Victor Hugo, Ruy Blas - Acte III, scène 5

Commentaire en deux parties :
I. Deux enjeux opposés,
II. Un mépris de classe opposé au courage du héros

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: zetud (élève)

Texte étudié

DON SALLUSTE
[...]
Regardez vos blasons, don César. C'est fort clair.
Cela ne se fait pas entre parents, mon cher.
Les loups pour nuire aux loups font-ils les bons apôtres ?
Ouvrez les yeux pour vous, fermez-les pour les autres.
Chacun pour soi.

RUY BLAS, se rassurant un peu.
Pourtant, monsieur, permettez-moi,
Monsieur de Priego, comme noble du roi,
A grand tort d'aggraver les charges de l'Espagne.
Or, il va falloir mettre une armée en campagne ;
Nous n'avons pas d'argent, et pourtant il le faut.
L'héritier bavarois penche à mourir bientôt.
Hier, le comte d'Harrach, que vous devez connaître,
Me le disait au nom de l'empereur son maître.
Si monsieur l'archiduc veut soutenir son droit,
La guerre éclatera...

DON SALLUSTE
L'air me semble un peu froid.
Faites-moi le plaisir de fermer la croisée.

RUY BLAS, pâle de honte et de désespoir, hésite un moment ; puis il fait un effort et
se dirige lentement vers la fenêtre, la ferme, et revient vers don Salluste, qui, assis
dans le fauteuil, le suit des yeux d'un air indifférent.

RUY BLAS, reprenant et essayant de convaincre don Salluste.
Daignez voir à quel point la guerre est malaisée.
Que faire sans argent ? Excellence, écoutez.
Le salut de l'Espagne est dans nos probités.
Pour moi, j'ai, comme si notre armée était prête,
Fait dire à l'empereur que je lui tiendrais tête...

DON SALLUSTE, interrompant Ruy Blas et lui montrant son mouchoir qu'il a laissé
tomber en entrant.
Pardon ! ramassez-moi mon mouchoir.

RUY BLAS, comme à la torture, hésite encore, puis se baisse, ramasse le mouchoir, et
le présente à don Salluste. Don Salluste, mettant le mouchoir dans sa poche.
Vous disiez ?...

RUY BLAS, avec effort.
Le salut de l'Espagne ! - oui, l'Espagne à nos pieds,
Et l'intérêt public demandent qu'on s'oublie.
Ah ! toute la nation bénit qui la délie.
Sauvons ce peuple ! Osons être grands, et frappons !
Ôtons l'ombre à l'intrigue et le masque aux fripons !

DON SALLUSTE, nonchalamment.
Et d'abord ce n'est pas de bonne compagnie.
Cela sent son pédant et son petit génie
Que de faire sur tout un bruit démesuré.
Un méchant million, plus ou moins dévoré,
Voilà-t-il pas de quoi pousser des cris sinistres !
Mon cher, les grands seigneurs ne sont pas de vos cuistres.

Victor Hugo, Ruy Blas - Acte III, scène 5

Contexte de l'extrait

Contexte historique

XIXe siècle
→ monarchie constitutionnelle
→ Romantisme

Situation de l’extrait

Don Salluste est un Grand d’Espagne de la fin du XVIIe où la royauté chancèle, humilié par la Reine il veut se venger. Il demande à Ruy Blas, son valet amoureux de la Reine, de se faire passer pour Don César, son cousin qui vit loin de la cour. Ruy Blas assume alors des responsabilités et devient duc, sous sa couverture, il a fait chasser les nobles corrompus.

Enjeux de l’extrait

Ramener Ruy Blas à son rôle de valet.

