samedi 12 septembre 2015

Le devoir (L, ES, S) corrigé d’une dissertation : La notion d’obligation est-elle indispensable à la morale ?

« Je dois le faire quoiqu’il m’en coûte », « noblesse oblige », ces expressions indiquent que la morale nous paraît liée à la notion d’obligation.
En effet, qui dit morale, dit devoir et donc obligation puisqu’il faut faire ce qu’on n’a pas envie de faire. En ce sens la notion d’obligation semble indispensable à la morale.
Toutefois, lorsque ce que je fais est bien, mon action reste morale même si je ne me suis pas senti obligé.
Dès lors, on peut se demander si la notion d’obligation est vraiment indispensable à la morale ou bien s’il est possible et comment de penser une morale sans obligation.

Il n’y a pas de morale sans obligation si la morale désigne les règles que chaque société impose pour persévérer dans son être. En effet, la morale prescrit ou interdit. Elle interdit ce qu’on désire faire et qui va à l’encontre de l’exigence sociale. Elle prescrit ce que l’on ne désire pas faire. Or, il paraît absurde de se prescrire à soi-même ce qui s’oppose à soi. Bref, les prescriptions morales sont des obligations en ce sens qu’elles proviennent de la société dans laquelle l’individu vit, prescriptions nécessaires pour que la société existe. En effet, si chacun suivait son désir, il n’y aurait pas de société mais la guerre de chacun contre chacun (ou bellum omnium contra omnes) comme le soutient Hobbes dans le Léviathan (1651, chapitre 13).
En outre, les prescriptions morales sont des obligations en ce sens qu’elles s’opposent au désir. En effet, aucun homme spontanément ne va éviter de prendre ce qui est à autrui. C’est pour cela qu’il faut lui interdire : et c’est proprement l’obligation. Freud disait bien dans Totem et Tabou (1913) que là où il y a un interdit, il y a un désir et l’on peut dire que même les prescriptions positives sont des interdictions de suivre son désir. Ainsi faut-il prescrire d’aider son prochain car sinon le désir nous conduit plutôt à le laisser dans la détresse par indifférence ou jalousie.
Les obligations se distinguent aussi des contraintes, notamment physiques, en ce sens qu’on peut les transgresser. En effet, les éléments naturels, voire les faits sociaux nous contraignent. Je dois tenir compte des forces physiques. Et s’il y a une crise économique, me voilà soumis dans mes richesses. Par contre, il dépend de moi de remplir ou non mes obligations. Et c’est pour cela que les punitions que la société propose ne suffisent pas pour faire obéir. Aussi toute société inculque-t-elle ses valeurs à travers l’éducation. Ce sont les coutumes à la racine de la conscience morale selon Montaigne dans les Essais (I, 23).
Toutefois, la morale sociale n’est pas une véritable morale car elle n’est pas choisie. Le sujet est ignorant des raisons qui le poussent à considérer que ce qu’il fait est bien et il respecte moins des obligations considérées comme telles qu’il ne suit des habitudes. Dès lors, ne faut-il pas penser que la morale véritable exclut l’obligation ? Ou bien l’obligation morale ne doit-elle pas se distinguer radicalement de l’obligation sociale ?

