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Bac philo 2014

Série ES: Suffit-il d'avoir le choix pour être libre?

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles.

Introduction / Problématisation.

En - 399, Socrate est condamné à mort au motif qu'il a corrompu la jeunesse et qu'il n'a pas respecté les dieux de la cité. Mais ses amis le pressent de quitter Athènes pour échapper à cette sentence injuste. Socrate pourtant refuse : il décide de se donner la mort en buvant la ciguë. Cet épisode célèbre de l'histoire de la philosophie donne à réfléchir : Socrate, en se suicidant a-t-il agi librement ? Son choix est-il bien celui d'un homme libre ?

Choisir, c'est opter, donner sa préférence à une chose plutôt qu'à une autre. Se demander si avoir le choix suffit à être libre revient à faire du choix l'essence de la liberté. Mais ainsi formulé le sujet jette le doute sur cette identification. De fait, si, lors d'une exécution capitale, on laisse au condamné le choix du mode d'exécution de la sentence, le choix n'est-il pas un faux choix ? Saint Paul en décidant d'être décapité plutôt que crucifié, parce qu'en tant que citoyen romain, ce choix lui est offert, aurait sans doute préféré rester en vie pour continuer sa mission évangélisatrice. Il semble donc qu'avoir le choix ne suffit pas à être libre. Peut-on soutenir pour autant que renoncer à choisir est un gage de liberté ? On se doute que non car si ce renoncement est volontaire, il est encore le produit d'un choix et s'il ne l'est pas, il y a contrainte donc absence de liberté. Tout le problème consiste donc à savoir si on peut déterminer a priori le choix pour que celui-ci garantisse notre liberté : Comment savoir si un choix est rationnel ou pas ? N'est-ce pas toujours a posteriori qu'on peut juger que tel ou tel choix était bien celui d'un homme libre ? Bref, si le choix n'est pas suffisant pour être libre, n'est-ce pas toujours à lui qu'il faut revenir pour signifier notre liberté ? Plus classiquement, on demandera si la liberté est réductible au seul libre-arbitre.

On verra ainsi que si l'absence de choix contredit la liberté (I), la possibilité de décider n'est pas suffisante (II) parce que la liberté, si elle n'est pas une illusion,  requiert que tout choix soit éclairé (III).

 

Première partie. L'absence de choix contredit la liberté.

Que la liberté suppose le choix cela ne fait aucun doute. Aristote a montré dans son Éthique à Nicomaque que tout acte libre peut se décrire comme la mise en pratique d'une séquence comportant trois étapes : la délibération, le choix, l'action. On voit que si le choix occupe une place centrale dans cette séquence, c'est, d'une part, parce que la délibération seule n'aurait pas de fin si on ne décidait de trancher pour faire prévaloir telle option plutôt que telle autre, et, d'autre part, parce que si l'action n'était pas initiée par un choix, elle se confondrait avec une activité réflexe, donc irréfléchie, instinctuelle qui nous rabattrait au même niveau que l'animal. Mais si avoir le choix est nécessaire cela est-il suffisant ?                                      

On peut en douter car le lien entre le choix et l'action suppose une force qui n'est pas inhérente au choix : Avoir le choix n'implique pas nécessairement que nous ayons les moyens de le mettre en oeuvre. Il faut pour cela ajouter au choix une force qui vise à réaliser l'option retenue. Cette force, la tradition l'appelle « libre-arbitre » ou « liberté d'indifférence ». Pour prouver qu'une telle force existe, le philosophe médiéval Buridan invente la fiction suivante : Imaginons un âne à équidistance d'un seau d'eau et d'un picotin d'avoine. Cet âne se laissera mourir de soif et de faim car en l'absence de motif prévalent, il ne pourra agir. L'homme, lui, parce qu'il possède le libre-arbitre se décidera sans difficulté. Etre libre, ce serait donc non seulement avoir le choix mais aussi posséder la force de se déterminer soi-même. Mais cette force n'est-elle pas une illusion?

