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Bac philo 2014

Série ES: Pourquoi chercher à se connaître soi même?

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles.

Introduction / problématisation.

Dans son Apologie de Socrate, Platon rapporte que la Pythie, prêtresse du temple d'Apollon à Delphes, avait affirmé que Socrate était le plus sage des Grecs. Or, au fronton de ce même temple était gravée la formule : « Connais-toi toi-même ». Peut-on en déduire que Socrate avait tiré sa sagesse de la connaissance qu'il avait de lui-même ? Au fond, pourquoi se connaître soi-même ?  

L'intérêt que nous portons à nous-mêmes ne fait guère de doute : Le goût du miroir, des arbres généalogiques, des réseaux sociaux où nous nous affichons, montre assez que nous sommes pour nous-mêmes un intérêt majeur. Mais ce rapport insatiable à soi relève-t-il bien de la connaissance ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une tendance au narcissisme ? Comment donc démêler dans les causes qui nous incitent à nous observer nous-mêmes celles qui sont subies et celles qui sont choisies ? Au fond, il s'agit de savoir si la connaissance de soi peut servir un but louable ou si elle ne fait que nous enfermer dans notre être au point, paradoxalement, de nous y aliéner. Ou, pour le dire autrement : Quelle valeur attribuer à l'introspection ?

On se demandera par conséquent si la quête de la connaissance de soi est naturelle, pourquoi elle peut être aliénante et comment elle peut être valorisée.

 

Première partie. Une démarche introspective est-elle possible?

S'interroger sur la cause et le but de la démarche introspective suppose d'abord qu'une telle démarche est possible. Or, il ne fait pas de doute que la conscience humaine n'est pas seulement immédiate, orientée vers le monde extérieur mais aussi réfléchie, c'est-à-dire capable de se tourner vers le sujet et de l'observer. Mais d'où vient cette capacité de se prendre soi-même pour objet d'étude ? Sans spéculer sur la possibilité qu'auraient certains animaux d'en faire autant, on peut soutenir que cette capacité est non seulement naturelle à l'homme mais qu'elle est pour lui un moyen de se conserver. Les stoïciens considèrent à cet égard que le premier devoir de l'homme est de se familiariser avec soi-même, de prendre soin de soi-même, de « s'approprier ». Ainsi se connaître est une injonction de la nature elle-même. Mais cela peut-il suffire ?

Non bien sûr, car la possibilité d'introspection de l'homme, le souci de soi, ne vise pas simplement la survie. Ce qui fait notre humanité ne se réduit pas à la connaissance de notre caractère, à ce que le philosophe Paul Ricœur appelle notre identité-idem, c'est-à-dire à cette constance observable par les autres qui nous reconnaissent à notre physique, à nos habitudes. Se connaître soi-même, c'est bien davantage se reconnaître dans ses propres choix, dans la manière de les assumer en étant capable, par exemple, de tenir ses promesses. La connaissance de soi met alors à jour notre identité-ipsé, c'est-à-dire notre dignité morale qui nous élève au-delà de ce que la nature fait de nous. Chercher à se connaître sert donc rien de moins que la réalisation de notre humanité. La conscience de soi, disait Ricœur, n'est pas une donnée immédiate mais « une tâche à accomplir ». Cependant ce long travail introspectif n'est-il pas sans danger ?

 

Deuxième partie. Le risque d'une certaine forme de narcissisme.

Il est évident qu'en cherchant à se connaître, le sujet prend le risque de tomber dans une certaine forme de narcissisme. On peut facilement le montrer en soulignant ce que dit Freud à propos du « transfert » dans la pratique psychanalytique, phénomène dont il avait décelé le danger. Lorsque l'analysant se raconte afin de mettre à jour ses déterminations inconscientes, qui pour la plupart lui viennent de l'éducation qu'il a reçue durant son enfance, il s'adresse à une oreille bienveillante, qui ne le juge pas et qu'il finit par aimer. Il transfère ainsi sa libido sur le psychanalyste. Mais il ne s'agit bien souvent que d'un amour indirect qu'il éprouve vis-à-vis de lui-même. Or cette « renarcissisation » n'est pas nécessairement un gage de bonheur : une fausse confiance en soi peut ainsi être générée par un travail introspectif. Comment échapper à ce travers de la recherche de la connaissance de soi ?

