dimanche 15 mars 2015

Le bonheur (la raison) - une dissertation (terminale technologique sur le sujet : L'usage de la raison fournit-il la seule garantie possible de notre bonheur ?

Dès le plus jeune âge, l’enfant est invité à être raisonnable et on lui explique que c’est pour lui. L’usage de la raison fournit-il la seule garantie de notre bonheur ?
Il est vrai que la raison, en nous faisant réfléchir à ce que nous voulons, en déterminant quels sont les bons moyens pour atteindre nos fins, voire ce qui cause le malheur, paraît la seule faculté en nous susceptible de nous conduire au maximum de bonheur que nous pouvons obtenir de nous-mêmes.
Toutefois, encore faudrait-il être sûr qu’elle puisse effectivement tracer une route dans l’ensemble complexe des données requises pour être heureux.
Il est donc légitime de se demander si l’usage de la raison garantit seul notre bonheur ou bien s’il est une garantie possible, voire s’il ne sert à rien pour être heureux. L’usage de la raison ne permet pas de connaître la totalité de ce qui est requis pour que tous nos désirs se réalisent tout au long de la vie, ce qui constitue le bonheur ; elle permet de vouloir le réel et non le désirable ce qui réalise le bonheur possible pour l’homme mais son usage permet d’éviter les désirs que l’expérience révèle mauvais pour ne jamais souffrir regrets et remords et accéder au maximum de bonheur humainement possible même si une part de chance est irréductible.


Le bonheur, nous nous le représentons comme la satisfaction de tous nos désirs durant toute notre vie. C’est pourquoi il se distingue du plaisir qui dure peu. Or, la raison nous permet de connaître et non de désirer. Ce n’est donc pas elle qui rend possible le bonheur, encore moins peut-elle être la seule garantie du bonheur. Ne peut-elle pas nous aider à choisir quel désir réaliser ou quel moyen utiliser ? Il faudrait pour cela qu’on puisse savoir ce qu’on désire et qu’on puisse savoir ce qu’on peut réaliser. Ce serait là l’usage de la raison pour être heureux.
Or, comme le remarque Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs (1785), ce n’est pas la raison qui nous permet de savoir ce qu’on désire, c’est l’expérience. Or, ce que je désire maintenant, je peux m’en lasser. La raison ne peut en aucun cas m’assurer de ce que je dois désirer pour être heureux. Et à supposer même que je sache quoi désirer, la raison ne pourra m’assurer que je réaliserai une harmonie de mes désirs. Si je choisis la richesse, peut-être aurai-je des ennuis. Si je choisis la connaissance, peut-être qu’une meilleure vue des maux de l’existence me fera souffrir. Seule l’omniscience permettrait un calcul rationnel : ce qui n’est pas à la portée de la raison humaine qui est finie. Il n’y a donc en nous aucune garantie possible, c’est-à-dire aucune assurance d’obtenir notre bonheur.
Toutefois, on peut refuser une telle définition du bonheur dans la mesure où il implique l’harmonisation de tous les désirs. Certains sont manifestement mauvais ou irréalisables. La raison n’est-elle pas justement ce qui permet de déterminer ce que nous devons choisir ? N’est-elle pas en ce sens la seule garantie du bonheur ?