 

Deuxième partie. La possibilité de décider n'est pas suffisante.

Faire reposer la liberté sur la simple existence d'une alternative et la possibilité de la réaliser est sans doute réducteur. Une première objection consiste ici à dire que cette force d'autodétermination qu'est le libre-arbitre n'est qu'une illusion car elle est elle-même déterminée. Dans son Essai sur le libre-arbitre , le philosophe allemand Schopenhauer imagine l'attitude d'un homme qui vient de finir sa journée de travail. les possibilités qui s'offrent à lui sont multiples : il peut décider d'aller jouer aux cartes, de rendre visite à un ami, de monter sur la plus haute tour de la ville pour jouir d'un beau spectacle ou même de quitter cette ville. Pourtant, il ne fera rien de tout cela mais rentrera tranquillement chez lui retrouver son épouse. Ce qui le détermine alors à agir, ce n'est pas la force du libre-arbitre mais celle de l'habitude. Autrement dit, la multitude des choix pas plus que la force de les réaliser ne permettent de parler d'autodétermination car nos choix sont prédéterminés par les habitudes que nous avons contractées, le plus souvent d'ailleurs au début de notre existence, c'est-à-dire quand nous n'avions pas les moyens intellectuels de les réfléchir. Toutefois affirmer cela n'est-ce pas nier la liberté elle-même ? Si actualiser un choix revient à s'illusionner, que reste-t-il de la liberté ?

Pour maintenir l'idée d'une liberté humaine sans nier ce qui nous détermine, on peut subtilement distinguer ce qui est certain et ce qui est nécessaire. Dans son Discours de Métaphysique, le philosophe allemand Leibniz demande si, au moment où César décide de franchir le Rubicon et donc de renverser la République romaine pour établir un Empire, il agit librement. Leibniz répond que oui : l'acte de César est libre parce qu'il aurait pu faire un autre choix. Cela n'implique pas contradiction. Pourtant, du point de vue de Dieu, qui connaît le scénario entier de l'histoire de l'univers, il était certain que César agirait ainsi car un monde dans lequel il aurait agi autrement n'aurait pas été créé par Dieu. En effet celui-ci, parfaitement bienveillant, ne peut faire exister que le meilleur des mondes possibles. On voit donc avec Leibniz qu'avoir le choix et être déterminé ne sont pas deux choses inconciliables. Cependant cet argument métaphysique respecte-t-il bien l'idée de choix dans son absoluité ? Car avoir vraiment le choix, n'est-ce pas pouvoir faire quelque chose d'absurde qui n'entre dans aucun calcul ? Il faut donc réorienter la réflexion sur le rapport que peuvent entretenir la liberté et la raison.

 

Troisième partie. La liberté, si elle n'est pas une illusion, requiert que tout choix soit éclairé.

A trop vouloir rationaliser le choix pour en faire un juste critère de la liberté, il est fort probable qu'on la réduise à n'être qu'une illusion. Ainsi Kant, dans sa Critique de la raison pratique devait reprocher à Leibniz de ne proposer à l'homme qu'une liberté de "tourne broche" parce que dans son système le sujet ne fait que dérouler au cours de son existence les attributs que Dieu a mis en lui. Mais Kant, en définissant la liberté par l'autonomie ne semble pas davantage respecter l'idée de choix comme critère de l'action libre. En effet, pour lui, la raison pratique nous enjoint de suivre les impératifs catégoriques qu'elle dicte à notre volonté pour prétendre agir de manière autonome. Pour Kant, être libre, c'est certes agir par soi-même mais sous le commandement de la raison, c'est-à-dire en faisant notre devoir. Mais ce moralisme est-il bien compatible avec l'idée de liberté ?

