Maupassant, Pierre et Jean - Chapitre 4

Commentaire en trois parties :
I. Perturbation psychologique,
II. Le monologue intérieur,
III. L'appel du large et de l'ailleurs

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: bac-facile (élève)

Texte étudié

Elle l’avait aimé. Pourquoi pas ? C’était sa mère ! Eh bien ! fallait-il être aveugle et stupide au point de rejeter l’évidence parce qu’il s’agissait de sa mère ?

S’était-elle donnée ?… Mais oui, puisque cet homme n’avait pas eu d’autre amie ; — mais oui, puisqu’il était resté fidèle à la femme éloignée et vieillie, — mais oui, puisqu’il avait laissé toute sa fortune à son fils, à leur fils !…

Et Pierre se leva, frémissant d’une telle fureur qu’il eût voulu tuer quelqu’un ! Son bras tendu, sa main grande ouverte avaient envie de frapper, de meurtrir, de broyer, d’étrangler ! Qui ? tout le monde, son père, son frère, le mort, sa mère !

Il s’élança pour rentrer. Qu’allait-il faire ?

Comme il passait devant une tourelle auprès du mât des signaux, le cri strident de la sirène lui partit dans la figure. Sa surprise fut si violente qu’il faillit tomber et recula jusqu’au parapet de granit. Il s’y assit, n’ayant plus de force, brisé par cette commotion.

Le vapeur qui répondit le premier semblait tout proche et se présentait à l’entrée, la marée étant haute.

Pierre se retourna et aperçut son œil rouge, terni de brume. Puis, sous la clarté diffuse des feux électriques du port, une grande ombre noire se dessina entre les deux jetées. Derrière lui, la voix du veilleur, voix enrouée de vieux capitaine en retraite, criait :

— Le nom du navire ?

Et dans le brouillard la voix du pilote debout sur le pont, enrouée aussi, répondit :

— Santa-Lucia.

— Le pays ?

— Italie.

— Le port ?

— Naples.

Maupassant, Pierre et Jean - Chapitre 4

Introduction

Il s'agit ici d'un passage de Pierre et Jean, extrait du chapitre 4. La scène se déroule en extérieur dans le port du Havre. Pierre, un jeune médecin célibataire, vient de découvrir que Maréchal, un ancien ami de la famille vient de léguer tout son patrimoine à son frère Jean. Marowsko, immigré polonais et ami de Pierre, qui l'a interrogé sur cet héritage problématique, un peu plus haut dans le même chapitre, est venu renforcé ses doutes quant au passé de sa mère - Mme Roland - et à l'éventualité d'avoir entretenu avec le Maréchal des relations adultères. Dans ce passage, Pierre est en proie à une réflexion douloureuse qui vient fouetter son amour propre. On observe ici tout le travail d'introspection que Maupassant fait subir à son personnage.

La perturbation psychologique que vit Pierre dans cet extrait, le monologue intérieur qu'il livre à lui-même et l'appel du large et de l'ailleurs dans ce lieu qu'est le port tels seront les fils conducteurs de notre étude.

Composition du texte

Le texte est composé de 7 paragraphes structuré par 3 mouvements

Elle l'avait aimé à à son fils, à leur fils (l.9) : Pierre est envahit par le doute qui est restitué par le discours indirect libre et se livre à un travail d'introspection. C'est un délire structuré.

2) Et Pierre se leva (l.10) à le mort, sa mère (l.14) : après le délire la fureur de Pierre qui semble pris par une rage violente illustrée par ses gestes et paroles qui traduisent sa pulsion meurtrière.

3) Il s'élança pour rentrer (l.15) jusqu'à Naples (l.38) : le situation se retourne, à la violence intérieure répond une violence extérieure (le cri strident de la sirène) qui le ramène au réel et l'engourdit de la même manière.

