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Peut-on tout dire ?

Introduction.

"C’est dans les mots que nous pensons" dit HEGEL dans la Phénoménologie de l’Esprit, d’où la reconnaissance d’un lien étroit entre dire et penser, et non a priori dire et savoir.

Fondements de l’analyse du sujet dans la recherche des liens qui unissent parole et pensée, le dore et le penser dans la création des univers mentaux mais aussi des formes possibles de communication intersubjectives des hommes.

Annonce du plan de la dissertation.

1. L’impensable et l’indicible.
Analyse des rapports qui existent entre dire et penser, où on cherche à définir les conséquences qu’implique une pensée encore rudimentaire ou limitée sur la fonction de langage et de communication.

1.1. L’infini, l’absolu, le néant.
L’homme a du mal à concevoir, même par image ou métaphore, ce qu’est la réalité, voire la vérité, dans leurs degrés les plus hauts, qu’il dénomme l’absolu ou l’infini par commodité, ainsi que l’absolu ou l’infini inverses, le néant.
Il y a en ce sens toujours chez lui une formulation relative qui ne pose pas de problèmes majeurs si ce n’est quand ces mêmes idées s’avèrent centrales et décisives.

Exemple: la difficulté que rencontre le physicien à exprimer:
        1/ l’infini de l’univers,
        2/ le néant supposé entourer l’univers, le soutenir ;
        3/ la possibilité contraire d’un univers supérieur au nôtre, et le contenant
             comme un infini d’infini (cf. le théorème de CANTOR appliqué à
             l’astrophysique).

Le recours à l’imagination est alors légitime comme outil de représentation mais demeure de peu de secours pour la démonstration car les imaginaires se rencontrent et s’opposent : problème de la formulation d’une abstraction et de son interprétation précise et cohérente.

1.2. Les limites de la pensée sont aussi celles du dire.
Dans ce cadre, sitôt que nous ne pouvons pas penser, il nous est de fait impossible de signifier, i.e.; dire en ajoutant un sens à la simple parole.
En est-il de même dans le sens inverse : dire peut-il aider à penser?
Exemple de la définition de Dieu dans 2 cadres doctrinaux opposés: la pensée biblique fondée sur l’interprétation de l’Ancien Testament par le Talmud et la pensée des premiers Pères de l’Eglise.

Dans le 1er cas : Dieu, être par définition absolu et inconnaissable, est pensé grâce au secours des noms divins, chaque nom signifiant une qualité reconnue de son essence infinie. D’où la tentation, et la nécessité, de multiplier presque sans fin ses noms pour essayer d’épuiser le domaine de définition de Dieu: 72 noms reconnus comme périphrases possibles. Or, ce ne sont que des périphrases, i.e.: des façons détournées de nommer Dieu en espérant pouvoir le saisir derrière ce rideau de mot, ce qui réclame l’étude toute se vie durant des Noms Divins: cf. la Kabbale.

Dans le 2nd cas, on refuse de nommer Dieu puisqu’il est par définition au-delà de ce que l’esprit humain peut penser ou imaginer. L’apophase consiste en la négation de tout discours sur Dieu, considéré comme nul et non avenu puisque le sujet de ce discours est intraduisible en mots, voire même en pensée. Donc seule solution: se taire et contempler dans le silence les mystères de la divinité.

Cette seconde voie fonde le mysticisme dont l’expression la plus haute est donnée par Angelus SILESIUS, dans son ouvrage le Pèlerin Chérubinique: " il me faut monter plus haut que Dieu Dans un désert. "

1.3. Le verbe foudroyé.
Dieu n’est pas la seule expérience qui nous échappe radicalement et qu’on ne puisse penser correctement. Ici, la connaissance n’est pas en cause, mais bien la possibilité-même de penser un objet dont la dimension nous dépasse, voire nous écrase.

A ce titre, la mort est un autre domaine, peut-être encore plus immédiat, d’inquiétude au sens propre, i.e.: d’absence de paix de l’esprit qui recherche en vain un repère, une possibilité de saisir même sans la comprendre vraiment ce que cette idée cache.

L’auteur qui a le mieux fait connaître cette inquiétude fut sans nul doute le poète allemand HÖLDERLIN, contemporain de GÖTHE et de BYRON, qui dans son oeuvre fit l’expérience du vide et du néant, au travers de crises de l’écriture qui pouvait le laisser des jours entiers sans écrire, voire prononcer, le moindre mot, tant la langue lui semblait impropre à transmettre le contenu de ses sensations dans la nature.

