Thomas d'Aquin, Somme théologique

Annale bac 2010, Série L - France métropolitaine

Corrigé en trois parties : I. Les lois sont destinées à englober la majorité des actions humaines, II. Les lois peuvent donc ne pas être bonnes dans toutes les situations, III. Il est juste d'enfreindre les lois dans des situations exceptionnelles.

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: amarquant (professeur)

Texte étudié

Parce que les actes humains pour lesquels on établit des lois consistent en des cas singuliers et contingents, variables à l’infini, il a toujours été impossible d’instituer une règle légale qui ne serait jamais en défaut. Mais les législateurs, attentifs à ce qui se produit le plus souvent, ont établi des lois en ce sens. Cependant, en certains cas, les observer va contre l’égalité de la justice, et contre le bien commun, visés par la loi. Ainsi, la loi statue que les dépôts doivent être rendus, parce que cela est juste dans la plupart des cas. Il arrive pourtant parfois que ce soit dangereux, par exemple si un fou a mis une épée en dépôt et la réclame pendant une crise, ou encore si quelqu’un réclame une somme qui lui permettra de combattre sa patrie. En ces cas et d’autres semblables, le mal serait de suivre la loi établie ; le bien est, en négligeant la lettre de la loi, d’obéir aux exigences de la justice et du bien public. C’est à cela que sert l’équité. Aussi est-il clair que l’équité est une vertu.
L’équité ne se détourne pas purement et simplement de ce qui est juste, mais de la justice déterminée par la loi. Et même, quand il le faut, elle ne s’oppose pas à la sévérité qui est fidèle à l’exigence de la loi ; ce qui est condamnable, c’est de suivre la loi à la lettre quand il ne le faut pas. Aussi est-il dit dans le Code : «II n’y a pas de doute qu’on pèche contre la loi si, en s’attachant à sa lettre, on contredit la volonté du législateur».
II juge de la loi celui qui dit qu’elle est mal faite. Mais celui qui dit que dans tel cas il ne faut pas suivre la loi à la lettre, ne juge pas de la loi, mais d’un cas déterminé qui se présente.

Thomas d'Aquin, Somme théologique

Notion rattachée : justice et loi

Problématique dégagée : Quelles sont les limites des lois ? Peut-on être juste sans respecter les lois ? A-t-on le droit d'enfreindre une loi ?
Problématique secondaire : Une loi est-elle toujours juste?

Objections possibles : Platon => Ne pas respecter les lois, c'est mettre à mal l'organisation de la société
Diderot => « Nous parlerons contre les lois insensées »
Kant => le caractère impératif de la loi morale ne permet pas d'exception. Je dois rendre tout dépôt même si la personne qui réclame son bien n'a plus toute sa raison. En effet, si je ne le rends pas, je porte atteinte à la confiance qui préside tous dépôts et la généralisation de ma pratique ruine la possibilité de tous dépôt future. "Agis de telle manière que la maxime de ton action soit universalisable"

Plusieurs plans étaient possibles : vous pouviez suivre l'ordre du texte( sans faire de la paraphrase) définition des lois et de leur création/ situations où les actions décrites par les lois ne sont pas les plus justes/ possibilité de ne pas respecter les lois tout en se conformant à un principe de justice

mais vous pouviez aussi mettre en question le texte dans une troisième partie : N'est-il pas dangereux d'autoriser à enfreindre les lois ? Au nom de quel principe pouvons nous enfreindre les lois ? Le principe de justice existe-t-il vraiment ? Etc.....

Ce qui est écrit n'est pas véritablement un "plan", il vise à expliciter le texte pour que vous voyez si vous en avez bien compris les enjeux.

Il arrive dans la vie quotidienne que nous trouvons qu'une loi ne s'applique pas bien à une situation et que pour agir selon notre conscience, nous soyons amenés à enfreindre une loi. Mais avons-nous le droit moralement et du point de vue de la justice, de ne pas obéir à une loi promulguée par mon gouvernement ? Le terme « justice » vient du mot jus, en latin qui désigne le droit. La justice désigne donc dans un premier sens le respect du droit, c'est-à-dire des lois. La justice est donc liée à l'institution juridique. Néanmoins, peut-on dire que les lois sont toujours justes? Cela nécessite alors de détacher justice institutionnelle et principe de justice. La justice existera alors aussi comme vertu. Dans ce texte, Saint Thomas d'Aquin réfléchit aux liens entre les lois et la justice et cherche à savoir s'il est possible d'enfreindre les lois sans pour autant être injuste. Pour ce faire, sa réflexion examine en premier lieu, la manière dont sont faites les lois et dans quel but. Ensuite, il cherche à savoir si les lois sont justes dans toutes les situations. Enfin, il montre que la justice ne passe pas toujours par le respect des lois.