I. Deux enjeux opposés

Dès son arrivé, Don Salluste rappelle de manière implicite à Ruy Blas que sa noblesse est usurpée : « Regardez vos blasons » ; il lui donne une leçon à l’aide de maxime et de présent de vérité générale et lui montre qu’il ne sait rien : « cela ne se fait pas », « les loups pour nuire aux loups font-ils de bons apôtres ? »
→ cynisme
→ les nobles sont présentés comme des loups et non pétris de bonnes intentions comme Ruy Blas
→ négation du peuple et de l’État, « ouvrez les yeux pour vous, fermez-les pour les autres »
→ la cour se révèle individualiste
→ éloge du profit personnel, de la cupidité et de l’individualisme
→ esprit de caste

Ruy Blas n’est pas confiant, prend des précautions lors de sa prise de parole : « Pourtant monsieur, permettez-moi ». Il présente la situation à la 3e personne sans jugement personnel, comme un simple constat : « il va falloir »
→ tournure impersonnelle et verbe de nécessité
→ présente une synthèse lucide et objective de la situation de l’Etat. Il s’associe à l’intérêt de l’Etat : “nous n’avons pas d’argent”. Il accumule les noms et les titres comme un argument d’autorité et pour montrer qu’il est expert et parle avec les puissants.

II. Un mépris de classe opposé au courage du héros

Don Salluste lui coupe la parole, l’ignore et lui donne un ordre pour remettre Ruy Blas à sa place et lui montrer qu’il est le maître, uniquement préocupé de lui même. Il méprise totalement l’argumentation de Ruy Blas car il le coupe pour un motif insignifiant.

La didascalies longue montre que Ruy Blas est au supplice et doit faire des efforts. Mais il reprend ensuite son argumentation
→ courage, il reprend la même problématique mais plus ciblée et synthétisé pour évité que Don Sallustre lui coupe la parole.
Il use d’extrème politesse : “excellence, écoutez”. Il cherche à montrer qu’il est important et ne peut être démasqué : “pour moi”, et tente de ramener Don Sallustre à de grands sentiments : “nos probités”.
→ conduite noble, au service de l’état.

Don Sallustre n’écoute pas Ruy Blas et lui donne un ordre plus brutal et très humiliant : “Ramassez-moi mon mouchoir”. Les propos de Ruy Blas sont ineptes pour lui : “vous disiez ?”.

Ruy Blas synthétise encore plus ces propos pour ne gardez que les mots forts pour se donner un ton enthousiaste et éviter d’être coupé. Il tente de faire adhérer Don Salluste à l’aide de la 2e personne du plurielle. Il fait preuve de ressourses de rhétorique : “ôtons l’ombre à l’intrigue et le masque aux frippons
→ césure à l’hémistiche, métonymie, chiasme, alitération en –r qui donne une impression de grand combat. Il est véhément.

A l’inverse, Don Salluste est nonchalent, il maîtrise le temps. Il continue sa leçon à l’aide de présent de vérité générale : “ce n’est pas de bonne compagnie”, et insulte Ruy Blas : “son pédant et son petit génie”. Il le remet à sa place en sous-entendent qu’il n’est pas à la hauteur : “bruit démesuré”. Il montre que pour un noble l’argent est insignifiant : “un méchant million” et ramène les émotions de Ruy Blas à de l’animalité et nie complétement son discours : “bruit”,“cris”. Il écrase Ruy Blas : “les grands seigneurs ne sont pas de vos cuistres”.

Conclusion

→ anéantissement total du valet malgré la grandeur dont il témoigne
→ le succès de Don Salluste paraît définitif
→ La grandeur individuelle et la noblesse des préoccupations de Ruy Blas ne peuvent rien contre les préjugés de classe
→ Ruy Blas est le seul à défendre l’intérêt public
→ Pour Victor Hugo, Ruy Blas est le représentant de l’intérêt du peuple, le seul capable de grands principes, à être idéaliste, lucide, généreux à l’opposé de ceux qui détiennent le pouvoir, corrompus, cynique
→ Ruy Blas est un héros Romantique qui vit intensément ses passions, ses enthousiasmes, qui n’hésite pas à manier l’emphase (vers long, qui se déploie, avec des exclamations)

Ruy Blas est un héros romantique :
→ il est porteur d’intérêt général
→ il est capable de souffrance
→ il est capable d’organiser un discours