Molière, Dom Juan - Acte III, scène 2

Une fiche en deux parties.

Dernière mise à jour : 11/11/2021 • Proposé par: zetud (élève)

Texte étudié

DOM JUAN, SGANARELLE, UN PAUVRE.

SGANARELLE.- Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.

LE PAUVRE.- Vous n’avez qu’à suivre cette route, Messieurs, et détourner à main droite quand vous serez au bout de la forêt. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour.

DOM JUAN.- Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon cœur.

LE PAUVRE.- Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône.

DOM JUAN.- Ah, ah, ton avis est intéressé, à ce que je vois.

LE PAUVRE.- Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu’il vous donne toute sorte de biens.

DOM JUAN.- Eh, prie-le qu’il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres.

SGANARELLE.- Vous ne connaissez pas Monsieur, bon homme, il ne croit qu’en deux et deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit.

DOM JUAN.- Quelle est ton occupation parmi ces arbres ?

LE PAUVRE.- De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose.

DOM JUAN.- Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise.

LE PAUVRE.- Hélas, Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde.

DOM JUAN.- Tu te moques ; un homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas manquer d’être bien dans ses affaires.

LE PAUVRE.- Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n’ai pas un morceau de pain à mettre sous les dents.

DOM JUAN.- Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins ; ah, ah, je m’en vais te donner un Louis d’or tout à l’heure, pourvu que tu veuilles jurer.

LE PAUVRE.- Ah, Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?

DOM JUAN.- Tu n’as qu’à voir si tu veux gagner un Louis d’or ou non, en voici un que je te donne si tu jures, tiens il faut jurer.

LE PAUVRE.- Monsieur.

SGANARELLE.- Va, va, jure un peu, il n’y a pas de mal.

DOM JUAN.- Prends, le voilà, prends te dis-je, mais jure donc.

LE PAUVRE.- Non Monsieur, j’aime mieux mourir de faim.

DOM JUAN.- Va, va, je te le donne pour l’amour de l’humanité, mais que vois-je là ? Un homme attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.

Molière, Dom Juan - Acte III, scène 2

Dans la scène précédente, Molière avait montré le matérialisme de Dom Juan. La scène 2 va servir à préciser les rapports de Dom Juan avec la religion à travers la rencontre d'un ermite nécessiteux.

I. Un affrontement manichéen

a) Le grand seigneur et le misérable

Tutoiement de Dom Juan envers le pauvre alors que celui ci le vouvoie... politesse excessive avec un effet de redondance. Cela traduit le mépris récurrent de Dom Juan envers ces inférieurs dans le plan social.

Le pauvre est anonyme et incarne ici donc la misère à cette époque (17ème siècle). On a ici le champ lexical de la misère "pauvre, plus grande nécessité "... avec une progression du concret vers l'abstrait. Abstrait : "grande nécessité du monde". Concret : "un morceau de pain à me mettre sous la dent".

Le pauvre prévient Dom Juan d'un danger. Plus important encore, Molière nous présente un homme qui a voué sa vie à prier pour les autres. Ses prières ont un caractère altruiste. Dom Juan ne comprend pas le coté désintéressé du pauvre. Pour Dom Juan en effet, tout s'achète et tout se vend.

b) Réaction de Sganarelle

Face à cet affrontement entre le bien et le mal, Sganarelle représente la médiocrité qui apparaît à travers la phrase de "va, va, jure un peu". Sganarelle reste complice de son maître et se désolidarise du pauvre.

II. Une scène à valeur symbolique

a) L'impie et le croyant

Dom Juan ironise envers la croyance du pauvre. Derrière cette ironie, Dom Juan veut montrer au pauvre l'inutilité de la religion: "voila qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins."

Le pauvre a choisi sa vie. C'est un ermite qui a consacré sa vie à Dieu. Dom Juan est en quelque sorte jaloux, envieux du pauvre qui a trouvé un sens à sa vie, la foi, alors que lui n'a aucun sens à son existence.

b) L'enjeu idéologique : le blasphème

Dom Juan demande au pauvre d'insulter Dieu et donc de renier sa foie. Le pauvre s'identifie à sa foie et s'il la renie, il n'aura plus rien et il se reniera lui-même.
On retrouve le goût de la destruction chez Dom Juan comme dans la scène avec Charlotte.

c) Dom Juan tentateur

On peut remarquer l'aspect corrupteur de Dom Juan. Il veut acheter la joie du pauvre par un louis d'or comme il a acheté Charlotte par une promesse de mariage.
On voit l'aspect diabolique de Dom Juan à travers les jeux de scène. On voit la progression des jeux de scènes. Le louis est mis sous les yeux des pauvres "en voici un que je te donne" ; "prends le , voila" . La tentation est de plus en plus forte pour le pauvre.

Ce louis d'or a une valeur symbolique. Il représente 30 deniers : cette somme représente l'argent que Judas, un des apôtres du Christ, avait reçu pour dénoncer le Christ à Pilate. Le rapprochement est ici évident, puisque Dom Juan demande au pauvre de renier Dieu pour 30 deniers.

d) L'échec de Dom Juan

Face à Dom Juan, le pauvre possède une force totale. Sa force morale lui vient de Dieu, d'où son nom Francisque (l'allusion ici est faire à l'ordre de Saint Francis. cet ordre là regroupe des croyant ayant fait voeu de pauvreté).

Pour ne pas perdre la face, Dom Juan donne le louis d'or "pour l'amour de l'humanité". La phrase est ambiguë. À travers cette phrase, Dom Juan lance un défi à Dieu. La phrase s'oppose à l'expression "pour l'amour de Dieu". Dom Juan ne se plie pas à la morale religieuse de l'époque, il est dans la provocation.

La morale de l'époque est de faire le bien pour faire plaisir à Dieu. Malgré tout, par son attitude sacrilège, Dom Juan a peut être réussi à mettre des doutes dans l'esprit du pauvre et peut être que sa défaite n'est pas totale. Par l'importance de la somme donnée, il y a peut être chez Dom Juan le désir que le pauvre se dégrade et qu'il fasse mauvais usage de cet argent.

Conclusion

Dans cette scène très audacieuse (car elle montre l'impiété de Dom Juan), on retrouve des traits de caractère importants et en particulier, la perversité et le goût de la destruction. Il veut détruire le pauvre sur le plan spirituel. Le défi vis à vis de Dieu devient plus concret . De plus, au thème de l'impiété de Dom Juan ; s'ajoute ici celui du sacrilège à travers le blasphème.