Série ES : Interprète-t-on à défaut de connaître?
Mis en ligne le 17/06/2013
Éléments de problématisation.
Le sujet oppose assez clairement connaître et interpréter. L'expression « à défaut de » suppose d'abord une forme d'exclusion entre ces deux modes d'appréhension de la réalité : si on interprète à défaut de connaître, cela signifie que l'un se substitue à l'autre (il n'y a donc pas de complémentarité, par exemple).
L'expression suppose aussi une hiérarchisation entre les deux : si l'on interprète à défaut de connaître, cela signifie que l'on interprète quand on ne peut pas connaître, l’interprétation apparaît alors comme un pis aller là où la connaissance a échoué, ce qui implique également qu’interpréter et connaître ont la même finalité (et non, par exemple, que l'interprétation peut aussi être un mode de compréhension des choses qui pourraient servir un autre objectif et avoir une valeur égale ou supérieure à celle de la connaissance).
Cette opposition entre interpréter et connaître permet de définir assez simplement les notions : là où la connaissance est objective, et renvoie à la science, l'interprétation est subjective, et nous renvoie par exemple à l'art. Là où la connaissance est démontrée, fondée et donc rationnelle, l'interprétation s'apparente davantage à un ressenti, relève de la sensibilité, et ne paraît donc pas à même de produire un savoir.
Le sujet pose donc deux questions : d'une part, l'interprétation peut-elle se substituer à la connaissance, peut-elle être l'outil de constitution d'un véritable savoir là où les outils traditionnels (expérimentation, démonstration) s'avèrent inefficaces? D'autre part, l'interprétation n'est-elle que cela (un palliatif imparfait aux faiblesses de la connaissance)? Ne peut-elle pas être elle-même une connaissance, soit dans les domaines où les outils des sciences de la nature ne peuvent être transposés (les sciences humaines notamment), soit dans les domaines où la connaissance ne peut rien et où l'interprétation à une valeur en elle-même et plus simplement comme substitut à la connaissance?
I. L'interprétation comme substitut de la connaissance.
L'interprétation renvoie d'abord à la subjectivité. Interpréter, c'est avoir une appréhension subjective d'un fait ou d'une chose. On interprète ainsi les œuvres d'art par exemple, parce qu'elles ne font pas l'objet d'une connaissance. La perception d'une œuvre d'art repose en effet sur la sensibilité et l'appréhension de l'œuvre ne peut donc pas être une connaissance : ni dans son processus (ce n'est pas un processus exclusivement rationnel et il ne repose pas sur des démonstrations ni des expérimentations) ni dans son résultat (l'interprétation ne prend pas la forme de lois). Surtout, l'interprétation ne prétend pas donner un résultat unique : elle est ouverte et plurielle : une même œuvre peut être interprétée de différentes manières sans que l'on puisse pour autant dire qu'une interprétation est meilleure que l'autre. Dans ses domaines d'application (théologie, droit, art, notamment) l'interprétation permet donc de remplacer une connaissance impossible. Comme le laisse entendre le sujet, on peut le voir négativement (l'interprétation est en deçà de la connaissance et n'est qu'un pis-aller : voir par exemple Spinoza, Traité théologico-politique) ou positivement (l'interprétation est complémentaire de la connaissance car la science seule ne permet pas de nous donner une connaissance adéquate de la réalité, voir par exemple Cassirer, Langage et mythe)
Transition. Cette approche de l'interprétation la cantonne en dehors de la science, en supposant que cette dernière ne puisse reposer que sur ses fondements classiques (démonstration et expérimentation). Or, interpréter n'est-il pas la seule manière de connaître dans certains domaines?
II. Interpréter pour connaître
On pourra dans cette partie développer l'idée que l'interprétation n'est pas exclusive de la connaissance. Elle peut au contraire nous permettre de connaître les choses dans les domaines où la connaissance ne peut se satisfaire de ses outils traditionnels : expérimentation, démonstration mathématique, et où le savoir ne peut pas prendre la forme classique de la science : des lois à portée générale ou universelle. On n'interprète pas à défaut de connaître, on interprète pour connaître. Ce qu'il est possible de développer ici, c'est l'idée que la connaissance ne se restreint pas à ce que les sciences de la nature proposent ou imposent comme modèle : notamment par l'utilisation de la langue mathématique. Dans d'autres domaines, dont celui des sciences humaines, l'utilisation de l'interprétation n'empêche pas la constitution d'une véritable science et même pourrait-on dire au contraire : on ne peut connaître les choses humaines qu'en les interprétant et non en essayant de les connaître comme si elles étaient des phénomènes naturels.
On peut penser à Paul Ricœur, Karl Popper ou encore à la sociologie compréhensive de Max Weber par exemple.
Transition : Donc on n'interprète pas à défaut de connaître, on interprète pour connaître. L'interprétation permet de constituer une connaissance au même titre que les autres modes utilisés en science. Or, l'interprétation ne nous permet-elle pas même d'être au plus près de la réalité en en ayant une appréhension singulière et sensible ?
III. Interpréter : seule manière de véritablement connaître.
On peut dans cette partie développer l'idée suivant laquelle interpréter est même la seule véritable manière de connaître la réalité. Si connaître signifie appréhender le réel tel qu'il est, alors la connaissance générale et abstraite de la réalité par la science nous tient à distance de ce que la réalité a d'unique, de mouvant et d'aléatoire. L'interprétation, en donnant toute sa place à la subjectivité, nous permet donc d'avoir une approche de la réalité bien plus respectueuse de ce que celle-ci est effectivement que la science qui en produit une reconstruction qui ne correspond pas aux faits tels qu'ils sont vécus et perçus. Dès lors, interpréter permet une véritable connaissance de la réalité au contraire de la science qui s'interpose entre nous les choses. Dans son roman Le Temps retrouvé, Marcel Proust évoque le « voile de la connaissance conventionnelle ». On peut aussi penser à Nietzsche (Le Livre du philosophe) par exemple.
Conclusion. On n'interprète pas à défaut de connaître, on interprète pour connaître et même pour connaître mieux que ce que nous offre la connaissance scientifique.
Plan de la dissertation
Est-ce que du coup c'est bon, ou alors ça change tout ?