La raison en nous est la capacité à chercher le vrai par des preuves. Elle implique donc de chercher à déterminer ce qu’est le réel et non à croire ce qui est réel sans l’examiner. Or, elle permet de réaliser ce que nous voulons conformément au réel. C’est ainsi qu’Epictète, dans les Entretiens (I, XII) critiquant la thèse courante selon laquelle la liberté consiste à réaliser tout ce qu’on désire, lui reproche d’être déraisonnable. Pour réaliser ce qu’on veut, il faut suivre au contraire le réel. Tel est le rôle de la raison. Ainsi, s’il faut écrire le nom « Dion » va-t-on le faire en suivant l’ordre des lettres du nom tel qu’il est et non en utilisant celles qui nous plaisent. C’est donc en suivant la raison qu’on peut faire ce qu’on veut.
C’est pour cela qu’Epictète soutient qu’on doit vouloir ce qui arrive comme cela arrive plutôt que de vouloir qu’arrive ce qu’on désire. Tel est l’usage de la raison. Dans le second cas, le cours des choses est souvent contraire à nos désirs. Si je désire qu’il fasse 30° en hiver à Copenhague ou qu’il ne pleuve jamais en Normandie, non seulement le réel ne sera jamais conforme à mes désirs, mais je ferai seul mon malheur. Dans le premier cas, notre volonté est toujours satisfaite et comme elle est nôtre, en naît la joie, une satisfaction durable. À un père qui pleurait parce que son enfant était malade, Epictète lui reprochait ses pleurs : il l’invitait plutôt à retourner au chevet de son enfant pour le soigner (cf. Entretiens, I, 11).
Cependant, il n’est pas possible de nier totalement les désirs. Ils renaissent en nous sans notre volonté. Dès lors, le rôle de la raison n’est-il pas seulement de rendre possible leur satisfaction ? Mais comment serait-ce possible si la raison ne permet pas de tout connaître ? Ne peut-elle pas procéder à un choix des désirs ?

Dans une lettre à Elisabeth (1er septembre 1645), Descartes fait remarquer que la passion nous trompe souvent quant à la valeur des biens qu’elle nous fait miroiter. On sait combien les amoureux se trompent sur les qualités de la personne aimée. Et même s’ils paraissent lucides, toujours est-il qu’ils croient que leur bonheur est dans l’amour. Si nous savons que la passion nous a montré comme un vrai bien ce qui ne l’est pas, c’est parce que l’expérience nous le montre : nous sommes finalement déçus de ce que nous avons vécu. Ainsi dans l’amour une fois passé, la personne aimée apparaît avec tous ses défauts ou l’on regrette le temps perdu. Nombre de nos désirs peuvent, à l’analyse, se montrer comme illusoires. Que peut alors la raison si elle n’est pas la source par elle-même du bonheur ?
Elle peut permettre de choisir nos désirs. Tel est son usage véritable. C’est en cela qu’elle est bien une garantie de notre bonheur mais non la seule garantie. Elle permet de sélectionner parmi les désirs ceux qui sont réalisables. Combattre les autres, ce n’est nullement se rendre malheureux, c’est au contraire, éviter un malheur clairement prévisible. Par exemple, combattre la passion de l’alcool ne peut en aucun cas être mauvais. Car, qui voudrait être constamment sous l’emprise de l’alcool ? Il faut rejeter en effet les plaisirs superficiels ou les plaisirs suivis de douleurs plus grandes. C’est pour cela qu’Épicure, dans la lettre à Ménécée, rejette les plaisirs du débauché et considère que le raisonnement vigilant est constitutif du bonheur. Il faut comprendre non pas que la raison nous assure que nous allons obtenir le bonheur complet car, même nos désirs les plus élémentaires peuvent ne pas être satisfaits : il y a une part de chance dans le bonheur comme le mot l’indique. Si donc nos désirs ne sont pas satisfaits, au moins d’avoir usé de sa raison permet comme Descartes l’a bien vu, permet d’éviter les regrets et les remords qui font doublement souffrir.


En un mot, le problème était de savoir si l’usage de la raison fournit la seule garantie de notre bonheur. Nous avons vu que la raison ne peut satisfaire tous les désirs durant toute la vie parce qu’il faudrait qu’elle puisse connaître la totalité de l’expérience, ce qui est impossible. Mais elle peut servir à suivre la volonté. Si elle est alors la seule garantie dans ce cas de réussite, ce n’est pas du bonheur qui exige qu’on réalise certains désirs. Aussi l’usage de la raison doit être de choisir quel désir réalisé pour rejeter ceux dont l’expérience a suffisamment montré qu’ils étaient contraires au bonheur. Elle est une garantie du bonheur, mais non la seule puisqu’il dépend aussi du hasard.