D’où chez lui, la volonté constante de créer de nouveaux mots, une nouvelle grammaire, une nouvelle syntaxe qui seuls pouvaient essayer de rendre compte de ses états mentaux et de ses perceptions, insensibles dans la langue commune.

Conséquence de cette recherche: la folie qui fit son apparition tôt, le conduisant à se retrancher de plus en plus loin du monde et à se méfier de ses amis qu’ils jugeait dangereux. Autre conséquence, la pratique d’une écriture de plus en plus morcelée, parcellaire où les vides ont autant de sens, si ce n’est plus, que les mots eux-mêmes.

Analogie à dresser avec le peintre Kaspar FRIEDRICH, qui a préféré peindre plutôt que d’écrire, car la peinture lui semblait le medium le plus direct pour signifier ses pensées, en abolissant par exemple systématiquement le plan médian de toutes ses toiles qui semblent ainsi éclater dans les 2 sens de l’observation: un premier plan qui sort de la toile, et un arrière-plan qui semble disparaître dans le mur.

Conclusion/transition.
Des domaines existent où la parole, le dire, ne semblent avoir aucune puissance, car ne peuvent s’appuyer sur aucune pensée suffisante, ni aucune imagination assez développée.

Ici, il ne s’agit pas de connaissance, mais bien de pure pensée, ou pouvoir d’appréhender par l’esprit une réalité ou une idée.

Peut-on dès lors espérer trouver une voie de sortie en rétablissant ici le lien avec la connaissance, selon des critères de vérité acceptés par tous?

En un mot, tout dire est-il possible dans le même mouvement que savoir?

2. La réforme de l’entendement.
Analyse des tentatives de redonner un ordre supérieur au discours pour le lier à une connaissance possible permettant d’exprimer sans faille ni faiblesse le contenu de nos pensées.

2.1. Dialectique et logique: les deux ordres du logos.
Chez les Grecs, le mot logos connaît deux acceptions principales :

        1/ la parole ;
        2/ la pensée.

Toute science de la parole est donc de fait une science de la pensée, et vice versa.
D’où la recherche chez PLATON de la vraie parole comme vraie pensée en acte, dans le Gorgias en particulier, selon trois principaux mouvements de l’argumentation:

        1/ définir ce qu’est la rhétorique et lui opposer la dialectique ;
        2/ pratiquer l’ironie et le dialogue à bâtons rompus ;
        3/ redécouvrir la vérité dans l’usage dialectique de la parole.

La première étape consiste ici à définir la rhétorique qui est l’art dont Gorgias fait profession, en amenant celui-ci à la conclusion que sa pratique est " ouvrière de persuasion " et nullement une science comme il l’affirmait au début du dialogue. Ce qui conduit à définir implicitement ce qu’est la dialectique comme discours cherchant à manifester, voire établir, la vérité.

La seconde étape, indissociable de la première, consiste à pratiquer l’ironie, c’est à dire l’art de poser des questions en conduisant son interlocuteur à une impasse de laquelle il ne peut sortir qu’en reconsidérant ses anciennes opinions comme fausses. Cette démarche se fonde sur l’échange dialogique.

La troisième étape est la redécouverte de la vérité par l’interlocuteur de SOCRATE, vérité donnée d’emblée mais oubliée lors de l’incarnation: cf. le Phédon. Cette vérité est " aletheia ", i.e.: une redécouverte ou un retour de l’esprit sur l’oubli ( lethe) qui le frappe dès la création. En ce sens, l’usage de la parole est le moyen par lequel l’esprit ses ressaisit lui-même et parvient à une pleine reconnaissance des vérités qui étaient enfouies en lui.. La dialectique est donc le seul moyen efficace d’unir deux paroles ( dia logoin) et de parvenir à un accord par la parole ( dia logô).

Problème relevé par ARISTOTE : si l’esprit parvient à un tel niveau de vérité et/ou de réalité objectives, alors il n’a plus besoin de la parole car l’âme voit les archétypes et cette contemplation ( theoria) se passe dans le silence...
D’où la nécessité de réformer la parole en créant une vraie science du logos: la logique.

2.2. Formalisation et validation du dire.
Définition de la logique: la science et la pratique du discours cohérent quant à la forme qu’il manifeste.

Pour ARISTOTE, la pensée est l’organe par lequel tout homme, désireux de connaître et d’apprendre, peut saisir le sens du monde et ce par le biais de la parole. Il faut donc, pour bien penser et bien savoir, parvenir à bien parler, i.e.: dire les choses avec le maximum de pertinence et de cohérence.

D’où le mise en place de l’Organon ou ensemble des traités de logique, qui sont un outil de la parole ( sens du mot organon: outil) à la recherche de la plus grande pureté de l’attribution des catégories à un prédicat.

