Corneille, L'Illusion comique - Acte IV, scène 7: Monologue de Clindor

Commentaire en deux parties.

Dernière mise à jour : 20/11/2021 • Proposé par: elsai (élève)

Texte étudié

CLINDOR, en prison

Aimables souvenirs de mes chères délices,
Qu'on va bientôt changer en d'infâmes supplices,
Que malgré les horreurs de ce mortel effroi,
Vos charmants entretiens ont de douceurs pour moi !
Ne m'abandonnez point, soyez-moi plus fidèles
Que les rigueurs du sort ne se montrent cruelles ;
Et lorsque du trépas les plus noires couleurs
Viendront à mon esprit figurer mes malheurs,
Figurez aussitôt à mon âme interdite
Combien je fus heureux par delà mon mérite.
Lorsque je me plaindrai de leur sévérité,
Redites-moi l'excès de ma témérité :
Que d'un si haut dessein ma fortune incapable
Rendait ma flamme injuste, et mon espoir coupable ;
Que je fus criminel quand je devins amant,
Et que ma mort en est le juste châtiment.
Quel bonheur m'accompagne à la fin de ma vie !
Isabelle, je meurs pour vous avoir servie ;
Et de quelque tranchant que je souffre les coups,
Je meurs trop glorieux, puisque je meurs pour vous.
Hélas ! que je me flatte, et que j'ai d'artifice
A me dissimuler la honte d'un supplice !
En est-il de plus grand que de quitter ces yeux
Dont le fatal amour me rend si glorieux ?
L'ombre d'un meurtrier creuse ici ma ruine :
Il succomba vivant, et mort il m'assassine ;
Son nom fait contre moi ce que n'a pu son bras ;
Mille assassins nouveaux naissent de son trépas ;
Et je vois de son sang, fécond en perfidies,
S'élever contre moi des âmes plus hardies,
De qui les passions, s'armant d'autorité,
Font un meurtre public avec impunité.
Demain de mon courage on doit faire un grand crime,
Donner au déloyal ma tête pour victime ;
Et tous pour le pays prennent tant d'intérêt,
Qu'il ne m'est pas permis de douter de l'arrêt.
Ainsi de tous côtés ma perte était certaine :
J'ai repoussé la mort, je la reçois pour peine.
D'un péril évité je tombe en un nouveau,
Et des mains d'un rival en celles d'un bourreau.
Je frémis à penser à ma triste aventure ;
Dans le sein du repos je suis à la torture :
Au milieu de la nuit, et du temps du sommeil,
Je vois de mon trépas le honteux appareil ;
J'en ai devant les yeux les funestes ministres ;
On me lit du sénat les mandements sinistres ;
Je sors les fers aux pieds ; j'entends déjà le bruit
De l'amas insolent d'un peuple qui me suit ;
Je vois le lieu fatal où ma mort se prépare :
Là mon esprit se trouble, et ma raison s'égare ;
Je ne découvre rien qui m'ose secourir,
Et la peur de la mort me fait déjà mourir.
Isabelle, toi seule, en réveillant ma flamme,
Dissipes ces terreurs et rassures mon âme ;
Et sitôt que je pense à tes divins attraits,
Je vois évanouir ces infâmes portraits.
Quelques rudes assauts que le malheur me livre,
Garde mon souvenir, et je croirai revivre.
Mais d'où vient que de nuit on ouvre ma prison ?
Ami, que viens-tu faire ici hors de saison ?

Corneille, L'Illusion comique - Acte IV, scène 7

L’Illusion Comique est une tragi-comédie écrite par Corneille en 1636. Cette pièce de théâtre est à la rencontre de plusieurs genres théâtraux puisque Corneille l’annonce lui-même dans le prologue : « Le premier acte n’est qu’un prologue, les trois suivants font une comédie imparfaite, le dernier est une tragédie, et tout cela cousu ensemble fait une comédie. » Dans cette pièce, Pridamant écoute l’histoire de son fils, Clindor, raconté par un magicien. Dans la scène 7 de l’acte IV, Clindor, emprisonné pour avoir tué par légitime défense Adraste, exprime dans un monologue tragique et pathétique, son désespoir d’être promis à une mort certaine et d’être privé de son amour pour Isabelle.

En quoi cette scène met-elle en avant la vraie personnalité de Clindor ? Dans un premier temps, nous étudierons ce monologue aux sentiments paradoxaux, puis nous verrons comment le personnage se dévoile.

I. Un monologue aux sentiments paradoxaux

Des sentiments intimes pour Isabelle

Clindor, dans ce monologue, se confie aux spectateurs en dévoilant ses sentiments intimes pour Isabelle, il repense à elle et aux moments passés à ses côtés. Il y a une grande prise de conscience du personnage, il a du temps pour repenser à ce qu’il a perdu et se rend compte de son amour : « Quel bonheur m’accompagne à la fin de ma vie » v. 1241. Malheureusement il en prend conscience trop tard et son amour rêvé devient impossible « Que je fus criminel quand je devins amant » v. 1239. Il dévoile sa flamme mais sait qu’il est trop tard car il est condamné à mourir : « Et sitôt que je pense à tes divins attraits/ Je vois évanouir ces infâmes portraits » v. 1279 – 1280. Il est totalement dévasté par ce qui lui arrive, il aimerait vivre avec Isabelle « Isabelle, toi seule en réveillant ma flamme » v. 1277.