Conscient que le travail introspectif risque bien d'être sans fin, Montaigne dans ses Essais opte pour une solution radicale : s'observer soi-même peut être fort plaisant dès lors qu'on ne cherche pas à se masquer ses propres faiblesses. « Je m'épie, je me love en moi-même », écrit Montaigne, non pas par narcissisme mais pour « goûter » l'humaine condition avec tous ses défauts. Se prendre soi-même comme objet d'étude revient paradoxalement non pas à s'aliéner mais au contraire à prendre suffisamment de recul sur soi pour en rire. Il y a une manière de se connaître qui préserve de l'aliénation par autodérision. Pourtant, on ne manquera pas de reprocher à Montaigne une certaine complaisance vis-à-vis de lui-même : Pascal, Malebranche retiendront surtout de leur lecture des Essais une incapacité à s'oublier soi-même. L'autodérision à leurs yeux ne protège pas de l'orgueil. Faut-il alors renoncer à se connaître soi-même ?

 

Troisième partie. Rechercher non pas ce qui nous particularise mais ce qu'il y a d'universel dans le sujet.

Probablement pas mais pour que cette quête ne tourne pas en rond et pousse, comme ce fut le cas pour Montaigne, au scepticisme, il est légitime, dans le travail introspectif, de rechercher non pas ce qui nous particularise mais au contraire ce qu'il y a d'universel dans le sujet. Alors que rien ne paraissait stable aux yeux de Montaigne, Descartes affirme au contraire dans ses Méditations qu'il y a en nous une dimension métaphysique dont la découverte permet de donner un gage de fermeté à toutes les connaissances. Se connaître soi-même comme sujet universel, comme point d'Archimède, devient alors la condition sine qua non de tout progrès possible dans les connaissances les plus rigoureuses. Mais dire cela n'est-ce pas accorder une toute puissance à la raison humaine et retomber, de manière détournée, dans le piège d'un narcissisme orgueilleux ?                                                                                         

Peut-être bien, mais le mérite des philosophies dites du « sujet » est d'avoir su reprendre le travail introspectif pour mieux connaître les possibilités réelles de la connaissance. C'est le cas, par exemple, de Kant dont le projet critique a justement été de délimiter les facultés de connaissance du sujet et d'établir notamment que si nous pouvons légiférer sur les phénomènes, il nous est impossible de connaître les noumènes. Ainsi, les affirmations métaphysiques, comme il le montre dans la Critique de la raison pure, sont indécidables.

 

Conclusion.

Chercher à se connaître soi-même n'est donc pas une invitation au narcissisme mais à l'humilité. Une humilité fertile puisqu'elle permet d'approfondir une enquête anthropologique dont Socrate avait été le premier initiateur. 

Par Nicolas Tenaillon

Agrégé de philosophie et professeur en classes préparatoires aux grandes écoles, il collabore chaque mois à Philosophie magazine. Ses chroniques ont été regroupées dans L’Art d’avoir toujours raison (sans peine). Quarante stratagèmes pour clouer le bec à votre interlocuteur (illustrations Nicolas Mahler, Philo Éditions, 2014). Chargé de cours à l’Université catholique de Lille depuis 2004, il consacre cette année son enseignement à la philosophie de la guerre.

Vos réactions

Pourquoi chercher à se connaître soi-même?

Je ne vois pas la réponse à la question initialement posée "Pourquoi chercher...", mais plutôt , "Pourquoi l'Homme cherche-t-il..." et donc une analyse des causes de l'introspection, pas de son but.

Je ne trouve pas mention de

Je ne trouve pas mention de la psychanalyse. Or Freud eut mérité de figurer dans votre banale copie.