Un prédicat est un sujet sur quoi porte une action ou une passion, un état donné, par exemple, le concept d’homme. Sur ce prédicat se greffe par une copule ( le verbe être par exemple) des qualités ou des définitions qui transforment ce prédicat, et que l’on appelle catégories, classées selon la qualité la quantité, la relation, le lieu, le temps, l’action etc...

L’art de conjoindre des catégories à un prédicat est la prédication, et l’art de jongler entre plusieurs prédications est la syllogistique ou science du syllogisme. Le syllogisme est une forme logique unissant et confrontant trois propositions prédicatives.

Exemple le plus fameux de syllogisme:

        1/ tout homme est mortel ;
        2/ SOCRATE est un homme ;
        3/ donc SOCRATE est mortel.

Par la mise en place des 14 formes concluantes du syllogisme, ARISTOTE prétend rendre le discours formellement cohérent et valide, donc porteur d’un sens universel que tous les hommes, quel que soit le lieu, quelle que soit leur époque, quels que soient leurs sentiments sur le sujet en cause, peuvent partager.

Le but ultime de cette logique est de parvenir aux degrés les plus hauts possibles de la connaissance, à savoir celle de l’Etre universel qui est cause de toutes choses et de tout mouvement donc une connaissance d’ordre métaphysique.

2.3. Le risque du vide formel.
La pensée d’ARISTOTE eut de grandes répercussions sur le développement des sciences et de la pensée en général.

Mais le formalisme logique qu’il a mis en place pour rendre tout dire universel est vite devenu une machine vide de sens sous les mains de philosophes et de penseurs moins scrupuleux qui lui qui se sont rendus compte que la logique aristotélicienne ne s’attachait qu’à la seule forme du discours et non à son contenu, qui dépasse les compétences de cette logique.

D’où un usage de plus en plus critiquable de l’Organon, et le création de nouvelles formes de syllogismes portant à 172 les prédications possibles, dont la plupart sont non-concluantes.

Ce raffinement a conduit à une impasse et désormais on pouvait parler avec autorité pour ne rien dire, pour le simple plaisir vague de rivaliser d’adresse. On revient de fait au temps des Sophistes qui prouvent que :

        1/ tout homme est un être de volonté ;
        2/ le lâche est un homme ;
        3/ le lâche est un être de volonté.

ce qui est valide quant à la forme qui respecte les lois de la logique, mais invalide et donc irrecevable quant au fond puisque cette prédication est absurde en soi.

Ce qui a conduit à une critique cinglante de la vieille logique chez KANT, dans la Critique de la Raison Pure, " Dialectique Transcendantale ", §§ sur les Antinomies et Amphibologie de la Raison Pure.

Conclusion/transition.
S’il est vrai que la réforme de l’ordre du discours entreprise par ARISTOTE permet de mieux dire les choses, les faits et le monde, il n’en demeure pas moins vrai que dès lors que l’expérience sensible manque, ainsi que le relève KANT, la pensée perd pied et tout discours devient alors invalide, inconsistant voire incohérent, donc atteint de folie.

Faut-il pour autant condamner désormais toute forme possible de parole, et s’interdire de dire quoi que ce soit? Doit-on refuser le dire et lui préférer le silence selon le mot de WITTGENSTEIN, qui réclame que l’on se taise là où on ne sait rien?

Ou bien ces limites ne nous en disent pas plus qu’il ne semble sur le rôle de la parole et du dire? Ne sont-elles pas constitutives du dire lui même et à ce titre plus parlantes que nous ne pouvons l’imaginer?

3. Etre et dire, dire pour être.
Analyse du rôle fondateur du langage dans la constitution et la réalisation de la personne humaine, expression de ce pouvoir d’autocréation par la puissance du verbe.

3.1. La parole comme formulation de l’être.
En psycho.: c’est par l’acquisition du langage puis de la parole que l’enfant se forme et se constitue comme être humain à part entière. Cf. les cas dérogatoires comme l’autisme ou les retards dus à une surdité ou une aphasie congénitales.

Cette analyse n’est pas nouvelle et existe depuis presque 2 siècles en philosophie. Elle a été initiée par Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, dans la Phénoménologie de l’esprit, dans l’analyse des fonctions qui créent et permettent la vie psychique et intellectuelle.

Fondement du système hégélien: la dialectique ou confrontation des diverses strates de la conscience humaine, autant dans le développement de l’individu que dans celui de l’espèce humaine.

