mardi 27 septembre 2016

Un exemple de dissertation : L'opinion a-t-elle toujours tort?

L’opinion est souvent valorisée alors qu’elle paraît inférieure à la connaissance ou à la réflexion critique.
L’opinion, dans la mesure où elle consiste à tenir une proposition pour vraie sans preuve, autrement dit de façon immédiate, paraît avoir toujours tort en ce sens qu’on n’a pas le droit d’affirmer ce qu’on ne connaît pas.
Cependant, une opinion peut être légitime lorsqu’on ne peut pas ne pas faire confiance aux autres, voire aux choses, et qu’on ne peut pas ne pas se prononcer.
On peut alors se demander si l’opinion a toujours tort dans tous les domaines. Elle a tort dans l’affirmation sans connaître, mais est légitime dans la mesure où tout n’est pas vérifiable, quoiqu’elle a tort à cause de son origine dans les besoins.


Ce qui caractérise l’opinion c’est qu’elle consiste en propositions qu’on tient pour vraies. Elle se distingue ainsi de la connaissance dans la mesure où elle est immédiate et ne repose pas sur des preuves. Elle ne provient pas d’une hypothèse ou conjecture testée. Or, une opinion peut être vraie ou fausse. Dans ce dernier cas, il est clair qu’elle a tort puisqu’elle prétend être vraie. Cela présuppose que toutes les opinions ne sont pas vraies. En effet, si toutes les opinions étaient vraies, il y aurait selon Aristote dans la Métaphysique (K, 1) contradiction entre elles. Il faudrait admettre que la réalité varie en fonction des points de vue de même que celui qui louche voit deux personnes alors que celui qui ne louche pas en voit une. Or, il est manifestement absurde que la même personne soit une ou deux. Mais l’opinion en général ne semble pas alors avoir tort s’il lui arrive d’être vraie.
En fait, avoir une opinion, c’est justement ne pas savoir et affirmer comme vraie une proposition dont on ne sait pas si elle est vraie ou fausse. On peut dire alors avec Épictète dans les Entretiens (Livre II, XI Quel est le commencement de la philosophie) que l’opinion doit être refusée car on n’a aucune raison de soutenir notre opinion, qu’elle soit personnelle ou qu’elle soit celle de notre culture. Ainsi, si mon opinion est fausse, je ne peux pas le savoir. Autrement dit, avoir une opinion implique de pouvoir se tromper sans le savoir. Par exemple, si je crois qu’un champignon est une nourriture saine alors qu’il est nuisible, je risque de mourir. Aussi paraît-il préférable de douter plutôt que d’avoir des opinions aussi bien dans le domaine de la connaissance que dans la pratique.
Toutefois, il faut agir et donc prendre des décisions. Et il n’apparaît pas possible de réfléchir à tout, sur tout, tout le temps Il est donc alors nécessaire de soutenir des opinions en l’absence de connaissance de sorte que l’opinion en tant que telle ne paraît pas avoir toujours tort. Ne faut-il pas aussi admettre des opinions non seulement dans la pratique mais aussi dans la connaissance ?

En effet, l’opinion est une proposition que l’on tient pour vraie sans chercher à la vérifier. Or, en ce sens, si avoir tort, c’est faire ou penser contrairement à ce qu’on doit, on peut avoir une opinion sans avoir tort lorsqu’on fait confiance aux autres. C’est bien évidemment le cas dans la pratique où il paraît nécessaire de s’appuyer sur des opinions, notamment dans la vie sociale comme Tocqueville le montre dans De la démocratie en Amérique (1835). En effet, sinon, chacun suivant ses opinions, il n’y aurait pas d’opinions communes et donc pas de société qui implique coopération, accord. Il en va de même dans la connaissance. Par exemple, en géographie, on fait confiance aux témoins qui nous décrivent les pays. Même si je ne suis jamais allé au Burkina Faso, comment ne pas croire les descriptions qu’on m’en donne ? C’est qu’en effet, il est impossible de tout vérifier. Cependant, en sciences, ne doit-on pas tout vérifier, y compris refaire les expériences que d’autres ont faites ?
Vérifier, c’est apporter une preuve qui peut être une expérience ou un témoignage notamment en histoire. Si on vérifie la preuve, il en faut une autre, et ainsi de suite à l’infini. Ainsi, l’exigence de tout vérifier, loin de rendre la science possible, la détruit. Autrement dit, tout vérifier reviendrait à ne rien connaître. Il n’est pas possible de tout vérifier, y compris en science de sorte que l’opinion n’a pas toujours tort en science. Par exemple, lorsque Galilée (1564-1642) a braqué la lunette qu’il avait améliorée vers le ciel en 1609 et découvert quatre satellites de Jupiter, il a fait confiance en son instrument. Sans quoi, il n’aurait rien pu affirmer.
Néanmoins, lorsqu’on a une opinion, elle dirige nos éventuelles investigations et risque ainsi non seulement de nous induire en erreur, mais de ne pas nous permettre de nous corriger. Dès lors, ne doit-on pas rejeter toujours l’opinion ? Comment est-ce possible s’il est impossible de tout vérifier ?

Comme l’opinion s’affirme sans preuve, elle a donc une autre source. On peut donc penser avec Bachelard dans la Formation de l’esprit scientifique (1938) que l’opinion est la traduction de besoins en termes de connaissance. Par exemple, au XVIII°, on trouve des traités “scientifiques” qui soutiennent que l’or ou l’argent se reproduisent. L’exemple montre que l’opinion exprime un besoin, ici celui de richesse. C’est pour cela que l’opinion a toujours tort en ce sens qu’elle implique une mauvaise argumentation. Ainsi au XVII° l’opposition des ovistes et animalculistes suite à la découverte du microscope montre comme l’opinion dirige la recherche lorsqu’on ne s’en est pas débarrassé. En effet, chaque camp voyant la reproduction comme un emboitement, le dogme du péché originel trouvait ainsi une sorte de “preuve”. Il n’en reste pas moins qu’il est impossible de tout vérifier, donc comment commencer ?
On peut remplacer l’opinion par l’hypothèse, c’est-à-dire par ce qu’on ne tient ni pour vraie ni pour faux. Et pour cela, il faut refuser l’opinion, en faire la critique. Finalement, cela implique qu’on commence par poser des problèmes comme le soutient à juste titre Bachelard dans la Formation de l’esprit scientifique. Par exemple, pour les Grecs de l’époque d’Hésiode (VIII° av. J.-C.), la Terre était une déesse sur laquelle on repose. D’où l’idée qu’elle avait des racines profondes (Hésiode, Théogonie). Sa forme, sa place dans l’univers ne sont pas des problèmes avant de les poser. Thalès (VII°-VI° av. J.-C.) a dû poser le problème avant de proposer sa thèse selon laquelle elle est un disque plat. La science implique de toujours tout remettre en cause, y compris ses propres découvertes pour qu’elles ne se figent pas en opinions.


Disons donc pour finir que le problème était de savoir si l’opinion a tort dans tous les domaines. Il est apparu qu’elle risque d’induire en erreur le sujet sans qu’il le sache mais qu’elle a raison lorsqu’elle permet une décision dans l’action, voire dans la connaissance. Toutefois, dans ce dernier domaine, l’opinion est illégitime en ce qu’elle y transporte des considérations étrangères et en ce sens qu’elle n’est nullement nécessaire : au contraire, elle empêche que des problèmes soient clairement posés.