Les lois sont destinées à englober la majorité des actions humaines

Les lois ont été crées pour pacifier les relations entre les hommes
Reprenons l'origine des lois. Il semble que dans l'état de nature, où les hommes vivaient dans une indépendance et une liberté totale, les lois n'existaient pas. C'est dans le passage de l'état de nature à l'état civil que sont nées les lois. Dans l'état de nature, chacun faisant ce qu'il voulait, le danger était permanent et les hommes étaient toujours menacés par leur semblable( cf Hobbes, Le léviathan). De fait, les lois ont été crées pour régir les relations entre les hommes et les apaiser.

Les actions humaines ne sont pas prévisibles et sont toujours singulières
Néanmoins, les lois humaines, juridiques diffèrent des lois de la nature. Les hommes sont tous uniques et leurs actions ne suivent pas de lois strictes. De fait, il existe dans les relations inter-individuelles des multiplicités d'actions différentes. C'est ce que veut dire Thomas d'Aquin quand il qualifie les actes humains de « variables à l'infini », une situation ne se répète jamais deux fois de la même manière. Il insiste aussi sur la « contingence », c'est-à-dire sur le hasard et les coïncidences qui existent dans les existences humaines. L'homme n'est pas une machine programmable.

En conséquence, les lois sont générales et ne prennent pas en compte les situations particulières
Elles ne peuvent pas prendre en compte tous les situations possibles qui existent ou vont exister dans le futur. Elles se basent sur ce qui est bien dans la majorité des cas( St Thomas d'Aquin dit «  attentifs à ce qui se produit le plus souvent ») mais ne peuvent prendre en compte les circonstances particulières.( Cf Platon dans Le politique aucune loi ne sera un jour « capable d’embrasser avec exactitude ce qui, pour tous à la fois est le meilleur et le plus juste et de prescrire à tous ce qui vaut le mieux. ») Une loi est générale : elle prescrit par exemple de ne pas voler, ou de ne pas tuer. Mais elle ne peut pas prendre en compte le fait que je sois attaqué, que ma famille est en danger, etc....

Les lois peuvent donc ne pas être bonnes dans toutes les situations

de cette généralité des lois découle une possibilité pour celles-ci de ne pas être justes.
La justice est définie selon deux principes selon Aristote : chacun doit posséder en fonction de son mérite, chacun doit être traité de la même manière. Ces principes peuvent être mis à mal dans certains cas. Saint Thomas d'Aquin s'appuie sur plusieurs exemples, assez convaincants.
1er exemple : celui du dépôt => dans une situation générale, chacun doit avoir ce qui lui revient donc je dois rendre ce dépôt
2eme exemple : la personne qui m'a fait le dépôt ne possède plus la maîtrise de sa raison et peut faire du mal si je lui rends => lui rendre entraînerait des dommages mais surtout, il n'est pas sûr que dans les dispositions actuelles, ce bien lui revienne.

Il existe donc un principe de Bien et de Mal qui régit l'action humaine
Si cette conception a l'air évidente, elle suppose que la justice qui s'incarne dans les lois est indépendante à la justice comme vertu. Il existerait une norme du bien et du mal en dehors des lois. Il s'agit alors de définir ce principe auquel l'individu doit se référer. C'est ce que fait Saint Thomas d'Aquin en plaçant la justice mais surtout le « bien public » au-dessus des lois. Le philosophe fait alors appel à l'équité. Ce terme est souvent utilisée comme synonyme d'égalité mais ici, il désigne le principe d'une justice naturelle, présente en toute homme. La vertu est considérée comme une qualité individuelle. L'équité est alors plus qu'un principe ou une règle, elle est d'abord un esprit. Saint Thomas d'Aquin reste proche d'Aristote dans Ethique à Nicomaque qui écrit que l'équitable, s'il a le même contenu que le juste, est "plus parfait", que le juste légal car il représente une "amélioration de ce qui est juste selon la loi."

