La libération passe-t-elle par le refus de l’inconscient ? Par Camille ASCARI TS1

jeudi 12 mars 2009
par  Lydia COESSENS

ASCARI Camille TS1

Dissertation

Sujet n°1 : La libération passe-t-elle par le refus de l’inconscient ?

La liberté, expérience à laquelle pense aspirer chaque être humain, nécessite une libération, apparaissant comme l’aboutissement d’un long chemin de prise de conscience et de connaissance du monde. En effet, l’accès à la liberté semble extrêmement difficile, non seulement parce que cette liberté implique une grande solitude , de manière à ce que l’Homme ne soit pas influencé dans ses choix, mais aussi parce que l’Homme aura tendance à persister dans son désir de confort et de facilité ; il doit donc acquérir la liberté, qui ne lui est pas donnée. Seulement, comment opérer cette libération, et de quoi se libérer ? L’idée controversée de l’existence de l’inconscient, les différentes interprétations de ses manifestations, et les contestations de sa place dans le psychisme humain entrent alors en jeu ; dans quelle mesure l’inconscient peut-il emprisonner l’âme ? Au premier abord, l’inconscient tel qu’il est décrit par Freud paraît asservir la conscience de l’Homme, qui, soumis à une autre puissance que celle de la raison, est contraint de se détacher de cet inconscient s’il espère atteindre la liberté. Cependant, l’inconscient semble d’un autre côté essentiel à la vie en société, sans pour autant nécessairement compromettre la liberté. En considérant ces deux points de vue, la question est alors de savoir si la libération passe ou non par le refus de l’inconscient. Nous examinerons d’abord les moyens de se défaire de l’inconscient, en le niant ou essayant de s’en libérer, puis nous verrons dans quel sens la libération peut passer par une acceptation de l’inconscient, ainsi que les dangers d’une négation de cet inconscient. Enfin, nous montrerons la psychanalyse selon Freud comme une sorte de compromis entre l’utilité de l’inconscient comme refus et la nécessité de le comprendre, et donc de tenter de le percer.

Dans ses nombreux travaux sur la psychanalyse, Freud montre que l’inconscient fait indéniablement partie du psychisme, laissant entendre que la conscience n’est pas totalement maîtresse de ce psychisme. Ce serait alors l’inconscient le maître de certains processus conscients : dans « Métapsychologie », il donne l’exemple d’idées et d’actes conscients inexplicables par la conscience même, si ce n’est en admettant l’intervention d’une puissance inconsciente. L’inconscient, responsable dans ce cas d’actions que la conscience croit décidées par elle-même, peut être refusée de plusieurs façons, en vue d’une libération.
Une première manière de se libérer de l’inconscient consiste en une séparation, comme le pense Descartes, et plus tard Alain, du corps et du psychisme, celui-ci recouvrant l’ensemble des processus conscients, tandis que les corps et son fonctionnement naturel serait l’unique responsable de l’inconscient, qui ne mérite plus cette appellation. Selon Alain, une transfiguration du corps en psychisme aurait donc lieu dans la constitution de l’âme chez Freud, confusion qui amènerait à penser cet inconscient comme un moi supérieur dirigeant la conscience, et à renoncer à la possibilité d’atteindre toute liberté. D’une part Descartes conçoit la conscience comme une substance pensante indépendante du corps, en reniant tout lien avec un inconscient psychique ; d’autre part Alain condamne une sorte d’« exagération » de l’inconscient, que la conscience fait passer de simples appétits corporels en véritable second moi pensant, qui se révèle dangereux pour l’accès à la responsabilité, à la liberté, et finalement à la morale.
Dans une toute autre considération de la question, on peut comprendre le refus de l’inconscient comme son refoulement, nécessité par une vie en société, comme un refus de l’inconscient autrement dit des pulsions, voulu par l’existence d’une société. En effet, l’individu libre, soumis à aucune volonté autre que la sienne, est avant tout un Homme responsable, d’où le besoin pour la société de lui donner un maîtrise de ses pulsions, qui compromettrait son équilibre en étant assouvies. Il nous faut cette fois considérer comme Freud l’inconscient rattaché à la conscience , et reprendre le fonctionnement du psychisme tel qu’il le pense. Dès la naissance, une instance de censure appelée surmoi se met en place par intériorisation des interdits parentaux, définis par la société. Cette instance aura pour fonction de refouler les pulsions inconscientes contraires aux normes imposées, et de les sublimer afin de les faire ressurgir à la conscience sous formes d’actions socialement valorisées. Il s’agit bien d’un refus par la société du véritable inconscient de chacun, qui se rapporte à la dimension collective de la liberté. Ainsi, l’Homme est libéré de ses passions par le surmoi, sans lequel il ne serait plus maître de sa conscience. Il peut alors acquérir une certaine autonomie dans ses actions, sans être manipulé par son inconscient. Platon fait d’ailleurs référence à des « plaisirs et [des] désirs non nécessaires », ces désirs que nous appelons maintenant inconscient, qui « contredisent aux lois », ce qui ne peut que nous faire penser, comme Rousseau, qu’il n’y a pas de liberté sans lois. L’observation de ce que l’on appelle folie montre également l’importance du surmoi pour la société, car celui-ci étant défaillant, l’individu laissera libre cours à ses pulsions d’agressions, par exemple, sans pour autant les contrôler. Il est alors rendu complètement esclave de son inconscient.
Mais revenons sur une vision négative de la censure inconsciente, qui pousse à le refuser, pour cette fois conquérir une liberté volée par cette censure imposée par chaque culture. Il s’agit de la même censure que précédemment, vue à présent comme une entrave à l’objectivité des individus. La libération consisterait ici au rejet du surmoi adapté à chaque culture, vécue comme une prison supprimant l’espoir d’une liberté absolue et d’une capacité objective de jugement. Cette libération concerne l’individu qui veut s’ouvrir au monde par la conscience, et penser sans aucune influence de sa culture, qui par la sublimation des pulsions oblige le sujet à faire certaines actions, bien qu’il les croit conscientes. On peut aussi évoquer l’inconscient collectif, hypothèse émise par Freud, lié à la permanence des structures inconscientes dans les différentes cultures, inconscient qui peut être contraire à mon jugement et à ma réflexion morale et objective.
On en arrive finalement à penser à l’existentialisme, courant qui ne conteste pas l’inconscient, mais l’idée d’une censure inconsciente. L’Homme est ici un être libre et responsable, qui crée lui-même le sens de sa vie, et c’est ainsi que pour Sartre, l’inconscient est uniquement la réserve de la mauvaise foi, la libération passant selon lui par la reconnaissance d’une entière maîtrise de soi, et le fait d’admettre une censure complètement consciente.
Nous avons vu que la liberté semblait être possible par une prise de conscience, mais faut-il pour autant refuser l’inconscient ? En effet, à défaut de pouvoir être de moins en moins inconscient, on peut devenir de plus en plus conscient.

