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Bac 2013. Corrigé

Série ES : Que devons-nous à l’État ?

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles.

Remarque générale : Le sujet nécessite d’interpréter l’expression « que devons-nous… » à double sens : ce que l’État me doit et ce que je dois à l’État. Hormis ce point, le sujet est très classique. La question nécessitant de se demander si nous sommes libres grâce à l’État et si nous avons besoin d’une forme politique étatique pour nous accomplir en tant qu’homme ou bien si, à l’inverse, on doit à l’Etat de perdre notre liberté, notre individualité ou notre singularité. En parallèle, il faut se demander si l’on doit participer ou non à la vie politique : l’État nous prend en charge mais ne devons-nous pas nous aussi nous en donner la charge ?

 

Introduction/Problématisation.

L’État désigne la forme d’organisation institutionnelle que se donne une société humaine, devenant ainsi une communauté politique. L’État comprend à la fois les institutions du pouvoir et l’administration chargée des grandes fonctions régaliennes : faire appliquer et respecter la loi, lever l’impôt, assurer la sécurité du territoire etc. En ce sens, nous devons beaucoup à l’État : en tant qu’arbitre au dessus de la société des individus et organe de la loi, il me permet d’exercer et de développer ma liberté. Mais l’État est aussi un agent économique qui intervient dans l’activité productive pour l’orienter, la réguler, la rendre plus efficace et redistribuer une part de la richesse créée dans un but de développement économique et de justice sociale. Nous devons alors à l’État de nous protéger contre certains risques de la vie (la maladie, le chômage, la vieillesse, les catastrophes naturelles…).

Est-ce à dire que notre relation à l’État n’est qu’à sens unique ? Ne devons-nous pas, nous aussi, en tant que citoyens, quelque chose  à l’État, à commencer par  le devoir civique de s’intéresser à la « chose publique », de participer au débat et au vote ? L’indifférence des citoyens à l’égard du fonctionnement de l’État et des enjeux des lois en discussion risque de le couper de la société civile et de le réduire à une gigantesque machine administrative qui empiéterait peu à peu sur nos libertés. Or, si l’homme est bien un animal politique comme le dit Aristote, cela signifie que les sujets en débat ne concernent pas seulement des problèmes techniques d’organisation de la vie collective (par exemple, faut-il construire un nouvel aéroport à Nantes ? ) mais des questions en rapport avec les finalités de l’existence politique de l’homme : qu’est-ce que la justice, comment la rendre possible etc. ?

Si nous attendons tout de l’Etat, sans rien lui devoir en retour, c’est le sens même de la dimension politique de l’existence de l’homme qui s’en trouve menacée.

 

Première partie : Nous devons à l’État notre liberté.

L’État produit la loi, émanation de la volonté générale et la fait respecter. C’est un arbitre impartial qui s’impose aux volontés individuelles et  permet de faire en sorte qu’elles n’empiètent pas les unes sur les autres. Sans État, c’est-à-dire sans médiation de la loi et des institutions chargées de son application et de son respect, il n’y aurait pas de réelle liberté mais une simple indépendance, très vite menacée par celle d’autrui. En effet, si tout le monde est libre de faire tout ce qu’il veut, plus personne ne l’est en réalité (paradoxe de la liberté absolue) ! C’est ce qu’Hobbes dans Léviathan nomme l’état de nature. Grâce à l’Etat, ma liberté est non seulement préservée mais même augmentée. Elle le sera d’autant plus que, historiquement, l’État intervient non plus seulement pour faire respecter les droits politiques des individus (l’ensemble des libertés fondamentales) mais aussi pour garantir des droits sociaux qui autorisent l’individu à accéder à un niveau de vie minimum sans lequel il ne pourrait exercer aucune de ses libertés de base (droit à la santé, à l’éducation etc.)

 

Deuxième partie : Nous nous devons à l’État.