C'est cette équité qui est supérieure aux lois
Saint Thomas d'Aquin ne dit pas donc que les lois sont mauvaises, il affirme qu'il existe un principe inné de justice, présent chez tous les hommes. En cas inverse, il serait en effet impossible de juger si une loi est injuste ou non. Si l'équité est l'esprit de justice, qui peut s'opposer à la légalité, sa définition est liée à celle de justice comme principe moral non écrit, antérieur aux lois.

Vous pouviez ici contredire cette justice naturelle, en affirmant que tout sentiment de justice était dicté par la société, par les moeurs et pouvait être subjectif.( L'extermination des juifs était considérée comme juste par les nazis!)

Il est juste d'enfreindre les lois dans des situations exceptionnelles

Il est donc juste d'enfreindre certaines lois
Saint Thomas affirme donc que l'on peut être juste sans suivre les lois, « la justice déterminée par la loi ») Pour être juste, il faut être capable de transgresser les lois, de sortir de son droit parce que notre réflexion fonde notre action. Ainsi cacher un juif pendant la guerre outrepassait le droit accordé à chacun et sortait de la légalité de l’époque. Pourtant la raison montre que le traitement des juifs pendant la guerre n’avait rien de juste puisqu’il est évident que le principe d’égalité et donc de dignité humaine, a été bafoué.

Il est injuste de suivre toujours les lois
Le philosophe va même plus loin puisque pour lui c'est de toujours respecter la loi qui est injuste. Cela entraîne donc un paradoxe puisque celui qui ne sort jamais de la légalité peut quand même être injuste. « ce qui est condamnable, c’est de suivre la loi à la lettre quand il ne le faut pas. » le paradoxe va même plus loi dans la citation du code 1 : on peut le résumer comme suit : celui qui respecte toujours la loi va à l'encontre de la loi. Mais comment cela est-ce possible?

Il existe un esprit du législateur qui est-au dessus du texte de la loi
Saint Thomas d'Aquin distingue l'esprit de la loi et le texte de la loi. En effet, pour lui, le législateur quand il rédige les lois a une certaine conception dans la tête. Il vise toujours au bien. Sa volonté n'est pas de faire le mal. Le terme « esprit » peut désigner effectivement une manière de penser. Les lois répondent donc tous à cette conception de la justice, conçue comme équité.

Celui qui enfreint les lois n'attaque pas la justice
Saint Thomas d'Aquin dans la dernière phrase de ce texte, pare aux objections qu'on pourrait faire. En effet, il est possible de montrer les dangers de la conception du philosophe. Prenons Socrate dans sa prison : il a la possibilité de s'enfuir, sa condamnation est injuste. Néanmoins, il décide de rester parce que s'enfuir équivaudrait à affirmer que les lois sont injustes et qu'il ne faut pas les respecter. Tout l'ordre publique en serait alors affecté.
Mais Saint-Thomas d'Aquin affirme que agir selon l'équité et enfreindre les droits ne signifient pas que les lois sont injustes ou mal faites. En d'autres termes, cela ne veut pas dire qu'on peut les enfreindre quand nous en avons envie et que nous avons raison de ne jamais suivre les lois. Si nous ne respectons pas les lois seulement par caprice, ce n'est pas juste. Il est nécessaire de se référer à l'équité.
Ne pas faire ce que prescrit la loi, c'est reconnaître que la situation que nous connaissons est particulière et que l'exigence de justice que vise le législateur nous conduit à agir autrement que ce prescrit la loi. Bref, c'est reconnaître l'unicité de la situation et non une erreur des lois.
En disant cela, Saint Thomas d'Aquin restreint toute attaque portée aux lois

Conclusion

Ce texte voulait donc mettre en lumière le fait que les lois ont un caractère général qui ne peut prend en compte la totalité des actions humaines. Dans les cas où les lois sont contraires à l'équité, au principe de justice naturelle poursuivi par le législateur, il nous est possible et même obligatoire de ne pas suivre la loi à la lettre. Néanmoins, cela ne signifie absolument pas que les lois sont mal faites et que nous ne devons pas les suivre.
Saint Thomas d'Aquin tente donc ici de justifier les actions non conformes aux lois sans tomber dans une désobéissance générale. Pour ce faire, il fait appel à un sentiment de justice inné. Mais est-ce vraiment le cas ? Avons nous tous un sentiment de justice ou nos notions de bien et de mal sont totalement subjectifs ? Dans ce cas de figure, chacun jugerait la loi selon ses principes individuels. Ne serait-ce pas dangereux pour la société ?