La libération ne passe pas forcément par les différentes manières de refuser l’inconscient dont nous avons parlé, car l’interrogation peut être retournée, ou tout simplement parce que les solutions qui en apparence permettaient d’accéder à la liberté n’en étaient pas.
Effectivement, le refus de l’inconscient de la société, qui par un mécanisme de refoulement valorise les pulsions, peut être au contraire étudié en tant qu’acceptation de l’inconscient, dans le sens où l’existence psychique est avérée. L’affirmation d’Alain selon laquelle ce que l’on appelle inconscient n’est que physiologique s’en trouve alors contestée, notamment par Spinoza, qui pensait déjà les actions conscientes dictées par des passions non conscientes, puis plus tard par Freud qui montrera le lien entre la conscience et une autre puissance psychique appelée inconscient. La libération de la conscience ne peut donc pas s’effectuer dans le reniement de l’inconscient, la liberté demandant une volonté de comprendre l’Homme en lui-même et le monde. L’individu libre et responsable dont nous parlions ne peut être que conscient de son inconscient. Il en est de même pour l’inconscient collectif, dont la remise en question, notamment dans la critique des totalitarismes, sous-entend son existence.
Le refus de l’inconscient peut alors encore trouver une autre signification, celle du refus de prendre en compte l’inconscient, qui constitue en quelque sorte le refoulement du refoulement, celle qui rejoint finalement l’inconscient comme mauvaise foi de Sartre. Un tel refoulement de l’inconscient lui-même serait en fait un processus conscient, ensuite oublié, conduisant à un esclavage de la conscience elle-même et évidemment dans le sens inverse d’une libération. Prenons l’exemple poussé à l’extrême du principe de la double-pensée dans la fiction 1984 d’Orwell, dont le personnage principal explique le mécanisme. Il s’agit de rendre inconscient le fait d’oublier par une volonté consciente, une idée ou un souvenir. Bien sûr, l’individu se trouve privé de toute connaissance réelle et de toute conscience, « plongeant » peu à peu dans l’inconscient, et finalement « libéré » de plus en plus des grandes angoisses humaines, à savoir l’absence de réponses apportées par les limites de la raison impliquées par la raison. Mais ce désir d’inconscience est en fait une fuite devant la condition humaine, car il entraine l’aliénation et l’asservissement eux-même responsables des régimes totalitaires, et sont donc contraires à l’idée d’une libération.
Cependant, l’exemple que nous venons d’observer relève plutôt d’une manipulation opérée d’individus à individus touchant l’inconscient, qui ne contredit pas, à l’opposé de ce que pense l’existentialisme Sartrien, l’existence d’une censure individuelle inconsciente. Cette forme de refus de l’inconscient existentialiste revient à dire que le surmoi est conscient, et qu’il est donc possible de se détacher complètement de sa culture, or la psychanalyse freudienne permettrait de prouver l’observation d’une influence toujours présente de sa culture, chez un individu ayant radicalement changé de milieu de vie, d’habitudes et d’entourage.
Il est vrai qu’une libération totale nécessite, comme l’indique la conception pessimiste -pour la liberté- de Sartre des relations humaines, une solitude extrême, puisque l’Homme verra son jugement altéré par le regard et les positions des autres. Seulement, il s’agit là d’une liberté utopique car la vie en société reste inévitable chez l’être de culture qu’est l’Homme ; la libération doit alors concerner le sujet ancré dans la société. Et comme il est impossible de libérer le moi conscient des influences inconscientes, la psychanalyse semble apparaître comme une issue vers une libération, par la compréhension de l’inconscient.

