Bac philo 2019 - Série S

FREUD, “L’Avenir d’une illusion” (1927)

Expliquer le texte suivant :

La science a beaucoup d’ennemis déclarés, et encore plus d’ennemis cachés, parmi ceux qui ne peuvent lui pardonner d’avoir ôté à la foi religieuse sa force et de menacer cette foi d’une ruine totale. On lui reproche de nous avoir appris bien peu et d’avoir laissé dans l’obscurité incomparablement davantage. Mais on oublie, en parlant ainsi, l’extrême jeunesse de la science, la difficulté de ses débuts, et l’infinie brièveté du laps de temps écoulé depuis que l’intellect humain est assez fort pour affronter les tâches qu’elle lui propose. Ne commettons-nous pas, tous tant que nous sommes, la faute de prendre pour base de nos jugements des laps de temps trop courts ? Nous devrions suivre l’exemple des géologues. On se plaint de l’incertitude de la science, on l’accuse de promulguer aujourd’hui une loi que la génération suivante reconnaît pour une erreur et remplace par une loi nouvelle qui n’aura pas plus longtemps cours. Mais ces accusations sont injustes et en partie fausses. La transformation des opinions scientifiques est évolution, progrès, et non démolition. Une loi, que l’on avait d’abord tenue pour universellement valable, se révèle comme n’étant qu’un cas particulier d’une légalité plus compréhensive, ou bien l’on voit que son domaine est borné par une autre loi, que l’on ne découvre que plus tard ; une approximation en gros de la vérité est remplacée par une autre, plus soigneusement adaptée à la réalité, approximation qui devra attendre d’être perfectionnée à son tour. Dans divers domaines, nous n’avons pas encore dépassé la phase de l’investigation, phase où l’on essaie diverses hypothèses qu’on est bientôt contraint, en tant qu’inadéquates, de rejeter. Mais dans d’autres nous avons déjà un noyau de connaissances assurées et presque immuables. 

FREUD, L’Avenir d’une illusion (1927)

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles. 

Introduction / Problématisation

La science peut être définie comme une tentative pour décrire et expliquer ce qui nous entoure. En théorie, elle devrait donc par définition avoir une forme de permanence. Le réel, notamment naturel, ne changeant pas, la science qui le décrit devrait elle-même être stable. Or, l'histoire des sciences ressemble plutôt à un champ de bataille, où se succèdent les erreurs, les rectifications, les hypothèses et les approximations. Dans cet extrait de L'Avenir d'une illusion, Freud propose donc de défendre la science face à ceux qui lui reprocheraient son manque de rigueur et donc de valeur. Quel crédit pouvons-nous accorder à un discours qui semble n'être que temporaire ? En quoi peut-il prétendre être vrai, notamment face à la religion qui elle, propose des dogmes immuables ? L'enjeu est de comprendre ce qu'est la science, quels en sont la finalité et les principes. En effet, si ce qu'elle nous dit n'est que temporaire, en quoi est-ce une vérité et non de simples opinions ou hypothèses ? En somme, la question posée ici est de comprendre comment articuler l'idée même de science et la réalité de son histoire et de son évolution.

Partie I.

Dans un premier temps, Freud reprend les thèses des détracteurs de la science, auxquels il s'adresse et répond. Face à la religion, la science peut sembler en effet constituer un concurrent. Si l'on définit la science comme un discours qui a vocation à décrire et expliquer, ou simplement à représenter le réel, c'est aussi, d'une certaine manière, la vocation de la religion. Science et religion s'opposent ou se font donc concurrence dans leur finalité : dire le monde. Elles s'opposent aussi, car elles proposent deux manières de dire une ou la vérité, qui paraissent difficilement compatibles. Les explications de la science tendent à invalider les textes religieux. Au début du XXe siècle, la crainte que la science ébranle la religion et la foi paraît donc fondée, et c'est sur cette crainte que s'appuient, selon Freud, les « ennemis déclarés » et « cachés » de la science.

