Bac philo 2019 - Série L

Est-il possible d’échapper au temps ?

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles. 

Introduction / Problématisation

Le temps est une dimension inévitable de notre existence : nous parlons ici du temps qui passe, de l'inscription fondamentale de notre existence dans un temps que nous subissons et qui, de ce point de vue là, semble matériellement incontournable : nous ne pouvons nous soustraire au temps, ni le suspendre. Ce temps qui constitue une donnée élémentaire de l'existence désigne aussi le temps passé, nos souvenirs, notre mémoire, et ce que nous en faisons... Dans ce sens-là, la question prend un autre sens : pouvons-nous nous soustraire au passé et au fardeau de nos souvenirs ? Que nous est-il possible d'en faire ? Là encore, bien souvent, la mémoire ou d'ailleurs l'oubli, semblent être subis, et notre capacité à nous en échapper bien faible... Enfin, le temps peut aussi désigner le temps à venir et la perspective de la mort qui l'accompagne. Qu'il s'agisse de l'anticipation ou de l'angoisse du sens liée à notre condition mortelle, que nous est-il permis de faire ou d'espérer pour retrouver face à cette inquiétude ou à cette vacuité une forme de sens ou de valeur dans l'existence ?

Nous voyons donc que le sujet part du présupposé que le temps est un fardeau, dont il faudrait se libérer, mais qui serait dans le même temps une contrainte incontournable. Nous pouvons donc également nous demander ce qui pourrait nous permettre de redonner au temps une valeur positive, que nous pouvons accepter et peut-être aimer sans tenter d'y échapper.

Partie I.

Il n'est pas possible d'échapper au temps qui est une donnée fondamentale de l'existence.

Notre existence est inscrite dans le temps. Assez simplement et immédiatement, la réponse à la question posée semble donc être « non ». Nous sommes des êtres naturels qui, en tant que tels, ne pouvons pas nous extraire de la nature à laquelle nous appartenons, et qui structure nos existences. Nous sommes donc, physiquement, matériellement, littéralement pris dans et par le temps. 

Au-delà de cette dimension physique, le temps prend aussi une dimension psychologique. Notre rapport au réel est aussi pris dans le temps, et celui s'inscrit aussi en nous, dans nos consciences, à travers la mémoire ou l'anticipation, par exemple. Nous n'échappons donc pas au temps, car si notre vie est temporelle, cela signifie que notre conscience de la réalité est elle aussi marquée par cet aspect de l'existence. Nous sommes ainsi condamnés à porter le passé, à travers notre mémoire et nos souvenirs auxquels il nous semble bien souvent difficile d'échapper. Nous sommes aussi contraints d'anticiper, car nos actions ne sont possibles que dans le temps au-devant de nous dans lequel elles vont se déployer.

Ici, la référence par exemple à Kant était possible, puisque dans la Critique de la raison pure, il y définit le temps comme un cadre a priori de la sensibilité, c'est-à-dire qui structure spontanément notre perception et notre expérience de la réalité. Ou encore, chez Bergson, dans La Conscience et la Vie, la conscience est décrite comme mémoire et anticipation, donc ici aussi indissociable du temps. 

Il était également pertinent d'évoquer par exemple la figure du memento mori dans la littérature ou la peinture. En effet, le temps qui semble s'imposer à nous est avant tout en temps qui passe et nous conduit inévitablement vers notre propre mort. On pouvait par exemple penser au poème Une charogne de Baudelaire qui reprend ce motif classique.

Le temps est donc une donnée physique impossible à éviter. Mais ne pouvons-nous pas, symboliquement, produire des œuvres qui échappent aux ravages du temps sur la matière et les corps?

Partie II.

On peut échapper au temps en donnant du sens à notre existence.

