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Texte de Kant

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Expliquer le texte suivant :
« Un homme a beau chercher par tous les artifices à représenter une action illégitime, qu'il se rappelle avoir commise, comme une erreur involontaire, comme une de ces négligences qu'il est impossible d'éviter entièrement, c'est-à-dire comme une chose où il a été entraîné par le torrent de la nécessité naturelle, et se déclarer ainsi innocent, il trouve toujours que l'avocat qui parle en sa faveur ne peut réduire au silence la voix intérieure qui l'accuse, s'il a conscience d'avoir été dans son bon sens, c'est-à-dire d'avoir eu l'usage de sa liberté au moment où il a commis cette action injuste ; et, quoiqu'il s'explique sa faute par une mauvaise habitude, qu'il a insensiblement contractée en négligeant de veiller sur lui-même, et qui en est venue à ce point que cette faute en peut être considérée comme la conséquence naturelle, il ne peut pourtant se mettre en sécurité contre les reproches et le blâme qu'il s'adresse à lui-même. »
Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique

La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Corrigé

Introduction
Un homme politique ou un chef d'entreprise accusés de malversations se défendent souvent en invoquant des habitudes, voire des nécessités, d'exercice de leur profession qui justifient certains actes, pourtant jugés illégitimes. Cette défense est-elle elle-même légitime ? Peut-on se dégager de la responsabilité d'un acte par l'explication des causes l'ayant provoqué de façon quasi nécessaire ? Kant répond par la négative, en soutenant la thèse que le remords et la conscience ne sont jamais apaisés par ce genre d'explication. La responsabilité est entière, dès l'instant où il y a eu connaissance de l'acte commis. Pour développer son point de vue, il présente sous la forme d'un tribunal, avec avocat et accusateur, le procès intérieur que se livre le coupable. Dans une première partie, il met en place les différentes versions en présence, et en particulier celle de la défense, pour montrer dans un second moment, plus bref, l'inefficacité de toute procédure visant à disculper de la faute.
I. Le tribunal de la conscience
1. Les faits
Le point de départ est simple : une action « illégitime » faite par un homme dans le passé « qu'il se rappelle avoir commise ». Rien n'est précisé sur la date, proche ou lointaine, mais on comprend pourquoi : une action illégitime n'est pas nécessairement contraire aux lois civiles ou pénales d'un État. Or ces lois changent avec le temps, elles contiennent aussi en elles le délai de leur prescription. En France par exemple, un délit de fraude fiscale est effacé au bout de dix ans, s'il n'est pas découvert avant. De plus les auteurs d'infractions ne sont pas toujours informés de l'illégalité de leurs actes.
Ici, l'illégitimité fait référence à une infraction d'ordre moral. Or les principes moraux sont supposés universels, connus de tous, et ne changent pas selon les cultures ou les époques. La légitime défense a toujours été, d'une façon ou d'une autre, acceptée ; la faute que constitue le mensonge ou la trahison d'un ami est jugée à toutes les époques de la même manière. Il n'y a pas non plus de prescription légale, puisqu'on se situe dans un autre domaine que le droit. Cela peut se traduire par un remords qui ne s'oublie pas ou ne passe pas.
Cette action illégitime est représentée d'une façon spécifique. « L'avocat qui parle en sa faveur » figure ainsi ce que l'homme se « représente » pour se disculper de sa faute. Il est bien précisé cependant qu'il s'agit d'« artifices », c'est-à-dire d'un montage destiné à masquer ou déguiser la réalité brute. En quoi consiste-t-il ?
2. La version de la défense
Le rôle de l'avocat consiste d'abord à faire passer la faute pour « une erreur involontaire », c'est-à-dire une action qui n'implique pas l'intention expresse de son auteur, ni la connaissance claire de ce qu'il faisait. On pense ainsi à Socrate affirmant que « nul n'est méchant volontairement » : personne ne veut le mal pour le mal, par pure volonté diabolique, mais chacun commet le mal parce qu'il méconnaît le bien ou n'a pas assez analysé en quoi il consistait dans l'action concernée.
Quand on commet une erreur, par exemple médicale, il est bien évident qu'elle n'est pas volontaire, mais elle n'en reste pas moins une faute si on estime qu'elle aurait pu être évitée par celui qui l'a commise, en demandant confirmation du diagnostic à un collègue. Or c'est sur ce point que l'avocat renforce sa position. Il y a eu « négligence » de sa part certes, mais négligence qu'il était « impossible d'éviter entièrement ». Cela change tout : ce n'est plus une simple défaillance, c'est la conséquence de l'intervention d'une force irrépressible, comparée à « un torrent » qui emporte tout sur son passage et précipite en cascade les faits sans que l'on puisse les arrêter. Un peu comme Freud montre que le rêve ou le lapsus se produisent par l'intervention active de l'inconscient et indépendamment de la volonté.
Le torrent est celui de la « la nécessité naturelle ». Est nécessaire ce qui ne peut être autrement qu'il n'est. Est nécessaire l'ensemble des faits dus à la causalité des lois de la nature. On peut prévoir qu'un corps tombera si je le lâche, car la loi de l'attraction le fera nécessairement chuter. Ici, vu l'action décrite, on peut penser à une négligence due à la fatigue, ou à la précipitation, ou encore à un sentiment fort à l'égard de celui envers qui l'action a été commise : amour, haine ou colère. Autant d'éléments qui se présentent et se manifestent en nous par une sorte de force psychologique naturelle et irrépressible. À partir de tout cela, l'accusé peut « se déclarer ainsi innocent ».
