible que le reste des contractants, il se trouve parmi des ennemis qui satisfont à leur amour-propre en le punissant. Ainsi par amour-propre il doit observer les lois du pays où il vit : non parce qu’elles sont justes en elles-mêmes - car par-delà l’eau disent-ils, on en observe de toutes contraires, mais parce qu’en s’y soumettant on n’a rien à craindre de ceux qui sont les plus forts. Selon eux tout est naturellement permis à tous les hommes. Chaque particulier a droit à tout ; et si je cède de mon droit, c’est que la force des concurrents m’y oblige. Ainsi l’amour-propre est la règle de mon action. Ma loi c’est une puissance étrangère et, si j’étais le plus fort, je rentrerais naturellement dans tous mes droits. Peut-on rien dire de plus brutal, de plus insensé ? La force a déféré au lion l’empire sur les autres brutes ; et j’avoue que c’est souvent par elle que les hommes l’usurpent les uns sur les autres. Mais de croire que cela soit permis, et que le plus fort ait droit à tout sans qu’il puisse jamais commettre aucune injustice, c’est assurément se ranger parmi les animaux et faire de la société humaine une assemblée de bêtes brutes.

Malebranche, Entretiens sur la métaphysique

Introduction

Envisageons rationnellement ce que pourrait être l'homme à son état naturel, c'est-à-dire avant l'établissement de toute loi, avant la naissance de toute culture. Un chaos indicible régnerait vraisemblablement, où toutes les volontés s'exprimeraient et se confronteraient irrémédiablement les unes aux autres. Afin d'assurer la coexistence et la survie du plus grand nombre, et, par-delà, affirmer la perpétuation de l'espèce, il convient donc que les hommes établissent une forme de convention, fruit de leur accord commun. Problématique : Mais quel pourrait être le fondement de cette convention? Pourrait-on y déceler une tentative d'expression d'un idéal de Justice?
Annonce de plan : Dans l'extrait donné, Malebranche expose une théorie qu'il réfute, selon laquelle l'être humain serait mû par son amour-propre et que la convention sur laquelle reposerait la société humaine serait fondée autour de cette notion (PARTIE 1). Le philosophe nie toute légitimité de cette organisation qui, d'après lui, entérine un état de fait, trouvant sa source dans la loi du plus fort (PARTIE 2).

I. La théorie réfutée par Malebranche : l'être humain serait mû par son amour-propre et là-dessus la société humaine

D'emblée, l'auteur présente la thèse qu'il va s'attacher à réfuter. Condamnant violemment ses théoriciens, qu'il qualifie d' "esprits corrompus", il expose un parallèle par eux établi, entre les notions de "juste et [d'] injustice", et celle de "vrai et [de] faux". De même qu'on ne décide pas du vrai et du faux, on ne décide pas du juste et de l'injuste d'après ses opposants, et ce ne sont pas des "inventions de l'esprit humain". D'après ces théoriciens, les hommes auraient eux-mêmes établi des lois, ce qui relèverait d'une autodétermination, avec un but précis : leur "mutuelle conservation". Cette théorie fait écho à la pensée hobbesienne. En effet, Hobbes affirme qu'à l'Etat naturel, tous les hommes bénéficieraient d'une liberté absolue mais que ces libertés individuelles entreraient en contradiction les unes avec les autres, générant des conflits incessants et provoquant la mort de bon nombres d'individus. De cette observation découle la nécessité de mise en place d'un tiers, d'une entité placée au-dessus des individus et qui, réduisant le champ de leurs liberté, permettrait l'établissement d'une situation de paix, garante de la coexistence pacifique des individus. Ainsi, les lois trouveraient leur légiti

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