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Albert Camus de Fréjus |
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Peut-on tout dire ?
1.1. Linfini, labsolu, le néant. Exemple: la difficulté que rencontre le physicien à exprimer: Le recours à limagination est alors légitime comme outil de représentation mais demeure de peu de secours pour la démonstration car les imaginaires se rencontrent et sopposent : problème de la formulation dune abstraction et de son interprétation précise et cohérente. 1.2. Les limites de la pensée sont aussi celles du dire. Dans le 1er cas : Dieu, être par définition absolu et inconnaissable, est pensé grâce au secours des noms divins, chaque nom signifiant une qualité reconnue de son essence infinie. Doù la tentation, et la nécessité, de multiplier presque sans fin ses noms pour essayer dépuiser le domaine de définition de Dieu: 72 noms reconnus comme périphrases possibles. Or, ce ne sont que des périphrases, i.e.: des façons détournées de nommer Dieu en espérant pouvoir le saisir derrière ce rideau de mot, ce qui réclame létude toute se vie durant des Noms Divins: cf. la Kabbale. Dans le 2nd cas, on refuse de nommer Dieu puisquil est par définition au-delà de ce que lesprit humain peut penser ou imaginer. Lapophase consiste en la négation de tout discours sur Dieu, considéré comme nul et non avenu puisque le sujet de ce discours est intraduisible en mots, voire même en pensée. Donc seule solution: se taire et contempler dans le silence les mystères de la divinité. Cette seconde voie fonde le mysticisme dont lexpression la plus haute est donnée par Angelus SILESIUS, dans son ouvrage le Pèlerin Chérubinique: " il me faut monter plus haut que Dieu Dans un désert. " 1.3. Le verbe foudroyé. A ce titre, la mort est un autre domaine, peut-être encore plus immédiat, dinquiétude au sens propre, i.e.: dabsence de paix de lesprit qui recherche en vain un repère, une possibilité de saisir même sans la comprendre vraiment ce que cette idée cache. Lauteur qui a le mieux fait connaître cette inquiétude fut sans nul doute le poète allemand HÖLDERLIN, contemporain de GÖTHE et de BYRON, qui dans son oeuvre fit lexpérience du vide et du néant, au travers de crises de lécriture qui pouvait le laisser des jours entiers sans écrire, voire prononcer, le moindre mot, tant la langue lui semblait impropre à transmettre le contenu de ses sensations dans la nature. Doù chez lui, la volonté constante de créer de nouveaux mots, une nouvelle grammaire, une nouvelle syntaxe qui seuls pouvaient essayer de rendre compte de ses états mentaux et de ses perceptions, insensibles dans la langue commune. Conséquence de cette recherche: la folie qui fit son apparition tôt, le conduisant à se retrancher de plus en plus loin du monde et à se méfier de ses amis quils jugeait dangereux. Autre conséquence, la pratique dune écriture de plus en plus morcelée, parcellaire où les vides ont autant de sens, si ce nest plus, que les mots eux-mêmes. Analogie à dresser avec le peintre Kaspar FRIEDRICH, qui a préféré peindre plutôt que décrire, car la peinture lui semblait le medium le plus direct pour signifier ses pensées, en abolissant par exemple systématiquement le plan médian de toutes ses toiles qui semblent ainsi éclater dans les 2 sens de lobservation: un premier plan qui sort de la toile, et un arrière-plan qui semble disparaître dans le mur. Conclusion/transition. Ici, il ne sagit pas de connaissance, mais bien de pure pensée, ou pouvoir dappréhender par lesprit une réalité ou une idée. Peut-on dès lors espérer trouver une voie de sortie en rétablissant ici le lien avec la connaissance, selon des critères de vérité acceptés par tous? En un mot, tout dire est-il possible dans le même mouvement que savoir? 2. La réforme de lentendement. 2.1. Dialectique et logique: les deux ordres du logos. 1/ la parole ; Toute science de la parole est donc de fait une science de la pensée,
et vice versa. 1/ définir ce quest