L’État ne doit pas être confondu avec une simple administration chargée de délivrer des services à des citoyens qui pourraient complètement se désintéresser de son fonctionnement, de la façon dont il se réforme et des lois qu’il promulgue sans jamais participer, directement ou indirectement à la vie politique. Nous nous devons à l’État au sens où nous avons le devoir de participer à la chose publique (res publica en latin qui donne le mot République) pour discuter de questions réellement politiques et plus seulement administratives. Par exemple, la levée de l’impôt exige que nous débattions de la juste redistribution des richesses et donc, aussi, de la justice en général. C’est au Parlement, lieu du débat mené par nos représentants, qu’a lieu le vote des lois de finances qui fixe l’impôt.

On connaît l’expression populaire, « si tu ne t’occupes pas de politique, un jour la politique s’occupera de toi » : ce qui signifie que l’indifférence à l’égard de l’État en particulier et à la vie politique en général mène à la tyrannie. Sans notre vigilance de citoyen, des abus de pouvoirs risquent de se produire. Tocqueville nous mettait déjà en garde dans De la démocratie en Amérique : l’État moderne s’adosse à une administration de plus en plus puissante en raison, notamment, de la complexité des règlements de la vie sociale et économique et, si nous n’y prenons pas garde, l’institution chargée de faciliter nos menées individuelles deviendra à terme cette « puissance immense et tutélaire » qui orientera nos vies sans même que l’on s’en rende compte.

En résumé, l’obligation est réciproque : l’Etat nous doit notre liberté mais nous devons aussi participer à la vie politique pour la préserver.

 

Troisième partie : Cette obligation à l’égard de l’État est avant tout un devoir envers nous-mêmes.

S’intéresser à la vie politique et étatique n’est et ne sera jamais une obligation au sens légal du terme. Certes dans certains pays, le vote est obligatoire sous peine d’amendes comme en Belgique. Mais cela n’empêchera jamais quelqu’un de voter n’importe comment car il s’en moque !

Nous nous devons à l’État au sens où l’homme accomplit une part de son humanité dans la société politique. Autrement dit, l’homme a besoin d’être un citoyen pour être pleinement homme car cela exige de lui qu’il s’interroge sur ce qu’il veut être avec les autres, sur les finalités de l’existence individuelle et collective. L’État est une institution qui autorise ce questionnement. En limitant le conflit entre les hommes, la présence de l’État ouvre un champ de possibles et enclenche une dynamique de progrès des libertés. Voici ce que nous devons à l’État. Mais, en retour, l’État ne nous devra plus rien si nous ne nous devons pas aussi à lui (sens de l’expression se devoir à : avoir une obligation envers quelqu’un ou quelque chose (une idée, une cause etc.).

 

Conclusion : L’État nous doit la liberté mais nous nous devons à l’État si nous voulons préserver la différence entre État et administration, c’est-à-dire entre le gouvernement des hommes par eux-mêmes et l’administration des choses. On gouverne les hommes, on ne les administre pas !

Vos réactions

Commentaire

Je voudrais revenir sur le sens du "Que devons-nous à l'Etat" (sens en tant que signification mais aussi de la direction du qui doit à qui). Car "Qu'est ce que je dois à l'Etat?" est bien different du "Qu'est ce que l'Etat me doit" dans cette question. Ce serait plutôt qu'est ce que l'Etat nous a donné et qui implique qu'on le lui rende au sens d'une dette et qui induit donc un mouvement de "donner, recevoir et échanger" entre l'Etat et les citoyens dont les termes de l'échange sont le droit et le devoir.

Double sens

Entièrement d'accord avec le commentaire précédent. Je me suis fait exactement la même réflexion en vous lisant. Le double sens n'ouvre pas sur ce que l'Etat nous doit, mais sur ce qu'il nous a déjà donné (ou pris) : nous lui devons la paix civile, notre liberté, notre instruction, etc. Sujet très intéressant, traité de manière concise et précise mis à part ça ;-).

Nous en faisons le sujet de notre Café-Philo à Annemasse lundi 1er juillet : https://sites.google.com/site/cafephiloannemassegeneve/

J'y mentionne votre corrigé.

Bien à vous !

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