I. Perturbation psychologique

La tension psychologique intérieure qui agite Pierre se manifeste dès le premier paragraphe et se prolonge dans les deux paragraphes suivants. Cette tension s'exprime notamment avec le discours indirect libre présent dans ces paragraphes : Elle l'avait aimé. pourquoi pas ? (l.1). ; S'était-elle donnée ? (l.6). L'emploi du discours indirect libre ici souligne les perturbations auxquelles est en proie le personnage et permet de mieux restituer le drame intérieur de Pierre. Maupassant accentue le travail d'introspection en appliquant ses données au caractère introverti de Pierre. Car en effet Pierre se tourne vers son moi s'interroge et se pose des questions qui n'en sont pas en fait car il en connaît déjà les réponses mais ne veut pas se résigner à les admettre : Fallait-il être aveugle stupide au point de rejeter. ? (l.2) S'était-elle donnée ? (l.6). Mais la vérité redoutée peut difficilement être mise sur le compte du délire, et Pierre qui, plus haut dans le chapitre, ayant revécu son enfance mentalement, a imaginé la jeunesse de sa mère sous un nouveau jour. C'est cette fatalité, ce caractère certain qui enrage Pierre. Il prend finalement conscience de la réalité qui révélé par la répétition obsessionnelle du confirmatif mais oui ainsi que l'anaphore en puisque qui institue la chose comme étant une évidence. On observe ainsi une dramatisation de la tension prenant appui sur la prise de conscience qui évolue en se clarifiant (dans le second paragraphe) et mène à la pulsion meurtrière de Pierre.

II. Le monologue intérieur

On remarque clairement dans ce passage - et c'est ce qui est le plus suggestif - que Pierre se livre un monologue intérieur qui dépeint par ailleurs son délire mental. Ainsi, la première ligne du passage se caractérise par l'alternance de phrases courtes affirmative, puis interrogative et enfin exclamative qui traduisent le trouble de Pierre et son délire. De plus, les points de suspension qui jonchent le début du texte viennent confirmer cette idée de délire et de divagation.

Il faut cependant noter qu'il s'agit malgré les apparences d'un délire structuré qui évolue avec un raisonnement logique. Ainsi ceci est mis en évidence par les raisonnements déductifs apparus dans le premier mouvement : parce que ; anaphore en puisque qui indiquent que malgré son désordre mental Pierre parvient tout de même à garder un minimum de lucidité. On peut également se référer dans la même logique, à l'évocation par Pierre d'éléments antérieurs qui indiquent le recoure à la mémoire et la raison qui prouve que Pierre garde un minimum de logique et de clairvoyance : cet homme n'avait pas d'autre amie ; il était resté fidèle à la femme éloigné et vieillie ; il avait laissé toute sa fortune à son fils , à leur fils ! Cette dernière phrase marque la réelle prise de conscience de Pierre et sa certitude.

Ce délire aboutit à la violence qui mène à une pulsion de meurtre. On peut ainsi relever le champ lexical de la violence : fureur, tuer, frapper, meurtrir, broyer, étrangler qui évolue en crescendo. On remarque aussi que cette violence ne vise personne en particulier mais a pour objet son entourage familial et le Maréchal qui se trouve au cour de la haine de Pierre. Mais cette violence est stoppé net par la réplique de la sirène. Pierre est tiré de son combat moral intérieur.

III. L'appel du large et de l'ailleurs

Après la tempête, l'accalmie revient. En effet Pierre est violemment arraché à son introspection par une rude commotion qui le ramène au réel et anéanti sa vigueur et sa véhémence meurtrière.

On observe que l'auteur évoque dès à présent l'appel de l'ailleurs. Ainsi, Maupassant utilise un écriture métaphorique qui rappelle indirectement la voix des sirènes à laquelle Ulysse résista au cours de Son Odyssée : le cri strident de la sirène (l.17). Mais Pierre lui cédera finalement à la tentation du départ. Par ailleurs, on remarque que la synecdoque du bateau (l.26 : oeil rouge) qui entre dans le port semble peindre l'oeil peut-être rempli de larmes de Pierre lui-même, d’où sa rougeur. On remarque par ailleurs le champ lexical portuaire : tourelle ; mât de signaux ; sirène ; parapet de granit ; vapeur ; marée ; jetées ; veilleur ; capitaine. Ce champ lexical suggère la fuite et l'exil prochain de Pierre.

Les questions particulièrement brèves de l'échange entre le veilleur et le capitaine participent au déroulement presque tragique de la tension du récit. Enfin , l'intérêt de ce dialogue est peut-être d'anticiper la fin, l'idée du départ de Pierre...

Conclusion

Ainsi, dans cet extrait, Maupassant restitue magnifiquement les mouvements psychologiques intérieurs, tumultueux et agités, qui secouent le personnage introverti de Pierre. Ce même qui dans un monologue intérieur révèle son trouble et son désordre intérieur, un délire qui aboutit même à un désir de meurtre. Mais, violemment sorti de sa rêverie, on comprend la subtile évocation par l'auteur d'un éventuel départ de Pierre et l'appel d'un ailleurs. Mais le trouble et le déchirement intérieur de Pierre s'arrêtera-t-il pourtant ici n'affectera-t-il pas ses proches s'il ne peut pas le garder pour lui seul ?