Zola, La Curée - Chapitre I: La fin de repas des bourgeois

Plan linéaire en trois parties :
I. « Cependant les convives … ciselé »
II. « Les convives … légèrement tourné »
III. « Mme d’Espanet … couverte de poils roux »

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: bac-facile (élève)

Texte étudié

Cependant, les convives ne mangeaient plus. Un vent chaud semblait avoir soufflé sur la table, terni les verres, émietté le pain, noirci les pelures de fruit dans les assiettes, rompu la belle symétrie du service. Les fleurs se fanaient dans les grands cornets d’argent ciselé. Et les convives s’oubliaient là un instant, en face des débris du dessert, béats, sans courage pour se lever. Un bras sur la table, à demi penchés, ils avaient le regard vide, le vague affaissement de cette ivresse mesurée et décente des gens du monde qui se grisent à petits coups. Les rires étaient tombés, les paroles se faisaient rares. On avait bu et mangé beaucoup, ce qui rendait plus grave encore la bande des hommes décorés. Les dames, dans l’air alourdi de la salle, sentaient des moiteurs leur monter au front et à la nuque. Elles attendaient qu’on passât au salon, sérieuses, un peu pâles, comme si leur tête eût légèrement tourné. Madame d’Espanet était toute rose, tandis que les épaules de madame Haffner avaient pris des blancheurs de cire. Cependant, M. Hupel de la Noue examinait le manche d’un couteau ; M. Toutain-Laroche lançait encore à M. Haffner des lambeaux de phrase, que celui-ci accueillait par des hochements de tête ; M. de Mareuil rêvait en regardant M. Michelin, qui lui souriait finement. Quant à la jolie madame Michelin, elle ne parlait plus depuis longtemps ; très rouge, elle laissait pendre sous la nappe une main que M. de Saffré devait tenir dans la sienne, car il s’appuyait gauchement sur le bord de la table, les sourcils tendus, avec la grimace d’un homme qui résout un problème d’algèbre. Madame Sidonie avait vaincu, elle aussi ; les sieurs Mignon et Charrier, accoudés tous deux et tournés vers elle, paraissaient ravis de recevoir ses confidences ; elle avouait qu’elle adorait le laitage et qu’elle avait peur des revenants. Et Aristide Saccard, lui-même, les yeux demi-clos, plongé dans cette béatitude d’un maître de maison qui a conscience d’avoir grisé honnêtement ses convives, ne songeait point à quitter la table ; il contemplait avec une tendresse respectueuse le baron Gouraud, appesanti, digérant, allongeant sur la nappe blanche sa main droite, une main de vieillard sensuel, courte, épaisse, tachée de plaques violettes et couverte de poils roux.

Zola, La Curée - Chapitre I

Introduction

Parmi ses œuvres, Zola essaye de respecter les lois du naturalisme qu’il définit lui-même dans le Roman expérimental comme étant une description réaliste à laquelle on mêle la rigueur scientifique : c’est ce qui ressort de La Curée en 1872.

Homme qui méprise le Second Empire, Zola par la description de la fin de repas des bourgeois satire cette société.

Nous sommes ici dans le chapitre I qui marque une rupture temporelle avec les chapitre suivants : le repas se passe en octobre 1862 et c’est une scène brève. Chapitre d’exposition travaillé pour être séduisant, présentation des personnages. Dès le premier chapitre, on est dans le second empire avec un lieu qui le symbolise : le bois de Boulogne.

I. « Cependant les convives … ciselé »

- Mouvement descriptif avec progression à thème éclaté. Repas « ne mangeaient plus » éclaté par des détails « verre, pain, fruits »

- Alternance singulier / pluriel des groupes nominaux « les verres le pain, les pelures, les assiettes, la belle symétrie »

- Déchéance : « noirci, émietté, terni »

- Allitération en s : chaos « semblait avoir soufflé sur la table »

- Multiplication des pluriels = abondance

II. « Les convives … légèrement tourné »

- allitération en s : « Et les convives s’oubliaient là… grisent à petit coup » => ivresse, assouplissement des convives.
La satire commence ici.

- Léthargie : réseau lexical « regard vide », « alourdi », « béat » … ; temps des verbes -> plus que parfait à action achevée « les rires étaient tombés », « on avait bu et mangé » renforcé par les infinitifs passé du passage précédent « avoir soufflé »…

- Jeu des adjectifs ; « ivresse mesurée et décente » culte de l’apparence, hypocrisie du comportement. « qui se grisent à petits coups » qui boivent à petit coup.

- Rythme ; « le vague affaissement… » phrase longue, conjonction de coordination qui renforcent l’affaissement. La phrase est rallongée artificiellement.

- Vision fragmentée des corps : « un bras », « le regard », « front », « nuque » à pragmatisme.

- « Rendait plus grave encore la bande des hommes décorés » ironie : ils essayent de cacher leur ivresse en restant sérieux.
«la bande »= meute
« décorés »= pluriel.
Importance de ces hommes que par le groupe mais seuls ils ne sont rien. (Napoléon III distribuait des décorations à n’importe qui -> critique du second empire)

- Femmes : décrites comme guindées « elles sentaient des moiteurs » ; soumises « elle attendaient » ; « comme si leur tête eu légèrement tourné » rôle ironique du subjonctif.

III. « Mme d’Espanet … couverte de poils roux »

- Focalisation sur chaque personnage. On passe d’un personnage à l’autre par des détails qui les ridiculisent.

- Effet de variété : homme / femme, jeunes / vieux

- changement d’échelle : personnage = 1 partie du corps

- Le bourgeois est vulgaire par ses comportements : - « M. Huppel de la Noue examinait le manche d’un couteau » => absence totale d’activité intellectuelle

- « ; » marque un changement d’échelle. 2 personnages : Toutin Laroche et Haffner « lambeaux de phrases », « hochement de tête » => parlent pour ne rien dire, conversation sans intérêt.

- Intervention de Zola qui exprime son dégoût du second empire avec détails concrets : « rouge », «s’appuyant gauchement ». Ironie : intelligence qui n’est qu’un apparence.

- La description se termine par le baron Gouraud (le pédophile).
Symbole : la main droite -> hypocrisie, perversion, débauche : type le plus infecte du roman. Il symbolise tous les vices du Second Empire.
Homme hypocrite mais respecté car il est puissant à regard de Saccard: “Il contemplait avec une tendresse respectueuse” (argent), il contemple Gouraud plutôt que sa femme.

Conclusion

A travers cette description du repas de bourgeois, Zola réussit à critiquer subtilement cette société malsaine du second empire qui est une introduction aux thèmes qui suivront dans le roman: l’inceste, la corruption… Le second empire donne à admirer, respecter des êtres sans moralité. On voit bien que Zola est fidèle aux principes du naturalisme: provocation et observation des détails les plus infimes.