La science est, de leur point de vue, d'autant plus critiquable qu'elle n'aurait, finalement que bien peu à offrir en contrepartie. En effet, et c'est là l'argument fondamental dont Freud va discuter, face aux certitudes et aux dogmes religieux, la science n'offrirait que des savoirs incertains, temporaires et insuffisants. D'ailleurs, la psychanalyse elle-même se pose comme une science qui a vocation à éclairer les pans jusqu'à présent ignorés par la psychiatrie de notre vie psychique, supposant donc que la psychiatrie a, jusqu'à présent, « manqué » quelque chose.

La réponse apportée par Freud va reposer sur l'idée d'une histoire de la science et dès la quatrième ligne il évoque ainsi la question du temps, de la « jeunesse » de la science, de ses « débuts... ». La science moderne apparaît en effet à l'âge classique, on peut dater ce tournant au XVIe siècle et, comme le dit Freud, cela représente au regard de l'histoire de l'humanité un temps relativement court. L'argument premier de Freud consiste donc à rapporter la science à son histoire et la relative brièveté de celle-ci. Cette histoire est aussi marquée, pour Freud, par la « difficulté de ses débuts », par exemple, si l'on pense à Galilée, dans sa relation à l'Église qui était précisément évoquée au tout début de notre texte. Par ailleurs, Freud constate également que la difficulté que constitue la tâche de la science.

C'est sur ces difficultés que va reposer la réponse que Freud oppose aux détracteurs de la science dans la seconde partie du texte. Il soulève en effet une question qui indique le point d'appui de sa position : c'est parce que nous manquons d'indulgence à l'égard de la science et de son histoire que nous pouvons être déçus du peu de certitudes qu'elle nous fournit. Mais il reste à poser la question fondamentale qui est de savoir pourquoi il est si dur et si long pour la science de produire des savoirs certains.

Partie II.

C'est ce à quoi s'intéresse Freud dans la seconde partie du texte. Cette partie s'ouvre sur la comparaison avec les géologues dont Freud nous dit que nous devrions suivre l'exemple. Cet exemple n'est bien entendu par anodin, car quoi de plus stable, a priori, que l'objet d'étude des géologues, à savoir la Terre ? Et comment comprendre alors que cette science comme les autres soit soumise à une évolution ? La difficulté fondamentale que pointe Freud à la phrase suivante est de comprendre comment un discours qui est considéré comme vrai à un moment donné peut ne plus l'être à l'épique suivante. Cela semble indiquer que ce que dit la science est incertain et relève même de l'erreur. Une théorie qui supplante une autre suppose en effet que la théorie initiale était, simplement, fausse. Mais cela signifie alors qu'aucune théorie scientifique ne peut jamais être considérée comme vraie et donc fiable, car nous ne pouvons savoir si, dans le futur, une théorie nouvelle ne viendra pas l'invalider. Tel est le problème fondamental du texte.

À cela, Freud répond d'abord que rectifier ne signifie pas nécessairement détruire. Une théorie nouvelle ne vient pas nécessairement annuler la précédente. Elle permet de la compléter, de la rectifier. Fondamentalement, pour Freud, l'histoire de la science est un progrès : les nouvelles théories améliorent les précédentes, nous permettent d'agir plus efficacement sur le monde, de mieux le maîtriser et le transformer. Pour l'expliquer, Freud passe en revue plusieurs hypothèses. D'abord, on peut passer d'une loi pensée comme générale à une loi plus générale encore. Ou alors, on découvre l'existence d'une autre loi. Freud développe le cœur de la conception de la science qu'il propose ici et qui explique ce qui vient d'être dit. Le lexique employé pourrait nous faire tiquer, car la science y est décrite comme une « approximation en gros de la vérité ». Le terme semble indiquer que la science ne fait que décrire de manière simplifiée et grossière la réalité. Il faut au contraire comprendre que la science n'est qu'une manière de modéliser ou de représenter la réalité, sans jamais pouvoir la saisir parfaitement ou sans jamais être sûr de l'avoir parfaitement saisie. Dans ce sens et paradoxalement, la vérité scientifique est toujours hypothétique et approximative, et c'est d'ailleurs aussi et surtout en cela qu'elle se distingue des dogmes religieux, qui sont certes immuables, mais ne se confrontent jamais à la réalité. Car la question est en effet aussi de savoir pourquoi nous préférons, dans l'histoire des sciences, une approximation à une autre. Freud nous dit que les théories nouvelles sont préférées, car elles sont « plus soigneusement adaptée(s) à la réalité ». C'est là le point fondamental, car c'est ce qui permet d'affirmer que la science n'est pas qu'une convention creuse ou qu'une hypothèse arbitraire. Ces « approximations » ont vocation à expliquer la réalité, c'est-à-dire qu'il est possible de vérifier, expérimentalement notamment, qu'elles fonctionnent. Or c'est bien cette démarche expérimentale qui prévaut en médecine et qui conduira Freud à poser l'hypothèse de l'inconscient et à la valider. Ainsi c'est au contraire parce que la science a le souci du réel, d'y être efficace, d'en tenir compte, qu'elle se développe dans une telle histoire.

