Molière, Le Misanthrope - Acte I, scène 1

Commentaire en deux parties :
I. L'action,
II. Etude des caractères

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: bac-facile (élève)

Texte étudié

PHILINTE, ALCESTE.

PHILINTE

Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?

ALCESTE

Laissez-moi, je vous prie.

PHILINTE

Mais, encor, dites-moi, quelle bizarrerie...

ALCESTE

Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.

PHILINTE

Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher.

ALCESTE

Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.

PHILINTE

Dans vos brusques chagrins, je ne puis vous comprendre ;
Et quoique amis, enfin, je suis tous des premiers...

ALCESTE

Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.
J’ai fait jusques ici, profession de l’être ;
Mais après ce qu’en vous, je viens de voir paraître,
Je vous déclare net, que je ne le suis plus,
Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.

PHILINTE

Je suis, donc, bien coupable, Alceste, à votre compte ?

ALCESTE

Allez, vous devriez mourir de pure honte,
Une telle action ne saurait s’excuser,
Et tout homme d’honneur s’en doit scandaliser.
Je vous vois accabler un homme de caresses,
Et témoigner, pour lui, les dernières tendresses ;
De protestations, d’offres, et de serments,
Vous chargez la fureur de vos embrassements :
Et quand je vous demande après, quel est cet homme,
À peine pouvez-vous dire comme il se nomme,
Votre chaleur, pour lui, tombe en vous séparant,
Et vous me le traitez, à moi, d’indifférent.
Morbleu, c’est une chose indigne, lâche, infâme,
De s’abaisser ainsi, jusqu’à trahir son âme :
Et si, par un malheur, j’en avais fait autant,
Je m’irais, de regret, pendre tout à l’instant.

PHILINTE

Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable ;
Et je vous supplierai d’avoir pour agréable,
Que je me fasse un peu, grâce sur votre arrêt,
Et ne me pende pas, pour cela, s’il vous plaît.

ALCESTE
Que la plaisanterie est de mauvaise grâce !

PHILINTE
Mais, sérieusement, que voulez-vous qu’on fasse ?

ALCESTE

Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur,
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

Molière, Le Misanthrope - Acte I, scène 1

Introduction

La biographie de Molière se décompose en 2 étapes majeures :
- le temps de difficulté et d'apprentissage en Province,
- le temps de découverte de la cour, la gloire et la déception.

C'est un double regard qui influence le jugement de Molière moraliste. Il dénonce les artifices sociaux au nom du bon sens et de la " Juste Nature ".
La dénonciation, sa morale, s'exprime par le théâtre, des comédies de caractères, qui développent un portrait.

Ainsi, il peint les précieux, les faux-dévots et les faux-savants, un libertin, satirant à chaque fois le rejet, la haine du corps social concerné. Il entretient une relation difficile avec la cour, situation que le Misanthrope met en scène.

Le théâtre de Molière maîtrise parfaitement les idéaux et objectifs, et règles strictes du classicisme français, comme on peut le vérifier avec ce texte.

Annonce du plan

C'est une scène d'exposition à deux personnages : Alceste le bourru, et son ami, Philinte l'amical. Une querelle s'instaure entre les deux hommes.

Un étonnement, une surprise, originalité ? Le héros de la pièce est présent depuis le début. Cette présentation directe est bien en accord avec Alceste. Cette problématique sera celle, inhérente, à toute scène d'exposition.

Pour cela, Molière s'exprime par le vers Alexandrin : 36 vers parmi lesquels on distinguera 2 types de discours versifiés.

D'abord, la stichomythie : l'action passe par le vers, le discours est rapide. Ensuite, la tirade. Ces sont deux formes accordées à l'évolution des sentiments, de l'emportement au calme relatif.

Nous aborderons ce texte par une analyse méthodique autour des intérêts d'une scène d'exposition :
- la révélation d'une action,
- la présentation des personnages.