la rhétorique et lui opposer la dialectique ; La première étape consiste ici à définir la rhétorique qui est lart dont Gorgias fait profession, en amenant celui-ci à la conclusion que sa pratique est " ouvrière de persuasion " et nullement une science comme il laffirmait au début du dialogue. Ce qui conduit à définir implicitement ce quest la dialectique comme discours cherchant à manifester, voire établir, la vérité. La seconde étape, indissociable de la première, consiste à pratiquer lironie, cest à dire lart de poser des questions en conduisant son interlocuteur à une impasse de laquelle il ne peut sortir quen reconsidérant ses anciennes opinions comme fausses. Cette démarche se fonde sur léchange dialogique. La troisième étape est la redécouverte de la vérité par linterlocuteur de SOCRATE, vérité donnée demblée mais oubliée lors de lincarnation: cf. le Phédon. Cette vérité est " aletheia ", i.e.: une redécouverte ou un retour de lesprit sur loubli ( lethe) qui le frappe dès la création. En ce sens, lusage de la parole est le moyen par lequel lesprit ses ressaisit lui-même et parvient à une pleine reconnaissance des vérités qui étaient enfouies en lui.. La dialectique est donc le seul moyen efficace dunir deux paroles ( dia logoin) et de parvenir à un accord par la parole ( dia logô). Problème relevé par ARISTOTE : si lesprit parvient à un
tel niveau de vérité et/ou de réalité objectives, alors il na plus besoin de la
parole car lâme voit les archétypes et cette contemplation ( theoria) se passe
dans le silence... 2.2. Formalisation et validation du dire. Pour ARISTOTE, la pensée est lorgane par lequel tout homme, désireux de connaître et dapprendre, peut saisir le sens du monde et ce par le biais de la parole. Il faut donc, pour bien penser et bien savoir, parvenir à bien parler, i.e.: dire les choses avec le maximum de pertinence et de cohérence. Doù le mise en place de lOrganon ou ensemble des traités de logique, qui sont un outil de la parole ( sens du mot organon: outil) à la recherche de la plus grande pureté de lattribution des catégories à un prédicat. Un prédicat est un sujet sur quoi porte une action ou une passion, un état donné, par exemple, le concept dhomme. Sur ce prédicat se greffe par une copule ( le verbe être par exemple) des qualités ou des définitions qui transforment ce prédicat, et que lon appelle catégories, classées selon la qualité la quantité, la relation, le lieu, le temps, laction etc... Lart de conjoindre des catégories à un prédicat est la prédication, et lart de jongler entre plusieurs prédications est la syllogistique ou science du syllogisme. Le syllogisme est une forme logique unissant et confrontant trois propositions prédicatives. Exemple le plus fameux de syllogisme: 1/ tout homme est mortel ; Par la mise en place des 14 formes concluantes du syllogisme, ARISTOTE prétend rendre le discours formellement cohérent et valide, donc porteur dun sens universel que tous les hommes, quel que soit le lieu, quelle que soit leur époque, quels que soient leurs sentiments sur le sujet en cause, peuvent partager. Le but ultime de cette logique est de parvenir aux degrés les plus hauts possibles de la connaissance, à savoir celle de lEtre universel qui est cause de toutes choses et de tout mouvement donc une connaissance dordre métaphysique. 2.3. Le risque du vide formel. Mais le formalisme logique quil a mis en place pour rendre tout dire universel est vite devenu une machine vide de sens sous les mains de philosophes et de penseurs moins scrupuleux qui lui qui se sont rendus compte que la logique aristotélicienne ne sattachait quà la seule forme du discours et non à son contenu, qui dépasse les compétences de cette logique. Doù un usage de plus en plus critiquable de lOrganon, et le création de nouvelles formes de syllogismes portant à 172 les prédications possibles, dont la plupart sont non-concluantes. Ce raffinement a conduit à une impasse et désormais on pouvait parler avec autorité pour ne rien dire, pour le simple plaisir vague de rivaliser dadresse. On revient de fait au temps des Sophistes qui prouvent que : 1/ tout homme est un être
de volonté ; ce qui est valide quant à la forme qui respecte les lois de la logique, mais invalide et donc irrecevable quant au fond puisque cette prédication est absurde en soi. Ce qui a conduit à une critique cinglante de la vieille logique chez KANT, dans la Critique de la Raison Pure, " Dialectique Transcendantale ", §§ sur les Antinomies et Amphibologie de la Raison Pure. Conclusion/transition. Faut-il pour autant condamner désormais toute forme possible de parole, et sinterdire de dire quoi que ce soit? Doit-on refuser le dire et lui préférer le silence selon le mot de WITTGENSTEIN, qui réclame que lon se taise là où on ne sait rien? Ou bien ces limites ne nous en disent pas plus quil ne semble sur le rôle de la parole et du dire? Ne sont-elles pas constitutives du dire lui même et à ce titre plus parlantes que nous ne pouvons limaginer? 