Peut-on être esclave de soi-même ? par Léo Turquet TS3

dimanche 15 mars 2009
par  Lydia COESSENS

Dérivant du mot latin servus pour désigner l’individu dont la vie et sauve après un combat à condition qu’il mette ses forces au service du vainqueur, la condition et la notion d’esclave n’en reste pas moins différente pour bien des philosophes comme Aristote ou bien Nietzsche. Le sujet "peut-on être esclave de soi-même ? nous apparaît alors difficile à analyser. En effet, ne sommes-nous pas esclave seulement d’autrui ? La conscience de soi n’impose-t-elle pas une liberté, un contrôle ou bien une certaine maîtrise de nous-même ?

Nous allons tenter de démêler ce problème en exposant tout d’abord la servitude subie par autrui. Ensuite, nous verrons qu’il n’est pas si paradoxal que cela de penser que nous pouvons en effet être esclave de nous-même, notre personne n’étant pas composée d’une seule partie. Finalement, l’être libre se révélant être le contraire de l’être asservi, nous essaierons de démontrer dans quelles conditions cette accession à la liberté est rendue possible, ou plutôt comment sortir de notre propre servitude ou aliénation.

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Tout d’abord, lorsque l’on aborde le thème de la servitude, il paraît justifié de penser que nous sommes l’esclave d’un autre,ou, ici, d’un maître. En effet, la notion d’esclave apparaît avec la guerre. Les prisonniers ont la vie sauve à condition qu’ils se dévouent corps et âme au service du vainqueur. Ainsi retrouve-t-on la relation maître/esclave au temps des colonies mais surtout avec le commerce triangulaire, exercé du XVème au XIXe siècle entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques. on y retrouve des violences physiques prolongées qui deviennent blessures morales,et tout cela n’est infligé que par autrui. La liberté de l’être est réduite à néant. L’homme n’est donc ici pas esclave de lui-même mais esclave d’autrui.

Ensuite, outre l’esclavage subi par quelqu’un d’autre, plusieurs autres institutions nous asservissent. En effet, Aristote pensait que être esclave était une nature ainsi écrit-il dans Les politiques "être capable de prévoir par la pensée c’est être par nature commander c’est-à-dire être un maître par nature, alors qu’être capable d’exécuter physiquement ces c’est être à être commandé c’est-à-dire être esclave par nature. C’est pourquoi la même chose est avantageuse à un maître et à un esclave." (I, 2, 1252a). Cette pensée fut notamment reprise lors de l’exploitation des peuples d’Amérique latine par les Espagnols et cela montre bien qu’un préjugé peut nous rendre esclave, nous aliéner.

Mais ce n’est pas le seul. L’État, par les lois qu’il impose, réduit le champ de la liberté donc impose une forme de soumission, et ensuite pousse à l’aliénation. Joseph Proudhon disait "Être gouverné, c’est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré [...]", Pierre-Joseph Proudhon, Idée générale de la révolution au XIX e siècle (1851)

On retrouve également la notion d’asservissement de l’homme par le "progrès" technique. La technique peut permettre de dominer la nature mais elle peut aussi dominer l’homme. En effet, Marx, par exemple,va critiquer la division du travail intellectuel et manuel, tandis qu’Hannah Arendt critiquera les chaînes de productions. L’homme doit se plier au rythme de la machine, il est soumis à elle. "Les temps modernes "de Charlie Chaplin nous montre à quel point l’homme -ici l’ouvrier- doit se soumettre au rythme de la machine, faute de quoi la chaîne sera désorganisée. Le travail étant la source du revenu donc de la survie, l’homme se doit de suivre la machine, il en est donc esclave.

Pour dernier argument nous pouvons rapprocher la notion de servitude avec celle de dépendance. Ainsi, le manque créé par la dépendance face à une chose ou alors une situation n’impose-t-il pas une tyrannie qui s’exécute sur nous-même ? Prenons pour exemple la nourriture. Stevenson a dit "Un homme qui a faim n’est pas un homme libre" [1]] Comme l’être libre est, d’après les définitions, le contraire de l’homme asservi, on déduit de cette citation que l’alimentation et notre besoin de nous nourrir nous rendent esclaves. Nous ne pouvons nous en passer, de là se rejoignent donc les termes servitude et dépendance. Bien sûr nous pouvons extrapoler cette idée. Kant, dans son Traité de pédagogie, nous dit : "Plus l’homme a d’habitudes, moins il est libre et indépendant" Si considérons par exemple le fait de se nourrir comme une habitude [c’est-à-dire tout ce que nous faisons sans réflexion], manger régulièrement réduit notre liberté. Ceci nous fait alors tendre de plus en plus vers l’esclavage. Cet exemple de l’alimentation permet de nous rendre compte de notre dépendance face aux éléments extérieurs et as forcément aux hommes, bien que les exemples soient nombreux. Tout ceci nous laisse penser à dire que nous pouvons être exclusivement esclave d’éléments extérieurs et surtout concrets. Or certains aspects dues à l’aliénation envers nous-même vont expliquer un asservissement par rapport à nous et à notre personne.

