Tocqueville, De la démocratie en Amérique : La souveraineté populaire

Annale bac 2008, Série ES - France métropolitaine

Corrigé sous forme d'étude linéaire du texte.

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: isalguero (élève)

Texte étudié

Je regarde comme impie et détestable cette maxime, qu'en matière de gouvernement la majorité d'un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l'origine de tous les pouvoirs. Suis-je en contradiction avec moi-même?
Il existe une loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes. Cette loi, c'est la justice.
La justice forme donc la borne du droit de chaque peuple.
Une nation est comme un jury chargé de représenter la société universelle et d'appliquer la justice qui est sa loi. Le jury, qui représente la société, doit-il avoir plus de puissance que la société elle-même dont il applique les lois?
Quand donc je refuse d'obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander; j'en appelle seulement de la souveraineté du peuple à la souveraineté du genre humain.[...] Qu'est-ce donc une majorité prise collectivement sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraire à un autre individu qu'on nomme la minorité? Or, si vous admettez qu'un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n'admettez-vous pas la même chose pour une majorité? Les hommes, en se réunissant, ont-ils changé de caractère? Sont-ils devenus plus patients dans les obstacles en devenant plus forts?
Pour moi je ne le saurais le croire; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l'accorderai jamais à plusieurs.

Tocqueville, De la démocratie en Amérique

Introduction

Ce texte de Tocqueville, traite des gouvernements qui, parce qu’ils ont été élus à la « majorité », ne prennent pas en compte les demandes et les besoins de la minorité. Or, cette minorité fait partie intégrante de la société, et l’ignorer est contraire à la loi adoptée par la majorité des hommes, et non d’un seul peuple :La justice.

Est il alors « juste » qu’un gouvernement sensé représenter la société ne tiennent pas compte de cette société prise en son entier ?

N’est ce pas une forme de dictature que ce tout pouvoir de la majorité contre la minorité ?

Découpage du texte

« je regarde comme (…) détestable cette maxime, qu’en matière de gouvernement la majorité d’un peuple à le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l’origine de tous les pouvoirs. Suis je en contradiction avec moi-même ? »

En posant cette question, c’est nous que l’auteur interpelle ; Comment pouvons nous, à la fois, détester qu’un gouvernement, parce qu’il est élu à la majorité, se permette d’ignorer les besoins de la minorité, et, tout à la fois, en respecter toutes les règles ?

« Il existe une loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes. Cette loi c’est la justice. La justice forme donc la borne du droit de chaque peuple. Une nation est comme un jury chargé de représenter la société universelle et d’appliquer la justice, qui est sa loi. Le jury, qui représente la société, doit-il avoir plus de puissance que la société elle-même dont il applique les lois ? ». Pour respecter la loi universellement adoptée par les hommes :La justice, le gouvernement devrait traiter tous les hommes de manière égale. Or, lorsque seuls les besoins de la majorité qui a élu ce gouvernement sont respectés, est ce juste ? Certes, les sanctions prises sont proportionnelles à la gravité de la faute pour tous les hommes, qu’ils fassent ou non partie de la majorité. Mais qu’en est il des inégalités sociales ? On le voit de nos jours, avec la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes d’un côté, et le chômage, les sans domicile fixe de l’autre.

« Quand je refuse d’obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander ; j’en appelle seulement de la souveraineté du peuple à la souveraineté du genre humain.(…) »

Les lois sont certes nécessaires, elles sont même la garantie de la liberté de l’individu par rapport à un autre individu, dans le cas de violences par exemple. Cependant, les lois votées « à la majorité », ne prennent pas en considération l’opinion minoritaire. La minorité va donc se trouver face à des lois qu’elle a le droit de trouver injustes, mais auxquelles elle devra toutefois obéir, sous peine de sanctions. Tocqueville nous explique ici que, si il ne peut empêcher ces lois, il ne se sent pas dans l’obligation d’y obéir si l’une d’elles lui semble injuste , et appelle pour cela à la « souveraineté du genre humain ».

« Qu’est ce donc qu’une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu à un autre individu qu’on nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu’un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n’admettez vous pas la même chose pour une majorité ? Les hommes, en se réunissant, ont-ils changé de caractère ? sont-ils devenus plus patients dans les obstacles en devenants plus forts ? Pour moi, je ne saurais le croire ; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l’accorderai jamais à plusieurs. »

Certaines lois permettent de respecter la liberté de chacun, ainsi celles qui empêchent de nuire à l’autre, et la soumission de l’autre en fait partie. Or la minorité est nécessairement soumise aux intérêts de la majorité. Tocqueville fait ici allusion à la dictature, en comparant celle « d’un homme puissant contre ses adversaires », et celle de la majorité sur la minorité. Et il refuse par conséquent à l’état ce qu’il refuserait de la part d’un concitoyen.

Conclusion

Dans ce texte, Tocqueville parle de l’injustice qu’il y a à ne pas traiter les hommes de façon égale, sous le couvert de servir avant tout l’opinion majoritaire. Cet état de fait représente pour lui une forme de dictature de la majorité sur la minorité, ce qui est tout à fait contraire aux principes de liberté d’égalité et de fraternité, sensés exister en démocratie.