3. La version de l'accusation
Le procureur, celui qui accuse, est en réalité « une voix intérieure ». On comprend qu'il figure la voix de la conscience morale, celle donnant lieu au remords, celle qui enregistre et exprime de façon continue qu'il y a eu faute. Comme le remarque Aristote, pour qualifier un acte de volontaire, il faut établir qu'il y avait les conditions d'un choix et d'une délibération entre plusieurs options possibles. Or une force naturelle, irrépressible, s'oppose par définition à cela. Donc le procureur devrait s'en tenir là. Mais Kant donne maintenant les données restantes du problème, qui elles ne résultent pas d'« artifices ».
L'individu a commis l'acte alors qu'il avait justement tout son « bon sens ». L'expression est précisée : il a conscience « d'avoir eu l'usage de sa liberté au moment où il a commis cette faute ». Cela détruit toute la défense, car il y a bien eu les conditions d'un choix et d'une délibération possibles. Kant associe « bon sens » à « liberté », ce qui n'est pas commun, puisque cette expression fait plutôt référence aux capacités de jugement et de lucidité élémentaires vis-à-vis d'une situation à traiter, et non aux capacités d'action. Pourtant c'est bien la même chose : au moment d'agir, l'homme savait ce qu'il faisait, quel principe il contournait, ou quelle limite morale il franchissait. On ne ment pas sans savoir que l'on ment, même si c'est par précipitation, pour éviter des explications. Il ne s'agit pas de mythomanie maladive. Quelle est alors l'issue du jugement ?
II. La force de la morale
1. Les causes de la faute
L'avocat répond au procureur d'une façon plus précise et plus nuancée. Si l'on peut « expliquer » ce qui s'est produit, c'est que l'on peut rationnellement remonter la chaîne des causes et des effets qui ont amené l'acte de négligence. Exactement comme expliquer un phénomène naturel, c'est montrer quelle est la loi qui le produit. Donc même si ce n'est pas une force purement naturelle, c'est tout de même une force causale irrépressible, car les causes sont justement bien identifiables.
L'explication donne comme source première, non pas la nature, mais « une mauvaise habitude », expression souvent évoquée en effet. Mais que veut-elle dire au fond ? Kant le précise. Elle désigne une façon d'agir dont l'origine est fort lointaine et qui n'est pas directement voulue à chaque fois qu'elle se produit. Quand on a pris la mauvaise habitude de fumer, ou de ne pas manger le matin, on ne décide plus vraiment, de façon volontaire et délibérée, de prendre une cigarette ou de s'abstenir du petit déjeuner. Cela se fait malgré soi, comme une nécessité naturelle, un réflexe automatique. Mais il y a bien une cause à l'habitude.
Cette cause est, d'après l'auteur, la négligence de soi : « en négligeant de veiller sur lui-même ». On voit donc le retournement : la négligence n'est plus l'effet produit par une nécessité naturelle, mais la cause première de l'habitude qui a produit la faute. D'autant que l'habitude ne se prend pas tout de suite. Il faut qu'elle soit « contractée » par la répétition des mêmes opérations. L'accoutumance se fait « insensiblement », mais on ne peut pas dire qu'elle se fasse involontairement ou automatiquement non plus. La liberté reste entière à chaque fois de décider de ne pas continuer à fumer, ou de se mettre à manger le matin.
2. Le verdict de la faute
« Les reproches et le blâme » continuent de se faire entendre. Dans la mesure où l'habitude prise provient d'une négligence vis-à-vis de soi, c'est-à-dire vis-à-vis de son intégrité morale, de sa dignité, la voix intérieure exprime ce manquement et perpétue le remords. Ce n'est pas une excuse suffisante d'invoquer un désir soudain ou une habitude prise de longue date d'être un don Juan pour justifier que l'on ait pu tromper un ami avec sa femme. La trahison reste une faute et engendre un remords, même si le don Juan a été élevé dans une ambiance permissive, même s'il n'a pas mesuré la gravité de son acte, et même si c'était dans des circonstances particulières.
Ce qui suppose que Kant fasse coexister deux types de causalités pour les actions humaines. Un même acte peut advenir par une sorte de nécessité naturelle ou contractée, et en même temps arriver contre la loi morale. La loi d'arrivée des événements et la loi morale ne sont donc pas du même ordre. La première exclut la liberté humaine, la seconde au contraire la suppose pleine et entière. Mais c'est elle qui est la plus forte, car l'homme « ne peut se mettre en sécurité » contre sa culpabilité. Il lui est impossible de s'en dégager, alors qu'il voulait montrer l'impossibilité de se dégager de la négligence.
Conclusion
Kant met à jour l'idée que toute opération de justification relève en fait, comme le dira Sartre plus tard, de « mauvaise foi ». On essaye de se dédouaner d'une responsabilité que l'on détient pourtant. Un aspect est passé sous silence cependant : un acte illégitime n'est pas toujours si clair pour tout le monde, en toutes circonstances. Aujourd'hui la moitié des Français se déclare favorable à la peine de mort. Comment savoir avec certitude qu'elle est illégitime ? Et que penser d'un enfant élevé par des parents qui ne cessent de lui vanter les mérites de cette sentence ? N'est-ce pas une habitude contractée, mais dont il n'est pas lui-même l'origine ? Et qui ne provient pas d'une négligence vis-à-vis de lui ? Dans ce cas, le poids du déterminisme de l'éducation est essentiel. On pourrait l'extrapoler à d'autres cas.
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