Le langage est ici une cause fondamentale des progrès possibles, dans quelque domaine que ce soit. En effet, l’homme est naturellement amené à rencontrer d’autres humains, à commencer sa famille. Or dans ce contact apparaît en lui le besoin de communiquer, i.e.: de partager une expérience, une pensée, ou tout simplement un sentiment. D’où la création des moyens propres à l’effectuation de ce partage: les sons, les gestes, puis la parole comme communication organisée de sons et/ou de gestes visant à transmettre une information spécifique.

Dans ce cadre de l’échange entre deux consciences, qui peut se dérouler sous la forme du conflit intersubjectif ou de la communauté des désir et des besoins, l’homme fait en même temps l’expérience d’un échange plus intime entre une fonction dialectique et dialogique sociale, et cette même fonction comprise sur le mode de l’intériorité: la pensée à proprement parler.

Dans un tel contexte, non seulement la parole, le dire, sont les vecteurs des liens sociaux fondamentaux qui vont créer et charpenter la vie humaine comme vie de type politique - quel que soit le niveau de complexité de ce mode de vie -, mais ils vont en même temps devenir les modes et les modèles de l’avènement de la pensée consciente, dans et par laquelle la raison et l’esprit vont pouvoir connaître leur développement dialectique.

3.2. Les silences de la raison.
Dans un tel système, le dire est la norme comme mode d’expression de l’intériorité pure du sujet qui cherche à se réaliser dans la dialectique des consciences. Et ce dire peut même se situer hors de la sphère des mots, dans l’action, voire l’activité, qui réalisent et actualisent les contenus de l’esprit en pleine accession à la maîtrise du soi.

Là où la raison dialogique a épuisé le champ de ses possibilités, la passion, comme " ruse de la raison " peut prendre le relais et s’avérer très efficace et créatrice de sens. On la retrouve dans deux domaines au moins: l’art et l’histoire.(cf. cours sur ces deux notions infra).

La passion apparaît donc comme un métalangage, propre à l’intelligence humaine qui cherche des voies nouvelles là où ses facultés sont faibles ou inefficaces. Qui plus est, par le biais de l’art ou de l’histoire, la passion nous fait participer à des ordres d’existences que nous n’aurions pu jamais connaître ni approcher dans la vie commune, banale: nous devenons les contemporains et les égaux des " grands hommes " et des " génies " qui ont contribué de façon très notable aux progrès humains. Nous partageons donc avec eux, dans un dialogue transhistorique et transidéologique, des pensées et des connaissances, voire des sentiments que nous n’étions pas a-priori destinés à recevoir.

3.3. L’Etat, ou le lieu où la plénitude du dire s’établit.
Si le dire est désormais compris non seulement comme la faculté d’exprimer avec des mots des idées ou des sentiments, mais comme ,la faculté de communiquer tous les contenus de notre esprit par quelque moyen que ce soit, et quel que soit ce contenu, alors le lieu, selon HEGEL, où se réalise le mieux cette manifestation concrète des aspirations et pensées humaines est sans conteste l’Etat, comme organisation supérieure des activités humaines.

D’où analyse de la notion de Droit, fondée sur la réflexion et l’inscription officielle des règles, normes et limites de l’action humaine: le droit comme affirmation positive de l’essence humaine de la vie sociale.

Dans l’analyse de ces droits, faire la part du droit de pensée et du droit d’expression, qui sont pour HEGEL les deux faces d’une même activité humaine: la conception et la réalisation effective de la pensée politique de l’humanité en marche vers l’absolu.

D’où l’analyse de la censure et des limites opposées au droit d’expression, comme limites non simples et indépassables, mais comme bornes et repères de problèmes que l’homme, autant comme individu que comme espèce, doit franchir ou abolir.

D’où l’analyse de l’affirmation de la nécessité de tout dire, jusques et y compris dans l’erreur ou l’infamie, afin de permettre à l’esprit de dépasser les limites qui lui sont propres dans le cadre d’une dialectique universelle conduisant au stade de l’Esprit Absolu. Ici se taire, pour quelque motif que ce soit, revient à refuser ce progrès, ou du moins cette voie de progrès à l’humanité. Toute erreur formulée est connue, ou reconnue, donc corrigible. Toute idée, même la pire qui fût, est postulée donc elle aussi connue et reconnue donc amendable ou passible d’un rejet définitif car rationnel.

En un mot tout dire revient à risquer l’erreur ou la faute Mais l’erreur et la faute valent bien mieux que l’ignorance simple et non critique des causes qui fondent nos errements.

 
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 Copyright © 1998 Martial MARTINEZ - Prof. de Philosophie au Lycée ALbert Camus de Fréjus.