Voltaire, Candide - chapitre 5, paragraphe 1

Fiche en trois parties : I. un récit de tempête, II. Une suite d’événements qui en deviennent comiques, III. Dénonciation de l’absurdité du destin et de l’optimisme

Dernière mise à jour : 15/09/2021 • Proposé par: lindaca (élève)

Texte étudié

TEMPÊTE, NAUFRAGE, TREMBLEMENT DE TERRE, ET CE QUI ADVINT DU DOCTEUR PANGLOSS, DE CANDIDE ET DE L'ANABAPTISTE JACQUES

La moitié des passagers, affaiblis, expirants de ces angoisses inconcevables que le roulis d'un vaisseau porte dans les nerfs et dans toutes les humeurs du corps agitées en sens contraire, n'avait pas même la force de s'inquiéter du danger. L'autre moitié jetait des cris et faisait des prières ; les voiles étaient déchirées, les mâts brisés, le vaisseau entrouvert. Travaillait qui pouvait, personne ne s'entendait, personne ne commandait.
L'anabaptiste aidait un peu à la manoeuvre ; il était sur le tillac ; un matelot furieux le frappe rudement et l'étend sur les planches ; mais du coup qu'il lui donna il eut lui-même une si violente secousse qu'il tomba hors du vaisseau la tête la première. Il restait suspendu et accroché à une partie de mât rompue. Le bon Jacques court à son secours, l'aide à remonter, et de l'effort qu'il fit il est précipité dans la mer à la vue du matelot, qui le laissa périr, sans daigner seulement le regarder. Candide approche, voit son bienfaiteur qui reparaît un moment et qui est englouti pour jamais. Il veut se jeter après lui dans la mer ; le philosophe Pangloss l'en empêche, en lui prouvant que la rade de Lisbonne avait été formée exprès pour que cet anabaptiste s'y noyât. Tandis qu'il le prouvait a priori, le vaisseau s'entrouvre, tout périt à la réserve de Pangloss, de Candide, et de ce brutal de matelot qui avait noyé le vertueux anabaptiste ; le coquin nagea heureusement jusqu'au rivage où Pangloss et Candide furent portés sur une planche.

Voltaire, Candide, ou l'Optimisme - chapitre 5, paragraphe 1

En 1759, Voltaire publie pour la première fois un roman, intitulé Candide ou l'optimisme. François Marie Arouet dit Voltaire est un écrivain philosophe du XVIIIe siècle qui a marqué son siècle et occupe une place particulière dans la mémoire des français. Au chapitre V du récit, Candide qui a été chassé du château du baron de Thunder-ten-tronckh parce qu'il était amoureux de la fille de ce dernier, se retrouve à bord d'un vaisseau "assailli de la plus horrible tempête, à la vue du port de Lisbonne". Et durant un désastreux naufrage des bons périront et des mauvais survivront. De quoi se poser une nouvelle fois des questions sur la théorie de Pangloss qui dit que "tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles". Nous arrivons donc à nous demander comment l'optimisme de Pangloss est mis à mal dans ce passage. Nous essaierons dans un premier temps de résumer cette tempête, puis l'attitude des acteurs principaux de la scène et dans un second temps nous étudierons la dénonciation de l'absurdité du destin et de l'optimisme prôné par Pangloss.

I. Un récit de tempête

Voltaire nous décrit ce qui se passe à bord du bateau pris dans la tempête.

1) l’ambiance générale et le décor

L'auteur emploie le style narratif à l'imparfait pour nous expliquer que "les voiles étaient déchirées, les mats brisés, le vaisseau entrouvert". Il a recours au champ lexical de la marine (il parle du "tillac", de "voiles"…) mais curieusement pas à celui de la mer: il ne décrit pas du tout la tempête mais uniquement ses effets sur le bateau et les passagers. Tous sont en proie au désarroi le plus total.

2) Le désordre général

Le désordre est général même si les réactions des passagers sont différentes: la moitié d'entre eux, affaiblie par ce qui ressemble fort au mal de mer, n'avait même pas conscience du danger et restait complètement passive tandis que l'autre moitié, tout aussi inefficace, "jetait des cris et faisait des prières". Aucun membre d'équipage n'était capable de prendre en main le sort du navire et de ses passagers. Le capitaine est totalement absent de la scène, Tout espoir paraissait perdu.

Jusqu'ici l'auteur ne nous a pas encore parlé de son héros.

II. Une suite d’événements qui en deviennent comiques

Quelle va être la réaction de Candide?

1) Attitudes des personnages principaux

Son premier élan est de se jeter à la mer pour secourir son bienfaiteur. Il ne pense pas au danger et n'écoute que son cœur. Pangloss l'en empêche. Le pauvre Jacques est donc abandonné à son sort.

2) Une saynète animée et comique

Au cours de cette scène qui met aux prises Jacques et le matelot, les événements se succèdent avec une grande rapidité dans une description burlesque, notamment lorsque le passage décrit le matelot tombant hors du vaisseau et restant accroché à une partie de mât rompue. On a là un comique de situation accentué par le passage au temps présent qui rend le récit plus animé et plus rapide.

Voltaire a aussi recours au comique de l'absurde lorsqu'il fait dire à Pangloss que "la rade de Lisbonne avait été formée exprès pour que cet anabaptiste s'y noyât". Cette façon de raconter fait oublier le tragique du sort de l'anabaptiste.

III. Dénonciation de l’absurdité du destin et de l’optimisme

Au-delà de ces aventures tragi-comiques, Voltaire continue dans la lignée du conte philosophique en critiquant d'abord la nature humaine et ensuite la philosophie de l'Optimisme incarnée par le personnage de Pangloss.

Les personnages impliqués dans l'aventure, à l'exception de Jacques, sont dépassés par les événements. Dominés par leurs émotions, ils sont incapables de juger la gravité de la situation et d'avoir des réactions cohérentes. Surtout ils ne font preuve d'aucune solidarité. Ceci est mis en valeur par la concision de la phrase "travaillait qui pouvait, personne ne s'entendait, personne ne commandait". L'emploi des pronoms "qui" et "personne" donnent une valeur universelle à cette incapacité des hommes à réagir convenablement lorsqu'ils sont dominés par l'angoisse. On atteint un degré supplémentaire dans la satire lorsque le matelot attaque inconsidérément la seule personne qui tente de se rendre utile et finit par la laisser périr quand elle se porte à son secours. Notons que même Candide renonce à aider Jacques sur les conseils absurdes de Pangloss. On voit ici le pessimisme de Voltaire concernant la nature humaine.
Pangloss contribue à cette vision négative en empêchant l'élan généreux de Candide sous prétexte qu'il fallait que l'anabaptiste se noyât dans la rade. Cette philosophie de l'Optimisme est non seulement absurde, elle est aussi dangereuse et ne mène nulle part.

Conclusion

A la fin du récit, seuls sont sauvés Pangloss, Candide et le matelot brutal. Le destin est absurde et l'injustice totale. Voltaire établit un constat auquel on ne peut que se résigner.
Il dénonce ici le ridicule de l'optimisme sans limite qui voit dans chaque accident (même les plus graves, mortels) un mal nécessaire pour un bien plus global, si nécessaire qu'il ne faudrait ne pas porter secours aux victimes. Il vise ainsi Leibniz et son principe de raison suffisante selon lequel rien n’est sans une raison qui explique pourquoi il est plutôt qu’il n’est pas, et pourquoi il est ainsi plutôt qu’autrement.