Les deux premières parties nous appellent finalement à penser que l’Homme doit trouver sa libération dans le consentement à l’existence de l’inconscient. Nous avons vu que remarquer son existence en cohabitation avec la conscience souligne que nous ne sommes pas libres ; néanmoins, faute de pouvoir supprimer une partie du psychisme qui n’est pas créée par la société, mais censurée par elle -ce mécanisme en partie lui aussi inconscient- ou au contraire « engloutir » la conscience dans un inconscient qui tendrait vers l’absence de raison et serait un renoncement à la condition humaine, la psychanalyse s’avère le seul intermédiaire, puisqu’en accord avec la dualité humaine. Tout en acceptant le refus du « contenu » de l’inconscient par la société et le phénomène régulateur de pulsions qu’est le surmoi, elle ne nie pas son existence dans le psychisme, et va plus loin en essayant d’expliquer des actions conscientes en fonction de lui. Cette méthode de libération psychique est en effet en adéquation avec la conception de la liberté selon Spinoza, celle qui encourage les Hommes à persévérer dans leur être et à ne pas s’imaginer autrement que ce qu’ils sont, c’est à dire à ne pas refuser l’inconscient. Le libre-arbitre n’est pour lui qu’une illusion de la liberté pour l’Homme, ignorant l’origine de ses désirs. La psychanalyse apporte justement une compréhension des processus inconscients, dans l’optique d’atteindre une liberté, par l’intelligence de la nécessité régissant l’action humaine soumise à l’inconscient. L’usage de la raison est donc indispensable pour la liberté de l’Homme, qui nous l’avons montré, doit réfléchir et connaître pour être libre : nous aboutissons à un cercle logique dont la psychanalyse est la clé.
Nous pouvons aborder une définition sommaire de la psychanalyse, principalement fondée sur la composition complexe du psychisme formé par plusieurs instances. Pour cela, on prendra l’exemple de la névrose, que la psychanalyse peut soigner. Cette pathologie provient d’un conflit entre les pulsions sexuelles inconscientes et le moi conscient, qui se sent menacé par de telles forces, dont il pourrait se retrouver maîtrisé. Freud fait ressortir l’orgueil de ce moi, qui se braque et résiste à des désirs inacceptables pour l’individu car contraires aux normes de sa culture. Le moi se voit asservi par l’inconscient et c’est cette résistance, ce refus du moi conscient de tenir compte de l’inconscient qui provoque la névrose, le retour du refoulé, seule solution de détournement des pulsions. La cure psychanalytique libère l’individu par une interprétation des manifestations de son inconscient, de façon à ce que la conscience trouve un équilibre supportable entre les exigences pulsionnelles et les exigences morales, sociales et culturelles conscientes.
Le terme de libération se trouve ainsi justifié, car l’Homme, au fur et à mesure qu’il grandit, est de plus en plus capable de réfléchir et de prendre conscience de ce qui l’entoure, et donc de plus en plus susceptible d’évoluer vers la liberté, par l’éducation, la connaissance, et finalement la compréhension de son propre fonctionnement. Se connaissant lui-même, il sera en mesure de comprendre autrui, et que la liberté dont il jouit s’applique à tous.

Nous pouvons conclure qu’après l’étude des différentes façons de refuser l’inconscient, l’acquisition de la liberté est utopique : le négativisme rend la conscience esclave, et l’instance psychique à l’origine du refoulement peut rendre malade quand elle ne s’accompagne pas d’une connaissance consciente de son mécanisme. La liberté absolue étant impossible à atteindre dès l’instant que l’on est un être à la fois conscient et inconscient, autrement dit lorsque l’on est humain, il est donc nécessaire de comprendre le plus possible le fonctionnement de l’Homme pour espérer atteindre un maximum de liberté, et il semble que la psychanalyse réponde à cette attente de liberté. Cette méthode de libération se rapproche ainsi de la philosophie dans la recherche de la vérité, mais pas seulement, car psychanalyse et philosophie paraissent pouvoir apporter à l’Homme ce qui lui permet d’exister librement : se sentir exister.


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