Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs: Devoir moral

Commentaire fait par un élève. Note obtenue : 15/20.

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: manouche2 (élève)

Texte étudié

Il est sans doute conforme au devoir que le débitant n'aille pas surfaire le client inexpérimenté, et même c'est ce que ne fait jamais dans tout grand commerce le marchand avisé; il établit au contraire un prix fixe, le même pour tout le monde, si bien qu'un enfant achète chez lui à tout aussi bon compte que n'importe qui. On est donc loyalement servi; mais ce n'est pas à beaucoup près suffisant pour qu'on en retire cette conviction que le marchand s'est ainsi conduit par devoir et par des principes de probité; son intérêt l'exigeait, et l'on ne peut pas supposer ici qu'il dût avoir encore par surcroît pour ses clients une inclination immédiate de façon à ne faire, par affection pour eux en quelque sorte, de prix plus avantageux à l'un qu'à l'autre. Voilà donc une action qui était accomplie, non par devoir, ni par inclination immédiate, mais seulement dans une intention intéressée.
Une action accomplie par devoir tire sa valeur morale non pas du but qui doit être atteint par elle,mais de la maxime d'après laquelle elle est décidée;elle ne dépend donc pas de la réalité de l'objet de l'action,mais uniquement du principe du vouloir d'après lequel l'action est produite sans égard à aucun des objets de la faculté de désirer.

Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs (trad. V. Delbos)

Dans le langage courant,"Faire la morale à quelqu'un" c'est le réprimander, émettre des suggestions pour qu'il agisse conformément à la morale dans un futur proche. Mais cette expression cache une notion plus complexe à définir. On s'interroge alors sur la nature d'une conduite morale. La morale, du latin mores, traduit par les moeurs renvoient en fait a deux distinctes : les moeurs, règles de conduites propres à un groupe humain, à une société. Dans Fondements de la métaphysique des moeurs , Kant, philosophe prussien du 18eme siècle expose sa thèse selon laquelle la morale à une valeur plus universelle que les moeurs, en rupture avec la morale des antiques (du bonheur) une morale du devoir. Le passage se partage en deux temps temps forts qui nous amènent à articuler notre réflexion :
1) Une action qui répond aux valeurs morales peut-elle pour autant qualifiée de morale (suivre l'exemple du marchand avisé: condition non suffisante) ?
2) Qu'est ce qui rend mon action morale ? (au sens de Kant)
3) L'action morale de Kant est-elle réalisable pour l'homme ?

1.Les valeurs morale sont elles gage de bonté d'une action?
On suit l' exemple du marchand avisé qui établit un prix fixe pour tous ses clients, un cas d'ecole.

A première vue en dupant aucun clients, en ne profitant pas de l'ignorance et de la naiveté de ses clients le marchand avisé paraitrait être morale car il se refuse à faire du profit, à gagner plus d'argent bénéficiant de l'inexpérience des clients. Or, "c'est ce que ne fait jamais dans tout grand commerce le marchand avisé" , le marchand mettrait alors sa qualité d'habileté, qui réalise un maximum de moyens en vue d'une fin particulière, au service de sa conscience morale. De plus, cela sous entend que tous les marchands de grands commerce se tiennent d' être le plus juste avec tous leurs clients de manière entièrement désintéressée comme l'indique le devoir kantien ( intention de faire le bien sans aucune fin utilitaire).
Mais s'il est vrai que le marchand agit conformément au devoir, agit-il véritablement par respect de la loi morale qui préconise à l'homme de suivre des valeurs universelles comme la bienveillance ou l'honnêteté ?
Pour Kant en agissant de la sorte, de la même manière que le marchand avisé, on ne sert que son propre intérêt. En effet le marchand ne peut pas se permettre de voler quelques naïfs puisque sa réputation serait moins prestigieuse, il pourrait même perdre des client. L'acte du marchand est guidé par son désir de prospérité, il use rationnellement de sa raison et non raisonnablement comme l'indiquerait la morale kantienne. Pour Kant, l'homme ne doit pas rechercher le bonheur mais mériter d'y accéder. Et la thèse la plus plausible est que l'intérêt seul gouvernait l'acte du marchand (commerce : activité utilitaire, technique non humaniste). Le marchand obéirait plus à la morale comme calcul d'intérêt ( cf thèse de Bentham, l'arithmétique des plaisirs).

2. Ce n'est donc pas le contenu de l'action qui demontre si elle est morale ou non mais plutot son intention.

Une action est considérée comme morale par son principe qui la gouverne , l'intention ( cf Critique de la raison pure Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne universelle"[/i] Il faut alors me demander si j'agis d'après les circonstances ou si mon action est valable en tout temps et en tout lieu: si c'est le cas mon action est morale. L' impératif catégorique vise l'autonomie de l'individu "la volonté d'après laquelle la maxime est décidée " doit se présenter comme une obligation -> aucune force ne va contraindre l'individu à accomplir l'action, sa liberté s'offre à lui. Exemple du marchand, exemple de la vie quotidienne: à une question embarrassante une homme s'il veut agir moralement devra toujours dire la vérité car nous ne pouvons pas vivre dans un monde où les gens mentent si cela les arrange. Pour être morale il faudrait agir de manière désintéressée sans se fier aux circonstances même si parfois la vérité peut blesser.

3. Il s'avère néanmoins indispensable de nuancer le propos de Kant, car bien que théoriquement applicable, l'est-il pour autant dans les faits? De plus, est ce des actes que le genre humain est capable de produire?

Si seule l'intention d'une action compte à la qualifier de morale ou non il est certainement contestable de produire un acte qui serait morale mais dont les conséquences seraient néfastes. Parfois , il serait peut être plus pertinent de faire confiance à notre libre arbitre plutôt que de rechercher uniquement à répondre aux attentes de Kant. Exemple avec le sondage de Lawrence Kohlberg:( la femme d'Henry est très malade et ne peut guérir sans les médicaments qu'elle ne peut acheter étant trop chers. Le pharmacien refuse un crédit et pendant la nuit Henry vole les médicaments en fracturant la porte de la boutique.
) Selon Kant Henry ne serait pas moral puisque on ne peut endommager les bien d'autrui et voler sous prétexte que sa femme va mourir, en d'autres termes les circonstances guident l'action d' Henry ce qui est immorale. Mais est-ce réellement moral de laisser mourir quelqu'un sous prétexte que l'on ne doit agir dans l'illégalité ?
Et même si l'on admet la thèse de Kant , l'homme est-il capable d'une telle prouesse que d'agir selon aucun de ses intérêts ? Et l' homme est-il réellement prêt à mener une vie sans aspirance à l'idéal antique du Souverain Bien?

En somme le passage étudié expose la morale du devoir perçue comme une obligation et non comme contrainte car tout à chacun est libre de ne pas y aspirer. Il faut aussi que le sujet qui agit moralement soi lui-même l'origine et la fin de son acte en tant qu' être transcendant à ses passions en faisant gage de désintéressement quant à l'action produite. Et peut-être est ce la la clé du bonheur?