I. L'action

Le mot action est prononcé par Alceste au début de la tirade : il est valorisé par la diérèse, donc porteur d'un message important.

On remarque qu'un verbe de perception survient peu après (" Je vous vois "), qui a charge de restituer la scène antérieure qui vient de se passer : Philinte a manifesté trop d'amitié à un courtisan qu'il ne connaît même pas. Cette action unique est passée, ne sert pas l'intrigue, et est alibi d'une présentation des caractères.

On ne sera pas surpris de la minceur des éléments dramatiques. Nous sommes dans une comédie de caractères.

II. Etude des caractères

Alceste

Une spécificité du théâtre passe par le langage. Mais surtout la peinture approfondie de la psychologie de l'âme, de l'intériorité des personnages. Toute parole au théâtre est intentionnelle, les premières répliques particulièrement.

On cherche son caractère à partir des formes de son discours :
- Parler à la 1ère personne du singulier : Il est suremployé dès le 1er vers, et est un signal (6 fois en 3 vers) en redondance.
- valorisation en début du vers.
Déjà, Alceste choque dans cette société où le Moi est haïssable.

- Discours injonctif : Il est autoritaire, donne des ordres, leçons, reproches, " laissez ", " rayez ", " qu'on ne lâche ", " qu'on soit ".
Il y a abondance des modes impératifs et subjonctifs. Expression et un caractère fort, un peu décalé, dans une société domestiquée.

- De plus, Alceste suremploie l'hyperbole, " mourir de honte ", " scandalisé ", " accablé de caresses ", " dernières tendresses ", " fureur de vos embrassements ", " je m'irai pendre ".

Il y a surcharge dans le discours de ces métaphores excessives. Ce sont ces formes qui expriment l'authenticité du personnage, mais en complet décalage avec les valeurs classiques, qui sont la mesure et la retenue. Alceste est incapable d'euphémisme, de litote, pourtant forme idéale. Philinte dira à peine plus loin : " La parfaite raison fuit toutes extrémités ".

Par ailleurs, son discours peut paraître très affectif, à travers le vocabulaire : " cour " revient 2 fois, dont le dernier mot du texte, avec " tendresse ", " embrassement ", " caresse ", " désapprouvé ". Cet homme est un sensible, proche du baroque ou romantique, mais il n'est pas de son temps.

Enfin, son vocabulaire restitue trop les anciennes valeurs. " Tout hommes d'honneur, abaisser son âme, . Morbleu ! ". Nostalgie des vertus antérieures de la chevalerie, galvaudées au XVII ème siècle, et nostalgie de la sincérité, de toute évidence du roi Henri.

Synthèse partielle :
Il y a 5 facettes du personnage d'Alceste dans son discours :
- égocentrisme,
- autorité,
- excès,
- affectivité,
- nostalgie.

Autant de valeurs décalées dans la société du XVII ème siècle.

Philinte

Le caractère en contrepoint qui fait valoir, qui met en valeur celui d'Alceste par contraste. On décèle des formes inversées : Pronom neutre " On " (3 fois).

L'interrogation (4 questions) s'oppose à l'injonction. Enfin, la distanciation s'oppose à l'affectivité.

Ironie dans l'humour dans le thème de la pendaison. L'humour est une conception de la raison, différente de la sensibilité.

Conclusion

Le contrat d'une scène d'exposition est-il bien rempli ?

Au niveau de l'action, nous n'avons rien appris, si ce n'est la querelle alibi, qui permet la révélation des caractères. Par contre, au niveau de cette étude, il faut reconnaître que le génie du dramaturge, qui charge le langage d'Alceste et de Philinte de traces multiples, révélatrices, de portrait.

Alceste : déjà un exclu !
Célimène le jugera " d'extravagant".

Philinte, lui, est le personnage intégré, " L'Honnête Homme ", " Celui qui fait en sorte que l'on soit content de lui ".

On peut convenir que cette scène remplit son contrat pour une comédie de caractères.