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Nous allons, pour mettre en avant cette hypothèse, tout d’abord nous baser sur Freud et sa conception de l’appareil psychique composé de trois instances, à savoir le Moi, le Surmoi et le Ça. Ainsi notre conscience constitue le Moi, instance où se joue notre identité, la représentation que nous avons de nous-même. Or notre personne est composée d’autres éléments qui sont le Ça et le Surmoi à savoir ,successivement, l’inconscient refoulé, réservoir des pulsions de vie, sexuelle et de mort et l’inconscient refoulant, l’instance interdictrice. Donc le Moi est encadré par le Ça et le Surmoi ce qui manifeste immédiatement un emprisonnement, ce qui montre donc une forme d’esclavage. En effet, nos pulsions refoulées et autres sentiments gênants ou insupportables peuvent revenir en créant des symptômes tels que des troubles nerveux, des hallucinations, des angoisses. Tout ceci ne se maîtrise pas et cela apparait indépendamment de notre volonté. De plus, l’inconscient est présent dans la vie quotidienne à travers le sommeil et les rêves mais aussi à travers les lapsus qui représentent en fait notre véritable pensée. Freud disait "L’inconscient est le psychisme lui-même et son essentielle réalité". Si l’on reprend le thème de l’habitude évoqué précédemment, on en déduit que nous sommes dominés par notre inconscient alors que celui-ci fait partie de notre personne. Donc dans ce cas nous pouvons être esclave de nous-même. De cette idée s’en suit que nous sommes esclaves de nos désirs inconscients et de nos passions. Pour Platon, l’homme passionné représente celui qui ne voit que des ombres dans la caverne, sans pouvoir se retourner, la passion le maintenant en place par des liens créés par le corps et es sens. Donc la question domine l’homme et nous asservi.

Mais l’être humain peut être esclave de lui-même à cause de lui-même. Par exemple, par son vote, il va élire une personne qui représente ses idées mais dont il va devoir subir les lois. Donc ici l’homme se rend esclave de lui-même. Il est soumis au pouvoir dont il a voulu la légitimité. On retrouve cet exemple dans la croyance en une religion, et plus particulièrement dans le cas d’une religion dite révélée. en effet, nous nous imposons des règles morales que nous devons suivre à la lettre ? Donc nous ne sommes pas esclaves de la religion, nous sommes esclaves de religion contre notre volonté donc nous sommes asservis.
Finalement, il faut rappeler que notre personnalité se calque sur celle des autres et que donc "Je est un autre", ainsi disait Rimbaud. Donc, si on relie notre thèse à cette antithèse, on en déduit que l’homme est un esclave à lui-même. Par exemple, les philosophes de l’école de Francfort mettent en garde contre la technocratie et soulignent que la technique peut être un moyen de domination de l’homme par l’homme. Donc on conclut de cette analyse que l’homme peut très bien être esclave de lui-même. mais la question ne serait-elle pas de savoir comment ne plus être esclave, surtout de nous même ? Et ainsi pouvoir se rapprocher de la liberté ?

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Tout d’abord, nous avons vu que l’inconscient exerce sur nous une force non négligeable ce qui nous rend esclave de ce dernier au quotidien. Or, ce qui caractérise l’homme en tant qu’être civilisé et libre, c’est que chez lui la raison prédomine. Comme la raison est souveraine sur les désirs et les pulsions, on peut ainsi refuser d’être "esclave".De plus, un esclave est défini comme quelqu’un n’agissant pas par sa propre volonté. Or Descartes nous dit nous dit "la volonté est tellement libre de sa nature qu’elle ne peut jamais être contrainte". Donc si un esclave est asservi par son inconscient, il peut, par sa volonté, se libérer de cet emprisonnement, car celle-ci est plus forte.
Toujours en ce qui concerne la domination de l’inconscient sur notre Moi, nous avons appris que cette théorie présuppose qu’une partie de nous-même nous échappe. De là, sur quoi peut-on fonder notre connaissance et notre action si l’on ne sait pas vraiment qui l’on est ? C’est pourquoi, depuis la philosophie de Socrate, cette dernière nous enseigne que la raison est la voie royale vers une meilleure connaissance de nous-même, ce qui aidera à réduire l’emprise que l’inconscient a sur nous, ce qui nous rendra de plus en plus libre. Finalement, qu’il s’agisse de notre asservissement face à la technique et notre soumission à l’État, ces derniers n’en sont pas moins des gages de liberté. Par exemple la voiture ou bien l’ordinateur réduisent le temps à consacrer aux trajets ou aux tâches fastidieuses ; le temps ainsi gagné est autant de temps que l’on peut consacrer à la liberté. Pour l’État, nous reprendrons cette citation de Rousseau : "L’obéissance à la li qu’on s’est prescrite est liberté" (Du Contrat social). en effet, l’État permet de protéger la liberté de chacun contre la tyrannie d’autrui, c’est-à-dire l’esclavage par les idéaux de autres.

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En conclusion de tout ceci, nous pouvons dire que l’homme n’échappe pas au fait d’être esclave de lui-même, bien qu’il ne pense être asservi qu’à autrui. Notre aliénation joue un grand rôle dans le fait que nous soyons esclave de choses qui paraissent abstraites mais qui ont une domination réelle sur nous. Cependant, c’est à l’homme d’essayer, par l’utilisation de sa volonté, de se libérer des liens qui le maintienne face aux "ombres" de la caverne. La philosophie nous apprend que l’usage de la raison est un pas vers la liberté, donc vers la fin de la servitude. encore reste-t-il à savoir si l’homme veut réellement cette liberté, s’il est moralement et physiquement prêt à regarder en face le Soleil de Socrate.


[1[ce que l’on peut entendre au moins de deux manières : qu’en état de manque, l’homme, réduit à la recherche de satisfaction de ses besoins fondamentaux, ne trouve pas le loisir -au sens grec de temps libre, libéré- de s’accomplir en tant qu’homme, sur le plan spirituel. Ou encore, s’agit-il de marquer la nécessité pour l’homme de dépasser l’ordre matériel sensible empirique et de viser l’ordre intelligible, spirituel


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