Conclusion étonnante

D'après votre conculsion, je vous cite "Chercher à se connaître soi-même [serait ainsi] une invitation à l'humilité" ? N'y a-t-il pas là un énorme syllogisme ? L'humilité ne serait-elle pas plutôt le fruit de cette recherche que ce qui la motive ?...
La tournure de votre phrase de conclusion prête à confusion. C'est dommage car le reste me semble plutôt digne d'intérêt "historique".
En effet, l'enseignement dispensé actuellement invite (pour ne pas dire "oblige") l'élève à la citation : l'abondance de ces dernières augure d'une bonne -voire excellente- note. La mémoire est ainsi placée au même niveau, voire pire, serait plus appréciée que la réflexion. Cet primauté me semble discutable (quid des ordinateurs aux mémoires extensibles presque à l'infini?).
Dans votre propre texte, l'on peut relever de nombreuses références d'auteurs, de textes, etc. Comme la comparaison n'est pas raison, l'abondance de citations est "douteuse" : quelle est votre propre réflexion sur ce thème ?
A la lecture de ce qui précède, je reste sur ma faim. Cette gêne à vous exprimer, à vous exposer, explose dans votre conclusion, ce qui vous a fait écrire une phrase confuse.
Cordialement,
Pierre.

N'invitez pas…

Effectivement ce corrigé est excellent jusqu'à sa conclusion, qui est un parti-pris regrettable dans l'opposition individualisme vs solidarité avec l'environnement matériel et social. C'est sans doute pardonnable à un prof fatigué quotidiennement par des élèves excessivement prétentieux, mais une telle conclusion est préjudiciable à un élève timide, qui cherche à s'affirmer. Lui a plutôt intérêt à trouver le coeur de son identité et le vanter à tue-tête. Ce sera plus fertile…

Réactions d'un ex-bachelier

Cela fait exactement 20 ans que j'ai passé mon bac de philo, en section littéraire... avant de passer un bac S un an après, à la suite d'une remise à niveau dans les matières scientifiques : je suis aujourd'hui ingénieur en développement informatique.

Malgré ces souvenirs et automatismes lointains, je me permets de formuler ici trois critiques concernant cette dissertation. Peut-être ne sont-elles pas toutes légitimes : j'attends vos retours ! les voici :

1- J'ai tendance à penser que le phénomène du narcissisme, présenté ici comme risque lié à la connaissance de soi, est hors sujet.
En effet, le narcissisme, qui est superficiel, ne se vit pas sur le mode du questionnement. Il ne faut pas pas confondre l'auto-connaissance avec le fait de s'exposer sur les réseaux sociaux et savoir quelle chemise nous va le mieux, ou encore se rappeler de ce qu'on a fait de beau le week-end dernier.

La seule connaissance de soi en "vrais termes philosophiques" me semble donc être celle à laquelle aboutit notamment l'introspection : c'est ce qui permet de s'attaquer à soi-même en profondeur.
À l'opposé, le narcissisme correspond à l'entretien et l'admiration de sa propre image, et ne me semble pas s'accompagner de notre propre remise en question.

Contrairement au narcissisme, le véritable inconvénient de la connaissance de soi est à mon sens la déprime/tendance suicidaire, possiblement causée par le choc de la prise de conscience du monstre qui nous habite (danger découvert par Freud suite à ses premières expériences de psychanalyse).
Même s'il s'agit là de troubles plus qu'ordinaires, je pense que le moyen d'échapper à ce danger est que cette connaissance de soi soit réalisée de manière non brutale, si possible accompagnée d'une personne compétente, qu'il s'agisse d'un thérapeute, d'un professeur en développement personnel, voire même d'un prêtre ou d'un accompagnateur spirituel si cette démarche d'auto-connaissance se réalise dans le contexte d'une pratique religieuse - ce qui est très courant.


2- Ce que je reproche également à cette dissertation est de ne pas suffisamment analyser les principales raisons pour lesquelles il est nécessaire de procéder à la connaissance de soi. Cela correspond finalement à décrire les conséquences de l'aveuglement dont nous sommes tous frappés quand nous n'utilisons pas notre conscience réfléchie (car oui, le mot "aveuglement" n'est hélas pas présent une seule fois dans un tel sujet... dommage !). Ces conséquences sont :

- L'impossibilité de s'améliorer
(en effet, comment travailler sur soi-même si on ne sait pas identifier ses propres failles ?)

- L'orgueil / jugement / hypocrisie
(cf. St Matthieu, chapitre 7 : "Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?")

