Abbé Prévost, Manon Lescaut: La rencontre

Commentaire en deux parties :
I. Récit de la rencontre,
II. Les deux personnages

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: bac-facile (élève)

Texte étudié

J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt ! J'aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers.

Elle me parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon coeur. Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance.

Abbé Prévost, Manon Lescaut

Introduction

Prévost est né en 1697 et mort en 1763. Il a été novice chez les Jésuites puis soldat puis il est devenu bénédictin. Il est parti ensuite en Angleterre puis en Hollande. Il a été ensuite aumônier du prince de Conti : il était chargé d’écrire une histoire de la famille CONDE. Il est mort d’une crise d’apoplexie.

Manon Lescaut a été écrit en 1731 : cette histoire fait parti des « mémoires d’un homme de qualité », commencée en 1728, comprenant 8 volumes et Manon Lescaut est le 7ème volume.
Le chevalier des Grieux rencontre l’homme de qualité et lui raconte son histoire avec Manon. A 17 ans, le chevalier a rencontré Manon, une jeune fille dont il tombe éperdument amoureux. Mais cet amour va être mouvementé et malheureux étant donné le caractère de la fille. Elle est assez immorale et donc, à cause d’elle le chevalier a toute de sorte de malheur. Il va être conduit à voler et à tuer en duel un de ces adversaires. Ils sont amenés à fuir en Amérique tous les deux et là, Manon meurt. Juste avant la rencontre, Grieux vient de terminer ces études et il est sur le point de rentrer dans l’ordre de Malte, un ordre religieux et militaire.

I. Récit de la rencontre

C’est un récit à la première personne donc c’est un récit subjectif : on a le point de vue du chevalier sur la scène.

1) Indices temporels

a) Le passé

Il s’est passé du temps entre la rencontre et le récit qui en est fait et donc le chevalier a du recul sur ce qu’il lui est arrivé avec l’expérience qu’il a acquise depuis.
l.1 : « Hélas, que ne le marquais-je un jour plus tôt »
l.25 : « son penchant au plaisir, qui s’était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite tous ces malheurs et les miens »
l.38 : « je me suis étonné 1000 fois en y réfléchissant »

Le recul va donner une certaine gravité au récit. C’est une scène déterminante et que, au lieu d’être un moment de bonheur, cette rencontre est un instant fatal. C’est le début de la catastrophe.

b) Le passé

Cela nous donne une impression de rapidité de l’action : les sentiments sont soudains, foudroyants et les changements sont très rapides : les personnages sont instantanément transformés.

2) Transformation de Des Grieux

Il est dans une attitude d’attente, de disponibilité : il doit partir le lendemain et donc se promène oisivement.
l.6 : « nous n’avions pas d’autres motifs que la curiosité »

Brusquement, ce jeune homme candide va se comporter comme jamais il l’avait fait auparavant.
A partir de la ligne 13, on va remarquer une progression rapide :
l.13 : « enflammé »
l.15 : il s’avance « je m’avançais » puis il parle
l.17 : « je lui demandai »

Ensuite, il lui fait comprendre son amour :
l.22 : « je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes sentiments » puis il combat la décision des parents.
l.26 : « je combattis la cruelle intention de ces parents »

Enfin, il lui promet de lui sacrifier sa vie pour elle.
l.36 : « j’emploierais ma vie pour la délivrer »
Le chevalier servant se dévoue pour sa dame.
C’est lui qui prend les initiatives, qui la séduit, qui s’engage.

3) Aveuglement du chevalier

On a un paradoxe.
l.20 : « l’amour me rendait déjà si éclairé ». Le couvent est une menace pour son amour. Il ne s’étonne pas de l’aisance de Manon.
l.17 : « elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée »
l.28 : « elle n’affecte ni rigueur ni dédain »

Une jeune fille bien élevée aurait du lui tourner le dos ; elle lui répond. Elle va même se confier à lui. Des Grieux adresse la parole à une personne sans la connaître. Elle a l’air très à son aise. Ce coup de foudre change ce chevalier. Son caractère naïf va lui faire facilement perdre la tête.