Mais une souffrance due à un amour impossible

Mais Clindor, dans son monologue montre aussi qu’il est accablé par la souffrance de son amour impossible avec Isabelle. Il personnifie ses souvenirs pour les faire revenir « aimables souvenirs » v. 1255. Il leur donne des ordres en utilisant l’impératif « Ne m’abandonnez point, soyez moi plus fidèles » v. 1229, cela l’aide à tenir, ça le fait espérer « figurez » v. 1233, « redites-moi » v. 1236. Clindor parle au passé simple, qui est un temps révolu, ce qui accentue le fait que son bonheur est terminé « je fus », « je me plaindrai», « je devins », « viendront ».

Les phrases exclamatives montrent elles-aussi son émotion, tantôt ce sont des souvenirs heureux, lorsqu’il repense à Isabelle « Vos charmants entretiens ont de douceurs pour moi ! » v. 1228, tantôt ce sont des visions d’horreurs lorsqu’il pense à la mort « A me dissimuler la honte d’un supplice ! » v. 1246. Mais, il reste hanté par l’idée de sa mort prévue pour le lendemain.

Clindor aime Isabelle mais est effrayé à l’idée de mourir. Ce monologue marque la fin de la comédie avec Matamore, les problèmes d’Isabelle et de Géronte, son père, sont bel et bien fini. Comme l’avait annoncé Corneille, la tragédie commence, avec pour l’introduire, la mort d’Adraste et bientôt celle de Clindor.

II. Une scène qui dévoile le personnage de Clindor

Un héros tragique

Clindor est un héros tragique, il subit sa mort, il n’y peut rien, il subit son destin. Adraste, l’homme qu’il a tué va le tuer en retour, c’était un noble et il était donc plus puissant que lui « Son nom fait contre moi ce que n’as pu son bras » v. 1251, Clindor est courageux, Adraste était juste aisé. Bien que mort, celui-ci continue d’agir pour le mener à la mort « Et je vois de son sang fécond en perfidies » v.1253. Il oppose son courage au fait qu’il soit victime, on voit son désespoir dans ce vers « Demain de mon courage on doit faire un grand crime » v. 1257. Le champ lexical de la mort est très développé : « je meurs », « mortel », « mort », « meurtrier », « m’assassine », « meurtre », « crime », « funestes », « mourir ». Il est omnibulé par cette mort, on voit bien son innocence et l’injustice de sa condamnation. Clindor a toujours été un joueur, il a jonglé entre le jeu et la vie, cette confusion l’a mis en danger sa vie et l’emmène jusqu’en prison, à la vieille d’être exécuter. « J’ai repoussé la mort, je la reçois pour peine » v. 1262, on voit dans ce vers qu’il ne choisit pas, il a bien le poids de son destin entre ses mains. Il meurt pour Isabelle ce qui est de plus la définition d’un personnage tragique « Isabelle, je meurs pour vous avoir servie ; / Je meurs trop glorieux puisque je meurs pour vous » v. 1242 – 1244.

Un héros très effrayé par la mort

Clindor est aussi très effrayé de la situation dans laquelle il est. Il reste un vrai héros tragique, l’évocation de sa mort devient très visuelle, « Là mon esprit ce trouble, et ma raison s’égare » v. 1274. Il parle au présent comme s’il vivait la situation. On vit nous aussi la situation grâce à l’hypotypose qui renforce la réalité de ce qu’il l’attend « je tombe », « je frémis », « je suis à la torture ». Il imagine le moment où il trépassera « les fers aux pieds » v. 1271, l’endroit où il se fera assassiner « Je vois le lieu fatal où ma mort se prépare » v. 1273, il s’imagine la scène de façon tellement visuelle que l’on peut pratiquement la voir. On ressent la peur du personnage « Et la peur de ma mort me fais déjà mourir » v. 1276. Seule Isabelle le rassure dans sa peur et sa solitude « Isabelle, toi seule, en réveillant ma flamme, / Dissipes ces terreurs, et rassures mon âme » v. 1278 – 1279.

Conclusion

Dans ce monologue on voit bien la vraie personnalité de Clindor qui se dévoile au fur et à mesure. Nous avons enfin la certitude qu’il aime Isabelle, et on voit son chagrin causé par sa mort qui approche. Clindor est bel et bien un personnage tragique et c’est aussi un héros de tragédie, il meurt pour avoir servie et défendu son honneur. Il est noble d’esprit comme l’est Hamlet de Shakespeare, qui veut lui tuer son oncle pour venger son père.