A cela, Freud répond d'abord que rectifier ne signifie pas nécessairement détruire (l.13). Une théorie nouvelle ne vient pas nécessairement annuler la précédente. Elle permet de la compléter, de la rectifier. Fondamentalement, pour Freud, l'histoire de la science est un progrès : les nouvelles théories améliorent les précédentes, nous permettent d'agir plus efficacement sur le monde, de mieux le maîtriser et le transformer. Pour l'expliquer, Freud passe en revue plusieurs hypothèses. D'abord, on peut passer d'une loi pensée comme générale à une loi plus générale encore. Ou alors, on découvre l'existence d'une autre loi. De la ligne 18 à 20, Freud développe le cœur de la conception de la science qu'il propose ici et qui explique ce qui vient d'être dit. Le lexique employé pourrait nous faire tiquer, car la science y est décrite comme une "approximation en gros de la vérité". Le terme semble indiquer que la science ne fait que décrire de manière simplifiée et grossière la réalité. Il faut au contraire comprendre que la science n'est qu'une manière de modéliser ou de représenter la réalité, sans jamais pouvoir la saisir parfaitement ou sans jamais être sûr de l'avoir parfaitement saisie. Dans ce sens et paradoxalement, la vérité scientifique est toujours hypothétique et approximative, et c'est d'ailleurs aussi et surtout en cela qu'elle se distingue des dogmes religieux, qui sont certes immuables, mais ne se confrontent jamais à la réalité. Car la question est en effet aussi de savoir pourquoi nous préférons, dans l'histoire des sciences, une approximation à une autre. Freud nous dit que les théories nouvelles sont préférées, car elles sont "plus soigneusement adaptée(s) à la réalité". C'est là le point fondamental, car c'est ce qui permet d'affirmer que la science n'est pas qu'une convention creuse ou qu'une hypothèse arbitraire. Ces "approximations" ont vocation à expliquer la réalité, c'est-à-dire qu'il est possible de vérifier, expérimentalement notamment, qu'elles fonctionnent. Or c'est bien cette démarche expérimentale qui prévaut en médecine et qui conduira Freud à poser l'hypothèse de l'inconscient et à la valider. Ainsi c'est au contraire parce que la science a le souci du réel, d'y être efficace, d'en tenir compte, qu'elle se développe dans une telle histoire.

Conclusion.

Cela signifie donc, comme l'indique Freud en guise de conclusion, que la science avance également par hypothèses et progressivement : la démarche de découverte de la psychanalyse consiste ainsi pour Freud à poser l'hypothèse de l'inconscient comme nécessaire pour compléter les données lacunaires de la conscience. Mais l'hypothèse une fois posée, encore faut-il la valider, et c'est par la pratique que Freud le fera en fondant sur cette hypothèse une pratique thérapeutique qui permet, par son efficacité, de valider son hypothèse initiale. Ainsi, les variations de la science, son histoire, ne sont donc pas le signe de ses insuffisances, mais au contraire de sa capacité à s'adapter aux données de l'expérience. Au contraire, les prétentions dogmatiques de la religion sont la preuve certaine de son absence de vérité. Et c'est la raison pour laquelle, conclut Freud, la science parvient, bien plus que la religion pourrait-on ajouter, à nous fournir au terme de son parcours des connaissances « presque immuables » et totalement certaines.

Phrase du jour

“C'est seulement tous ensemble que les hommes peuvent se libérer de leurs charges de distance. C'est exactement ce qui se produit dans la masse. Dans la décharge, ils rejettent ce qui les sépare et se sentent égaux.”

Elias Canetti “Masse et Puissance” (1960)

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