- Les préjugés (mise en garde majeure et récurrente de Socrate)

- L'excès de certitudes (que l'on peut pallier par le "Cogito" de Descartes)

- Les excès (Boudha les combat particulièrement), et par extension, la non maîtrise de ses émotions

- .... cette liste ne s'arrête certainement pas là.
Notamment, la non-connaissance de soi conduit aussi à la non-compréhension de la nature humaine, qui est une compréhension plus généralisée de l'auto-connaissance. En effet, comprendre la nature humaine conduit à comprendre autrui, et comprendre autrui permet l’empathie et la tolérance.

(Frédéric Lenoir, philosophe : "Le travail sur soi est un laboratoire d’humanité")

La connaissance de soi apporte ainsi une libération, tout comme elle est un facteur de sérénité.
En cela, elle aide indirectement à travailler à la paix en nous-même, et par extension, à la paix dans le monde, oserais-je dire !

3- Enfin, comment ne pas parler tout simplement (peut-être dans la première partie) des moyens mis à disposition pour parvenir à cette démarche ?
On peut citer comme moyens : l'introspection, le développement personnel, la psychanalyse, la Gestalt-thérapie, etc. Mais il ne faut surtout pas oublier un moyen qui nous est pourtant si évident et familier : la littérature moderne (au même titre que le cinéma). Elle nous permet de mieux comprendre l'humain : et donc mieux nous comprendre, puisque nous sommes humain.

Réactions d'un ex-bachelier (la suite)

Je reviens à la charge... Car il m'est venu depuis une idée supplémentaire toute simple : "se connaître soi-même" n'implique-t-il pas autant la connaissance du corps que celle de l'esprit ?

Nous pourrions alors nous amuser à réfléchir à ce versant de la question sur la connaissance de soi, en réfléchissant sur ses impacts. On peut commencer en citant :

- la connaissance de la sexualité en général, ainsi que de la sienne en particulier ; afin de mieux la maîtriser et mieux l'épanouir, mais aussi, maîtriser sa fertilité en connaissant bien les mécanismes régissant les conditions de la conception, la grossesse puis la naissance d'un enfant... sans parler de la lutte contre les MST, ou, enfin, tout simplement avoir conscience de la dépendance potentielle de notre esprit aux phéromones et autres mécanismes corporels gérant notre relation au corps de l'autre, toujours dans un état d'esprit servant la philosophie, c'est-à-dire en mettant le corps au service de l'esprit, et pas l'inverse

- la connaissance de ses capacités sportives : savoir combien de temps on peut nager pour éviter de se mettre en danger inutilement, etc.

- la connaissance de ses maladies, allergies, intolérances : savoir ce dont on souffre pour mieux se soigner et éviter des situations mettant notre corps en position défavorable

De manière générale, découvrir puis prendre conscience des aptitudes incroyables de son corps, unique et complexe, renforce l’estime de soi en plus de nous faire éviter des situations non désirées... rien que pour cela, je pense qu'il est légitime d'orienter sa réflexion philosophique sur les bienfaits de la connaissance de soi en tant que corps, tout autant qu'esprit.

Pour quelle raison...

@ Jean Fréor que je cite "un état d'esprit servant la philosophie, c'est-à-dire en mettant le corps au service de l'esprit, et pas l'inverse".

Pour quelle raison faut-il mettre le corps au service de l'esprit ? Pourquoi faut-il nécessairement considérer que le corps est inférieur, impropre, vil et que l'esprit y est par voie de conséquence supérieur ?...

N'est-ce pas là une résurgence de la vieille idée judéo-chrétienne dont Descartes est l'un des soutiens les plus fameux (cogito ergo sum), à confronter à un Spinoza pour qui le corps et l'esprit sont une même substance ?

Bref, à l'image d'Epicure qui célébrait la vie dans la modération -et non pas dans l'excès comme il est généralement imaginé-, ne convient-il pas de rechercher l'harmonie du corps et de l'esprit ? La condition sine qua non de la connaissance de soi-même ne passe-t-elle pas par cette exigence "Mens sana in corpore sano" ou mieux encore, par cette ré-interprétation de Coubertin "mens fervida in corpore lacertoso" ?...

Bref, "cherchez et vous trouverez" est-il écrit quelque part...

Pierre

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