3. Etre et dire, dire pour être. 3.1. La parole comme formulation de lêtre. Cette analyse nest pas nouvelle et existe depuis presque 2 siècles en philosophie. Elle a été initiée par Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, dans la Phénoménologie de lesprit, dans lanalyse des fonctions qui créent et permettent la vie psychique et intellectuelle. Fondement du système hégélien: la dialectique ou confrontation des diverses strates de la conscience humaine, autant dans le développement de lindividu que dans celui de lespèce humaine. Le langage est ici une cause fondamentale des progrès possibles, dans quelque domaine que ce soit. En effet, lhomme est naturellement amené à rencontrer dautres humains, à commencer sa famille. Or dans ce contact apparaît en lui le besoin de communiquer, i.e.: de partager une expérience, une pensée, ou tout simplement un sentiment. Doù la création des moyens propres à leffectuation de ce partage: les sons, les gestes, puis la parole comme communication organisée de sons et/ou de gestes visant à transmettre une information spécifique. Dans ce cadre de léchange entre deux consciences, qui peut se dérouler sous la forme du conflit intersubjectif ou de la communauté des désir et des besoins, lhomme fait en même temps lexpérience dun échange plus intime entre une fonction dialectique et dialogique sociale, et cette même fonction comprise sur le mode de lintériorité: la pensée à proprement parler. Dans un tel contexte, non seulement la parole, le dire, sont les vecteurs des liens sociaux fondamentaux qui vont créer et charpenter la vie humaine comme vie de type politique - quel que soit le niveau de complexité de ce mode de vie -, mais ils vont en même temps devenir les modes et les modèles de lavènement de la pensée consciente, dans et par laquelle la raison et lesprit vont pouvoir connaître leur développement dialectique. 3.2. Les silences de la raison. Là où la raison dialogique a épuisé le champ de ses possibilités, la passion, comme " ruse de la raison " peut prendre le relais et savérer très efficace et créatrice de sens. On la retrouve dans deux domaines au moins: lart et lhistoire.(cf. cours sur ces deux notions infra). La passion apparaît donc comme un métalangage, propre à lintelligence humaine qui cherche des voies nouvelles là où ses facultés sont faibles ou inefficaces. Qui plus est, par le biais de lart ou de lhistoire, la passion nous fait participer à des ordres dexistences que nous naurions pu jamais connaître ni approcher dans la vie commune, banale: nous devenons les contemporains et les égaux des " grands hommes " et des " génies " qui ont contribué de façon très notable aux progrès humains. Nous partageons donc avec eux, dans un dialogue transhistorique et transidéologique, des pensées et des connaissances, voire des sentiments que nous nétions pas a-priori destinés à recevoir. 3.3. LEtat, ou le lieu où la plénitude du dire
sétablit. Doù analyse de la notion de Droit, fondée sur la réflexion et linscription officielle des règles, normes et limites de laction humaine: le droit comme affirmation positive de lessence humaine de la vie sociale. Dans lanalyse de ces droits, faire la part du droit de pensée et du droit dexpression, qui sont pour HEGEL les deux faces dune même activité humaine: la conception et la réalisation effective de la pensée politique de lhumanité en marche vers labsolu. Doù lanalyse de la censure et des limites opposées au droit dexpression, comme limites non simples et indépassables, mais comme bornes et repères de problèmes que lhomme, autant comme individu que comme espèce, doit franchir ou abolir. Doù lanalyse de laffirmation de la nécessité de tout dire, jusques et y compris dans lerreur ou linfamie, afin de permettre à lesprit de dépasser les limites qui lui sont propres dans le cadre dune dialectique universelle conduisant au stade de lEsprit Absolu. Ici se taire, pour quelque motif que ce soit, revient à refuser ce progrès, ou du moins cette voie de progrès à lhumanité. Toute erreur formulée est connue, ou reconnue, donc corrigible. Toute idée, même la pire qui fût, est postulée donc elle aussi connue et reconnue donc amendable ou passible dun rejet définitif car rationnel. En un mot tout dire revient à risquer lerreur ou la faute Mais lerreur et la faute valent bien mieux que lignorance simple et non critique des causes qui fondent nos errements. |
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