4) Les circonstances de la rencontre

a) Par hasard

Rien n’a été préparé, rien n’a été prémédité. Il aurait pu se trouver ailleurs et ne s’attendait pas à cette rencontre. Cet état de disponibilité va le livrer sans défense à Manon.

b) Circonstances banales, précises

La rencontre se fait dans la rue ; on nous précise les lieux de cette rencontre : l.5 : « l’hôtellerie d’Amiens »
l.5 : « le coche d’Arras »

Brusquement, il va y avoir transformation. La banalité va devenir une situation exceptionnelle et presque irréelle parce que plusieurs personnes descendent du coche ; lui est avec quelqu’un. Lors de la rencontre, les autres personnes disparaissent : atmosphère romanesque.

c) Descriptions sommaires et subjectives

On a peu de description de Manon.
l.7-8 : « elle est fort jeune »
l.10 : « elle me parut si charmante »

On a le point de vue du chevalier. On ne sait rien sur son physique. Comme elle a l’air jeune, Des Grieux veut la protéger. Elle a l’air surtout fragile, et donc cela va frapper des Grieux.

On suit l’évolution de sa passion. L’objectif est de nous montrer l’effet de la passion sur les personnages.

II. Les deux personnages

1) Le chevalier

a) Jeunesse, naïveté, timidité

Il a 17ans, elle en a 15. Jusqu’ici, il a fait des études sérieuses. Il est sans expérience avec les filles et est réservé.
l.11 : « moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes »
l.12 : « sagesse »

b) Sans défense

l.13 : « retenue »
l.14 : « excessivement timide »
l.3 : « toute mon innocence »
Il est totalement désarmé face à la jeune fille.

2) Caractère de Manon

a) Difficile à cerner

Toute la scène est racontée par le chevalier. Or le chevalier ne reste pas lucide.
Elle joue la comédie de la jeune fille soumise à ses parents et obéissante. On a du mal à déterminer ce qui est vrai de ce qui est joué.
On a les réflexions ultérieures que Des Grieux fait sur elle.

On a 2 visions superposées :
· Celle de la rencontre
· Celle du récit de la rencontre
Au moment où De Grieux raconte, il ne pense plus de Manon ce qu’il pensait d’elle avant.

b) Personnage double

· La victime

Elle veut se faire passer pour une innocente fragile, ayant des parents impitoyables. Elle veut lui faire de la pitié car ce sont ces parents qui l’envoient au couvent. Elle insiste sur sa résignation. Elle apparaît tout de même obéissante.
l.30-31 : « c’était apparemment la volonté du ciel, puisqu’il ne lui laissait nul moyen de l’éviter ».

Elle montre la volonté d’être protégé.

· La réalité du caractère de Manon

Il nous montre que malgré son jeune âge, elle a de l’expérience amoureuse se manifestant à travers l’aisance qu’elle fait à travers ce passage. Elle sait le parti qu’elle va tirer de lui. Elle veut se servir de lui. C’est elle qui mène la situation alors que lui croyait prendre l’initiative : il subit la volonté de la jeune fille.

Elle obtient, à la fin, quelqu’un qui peut lui éviter le couvent.
l.25 : « son penchant au plaisir » : c’est une petite vertu.
l.31-32 : « la douceur de ces regards, un air charmant de tristesse »
Cela nous montre la façon dont elle s’exprime, qu’elle joue la comédie, qu’elle le charme et que toutes ces paroles sont calculées.

Lui est prêt à tout sentant qu’il y a des obstacles. Ce texte est rédigé de telle sorte que le lecteur comprenne que cette jeune fille est très rusé et menteuse. Elle cherche à l’utiliser.

Conclusion

Dans ce texte, plusieurs perspectives s’entrecroisent ce qui donnent aux circonstances et aux personnages une vision démultipliée. On nous livre les mouvements du temps, du héros. Nous avons à la fois ce qui est dit, suggéré, contredit ou relativisé. Cela donne au récit de la vie, la complexité du réel et aux personnages, une densité étonnante. Le ton lui-même est à la fois légèrement ironique et tout d’un coup sérieux et grave. Ce coup de foudre qui soulève un jeune homme naïf et qui pourrait être très positif, très bénéfique nous suggère en fait le caractère inéluctable et néfaste de la passion.