Nous avons vu que la question se pose, car notre existence est marquée par son inscription dans le temps. Or, au-delà de la dimension purement matérielle, le sujet pose aussi la question du sens de notre existence. Notre inscription temporelle implique également que notre vie est tournée ou tendue vers l'horizon inévitable de notre propre mort. Échapper au temps, cela revient donc à tenter d'échapper à la perspective de cette mort inévitable. En effet, si nous mourrons, et que tout ce que nous sommes ou faisons est amené à disparaître, alors nous pouvons en conclure que rien n'a de sens ni d'intérêt. L'un des enjeux de l'existence est donc de tenter de surmonter cette difficulté en produisant quelque chose de durable. Si nous n'avons pas la possibilité d'échapper physiquement au temps, peut-être nous serait-il donc possible de le vaincre symboliquement par la production d'œuvres qui, elles, durent. 

Il était donc possible, en évoquant par exemple l'art, ou la culture, de s'interroger sur les activités ou productions qui ont précisément pour fonction de permettre aux hommes d'accéder à une forme d'atemporalité. C'est le sens que donne par exemple Hannah Arendt à la culture dans la crise de la culture. Pour elle, plus une oeuvre dure, plus elle est culturelle et la culture à précisément vocation à permettre aux hommes de se donner une maison, un monde, non mortel, crée par des mortels. Chez Rousseau également, dans le Second Discours, la culture est définie, à travers la perfectibilité, comme la capacité spécifiquement humaine à accumuler et transmettre, ce qui lui permet de s'élever (ou de déchoir) et de s'inscrire dans une histoire durable.

Enfin, la religion peut également être pensée comme une manière de nous soustraire à la vacuité de notre existence mortelle, à travers la perspective et la promesse d'un au-delà éternel qu'elle offre. 

 

Mais, justement, que pouvons-nous exactement en penser? La promesse d'un bonheur illusoire n'est-elle pas un leurre qui a vocation à détourner les hommes de leur malheur présent. C'est la critique que fait Marx de la religion, comme « opium du peuple » dans la Critique de la philosophie du droit de Hegel.

On voit alors que vouloir échapper au temps à tout prix peut ici être perçu comme un détournement discutable. Nous est-il en effet permis de chercher à fuir ce temps qui nous pèse? 

Partie III.

Nous ne devons pas essayer d'échapper au temps ?

Si la perspective de la mort est source d'angoisse, s'il est possible de chercher à nous en libérer, n'est-ce pas donc une manière de nous détourner du seul réel qui soit : le présent. Chercher à échapper au temps, cela peut aussi ressembler à une fuite qui nous détourne d'une confrontation nécessaire à notre condition : ne vaut-il pas mieux alors accepter le temps, vivre pleinement dans le temps, au présent, plutôt que de tenter de nous y soustraire?

On pouvait ici penser à la notion du divertissement, telle que développée par exemple chez Pascal. Tous les malheurs des hommes viennent, nous dit-il, qu'ils ne savent pas rester seuls, dans une chambre, à ne rien faire. Ainsi, les activités (sociales notamment) que l'homme déploie ont vocation précisément à remplir une existence vidée de toute substance et à nous détourner de l'ennui. 

Mais par là, nous sommes paradoxalement d'autant plus prisonniers du temps. Cette fuite en avant des désirs et du divertissement nous rend en effet tributaire de l'anticipation des plaisirs à venir et nous coupe du présent. Au contraire, à travers par exemple l'apprentissage de la pleine conscience dans la spiritualité bouddhiste, il peut être possible de nous libérer de ce qui, dans le temps, nous pèse, pour y être pleinement. Ce qui nous pèse, ce sont la mémoire et l'anticipation qui ne sont bien souvent que des ruminations stériles, car le passé ne peut être changé et l'avenir reste incertain. En nous libérant de ce rapport au temps là, nous pouvons apprendre à être pleinement dans le temps, c'est-à-dire pleinement présents à nous-mêmes, aux autres, au monde, ce qui est par ailleurs la meilleure manière de donner du sens à l'existence.

Conclusion.

Nous ne pouvons donc pas échapper physiquement au temps, mais il est possible de nous y soustraire symboliquement par la production d'œuvres qui durent et, surtout, de nous libérer sur ce qui, dans le temps, nous pèse pour être pleinement dans le temps, c'est-à-dire présent.

Phrase du jour

“On ne doit pas élever les enfants d'après l'état présent de l'espèce humaine, mais d'après un état meilleur”

Emmanuel Kant “Traité de pédagogie”

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