Il n’y a pas de morale sans obligation parce que le sujet est aussi un être de désir et non seulement un être doué de raison. Mais cela ne veut pas dire que l’obligation lui vient du dehors. Car, il est vrai que la morale exige deux conditions, à savoir que le sujet agisse pour le bien et non par intérêt et qu’il le choisisse sans tenir compte des conséquences. C’est la raison pour laquelle qui suit des règles par peur des sanctions n’agit pas moralement. Autrement dit, l’obligation morale émane du sujet. Elle émane de sa raison qui lui dit de faire ce qui est bien.
Or, en tant qu’être de désir, l’homme ne suit pas spontanément ce qu’il doit faire. C’est pour cela que le choix à faire apparaît négatif pour le sujet. Il lui faut faire un effort sur lui-même et en ce sens, il s’oblige. Ce n’est pas pour rien que les prescriptions morales ne plaisent pas : elles heurtent le désir. Un homme qui serait capable de faire uniquement le Bien serait Dieu ou au moins un saint.
Et la différence entre l’obligation et la contrainte se situe en ce que la première est choisie alors que la seconde s’impose à nous de l’extérieur. C’est pour cela que les obligations sociales sont finalement plutôt des contraintes. L’obligation morale quant à elle se présente comme une exigence qui provient du sujet lui-même et qui le constitue comme sujet. On peut avec Rousseau dans la « Profession de foi du vicaire savoyard » qui se situe dans le livre IV de l’Émile la nommer conscience morale. Elle apparaît comme constitutive du caractère universel de la morale et qui nous fait reconnaître la valeur des actes quelles que soient les sociétés.
Cependant, l’opposition du désir et de la morale présuppose un commandement extérieur. Car, ce qui m’oblige, c’est un bien qui n’est pas mon désir singulier mais une exigence universelle qui n’appartient à personne en propre. Et même, ce bien s’oppose à mon désir, c’est-à-dire finalement à moi-même. Dès lors, ne peut-on pas penser que la notion d’obligation n’est pas indispensable à la morale ? Qu’entendre alors par morale ?

La morale véritable est l’expression de ce qui permet à l’individu de s’épanouir, d’atteindre un bien qui soit le sien. En effet, le terme est d’origine latine (moralis). C’est un néologisme créé par Cicéron comme il l’indique dans son traité, Du destin (De fato), pour traduire le terme grec “éthikos” qui lui-même désignait la réflexion des philosophes sur ce qui permet d’obtenir le bonheur. Or, si une telle réflexion est nécessaire c’est que les hommes se trompent ou sont trompés par de fausses idées et de fausses sollicitations, y compris par les exigences sociales.
Ainsi, lorsqu’il conçoit la morale, Épicure lui assigne le plaisir comme but parce que le bien que recherchent tous les hommes est le bonheur. Mais un tel but exige de ne pas choisir n’importe quel plaisir. Certains plaisirs expliquent-ils dans la Lettre à Ménécée, qui sont bons en eux-mêmes ont de mauvaises conséquences. Il faut les éviter comme il faut choisir certaines douleurs d’où il résulte des plaisirs. C’est la raison qui doit choisir et aller à l’encontre des mauvaises habitudes. Épicure peut alors soutenir qu’il faut changer d’habitudes. Par exemple, il faut s’habituer de vivre de peu pour se libérer de la fortune et des vains désirs impossibles à satisfaire parce que l’objet qui est le leur est illimité. De même, le sujet doit respecter les obligations sociales non parce qu’elles sont des obligations, mais parce qu’il comprend que c’est mieux pour lui. La recherche du bonheur implique donc les vertus tant prisées d’honnêteté et de justice. Mais dira-t-on, où est la morale si on fait ce qui nous plaît ?
Il y a bien morale en ce sens d’une part que le sujet agit à partir d’une réflexion sur le bien. C’est donc lui qui fixe les règles de son action. Sauf que ses règles ne sont pas des obligations en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à son désir mais en exprime au contraire l’exigence. En outre, il y a bien dans le sujet une lutte. Mais il doit lutter contre les fausses sollicitations et là se situe son effort. Lorsqu’il réussit, il n’y a plus d’efforts. Il n’y a pas d’obligations dans tous les cas. En effet, celles-ci n’existent que pour l’individu qui a des désirs contraires aux prescriptions soit qui lui sont imposés ou qu’il croit lui être imposés, soit qu’il croit s’imposer. Pour qui fait de son bonheur qui n’exclut pas celui des autres la fin de l’existence, aucune prescription ne s’impose de quelque manière que ce soit.

En un mot, le problème était de savoir si la notion d’obligation est indispensable à la morale. Il semblait qu’elle était indispensable pour penser les morales sociales. Toutefois, celles-ci sont plutôt des systèmes de contraintes. La vraie morale exige la liberté. La notion d’obligation semble indispensable parce que l’homme est un être de désir. Cependant l’obligation suppose un sujet déchiré entre une mystérieuse exigence universelle et un être de désir. Si donc on pense la morale comme la réflexion nécessaire sur le bien de l’individu, c’est-à-dire sur le bonheur, alors ses prescriptions ne sont pas des obligations, mais les conseils nécessaires, voire suffisants, pour atteindre la plénitude du désir.