On peut en douter. Déjà Descartes, pourtant père du rationalisme, avait perçu que si la raison est légitimée à éclairer nos choix, il est bon de penser qu'elle « incline sans nécessiter ». Autrement dit, il faut accorder une place au libre-arbitre, indépendamment de la raison, pour maintenir l'idée de liberté. Et c'est sans doute le mérite des pensées existentialistes d'avoir perçue, au risque de la majorer, l'importance de cette dimension du choix, indéterminable par la raison, pour définir la liberté. Penseur de la liberté par excellence, Sartre a ainsi montré en reprenant une intuition de Kierkegaard que la liberté est angoissante justement parce qu'elle repose en son essence sur le choix, c'est-à-dire la prise de risque. Tout homme est amené pour être libre à faire des choix qui l'engagent totalement sans que la raison puisse par avance certifier que ce choix est le meilleur possible, comme l'explique Sartre dans L'existentialisme est un humanisme.

 

Conclusion

On peut donc se risquer à dire que paradoxalement, avoir le choix, est bien in fine le critère de la liberté. Mais pour que ce critère soit suffisant, il faut avoir épuisé les possibilités de la raison. Ce n'est donc pas naïvement mais par humilité relativement à ce que nous pouvons effectivement connaître qu'on accordera que le choix prime sur toute autre considération dans la définition de la liberté.      

 

   

Par Nicolas Tenaillon

Agrégé de philosophie et professeur en classes préparatoires aux grandes écoles, il collabore chaque mois à Philosophie magazine. Ses chroniques ont été regroupées dans L’Art d’avoir toujours raison (sans peine). Quarante stratagèmes pour clouer le bec à votre interlocuteur (illustrations Nicolas Mahler, Philo Éditions, 2014). Chargé de cours à l’Université catholique de Lille depuis 2004, il consacre cette année son enseignement à la philosophie de la guerre.

Vos réactions

suffit il d'avoir le choix pour être libre?

Beaucoup de bonnes idées mais aussi beaucoup d' erreurs
Ce sujet particulièrement à l'ordre du jour politiquement mériterait un meilleur traitement portant sur la diffusion de la connaissance;sans éducation et morale la liberté est une illusion; la morale peut être une contrainte mais elle garantit la liberté pour tous car l'homme est un être vivant en société et les allusions à l'animal sont stériles parce qu'anthropocentristes

Choix et liberté

l'ambiguïté de la question vient du mot "libre". Un prisonnier dans une cellule n'est pas libre car il ne peut pas aller hors de sa cellule, mais l'homme qui vit sur terre est il libre lui qui ne peut pas aller sur les autres planétes? Un clochard est il libre lui qui ne peut pas aller dans de bons restaurants? Ainsi on peut répondre au choix oui et non à la question posée. Tout dépend de ce que les mathématiciens appellent " un référentiel". La liberté consiste alors à pouvoir choisir l'element qu'on veut mais a l'interieur d'un référentiel donné. Dans le référentiel Terre les hommes sont libres. Dans le référentiel Univers l'homme n'est pas libre. Et alors, si on accepte cette précision, il suffit effectivement d'avoir un choix, quel qu'il soit pour pouvoir dire qu'on est libre, ce qui signifie tout simplement qu'on est dans un référentiel qui a plus d'un élément. CQFD

Suffit-il d'avoir le choix pour être libre?

La philosophie nous a donné des modèles de liberté et de choix souvent en contradiction avec les éléments d'une vie qui ne nous appartient plus ou qu'à moitié par l'histoire qui sans cesse évolue. La liberté et le choix dont nous sommes tous dotés, obligent une moitié de nous-mêmes à faire le bon choix qui nous confère par sa réussite un sentiment ressemblant à une forme de liberté malgré la contrainte d'accessibilité...donc avons-nous vraiment le choix...oui et non, la société présentant de multiples situations quand elles ne fluctuent, fait de notre contribution notre liberté qui en cas de réussite...est-ce la réussite qui dans ce cas procure un sentiment de liberté ?... Aveuglément oui ! En conclusion, il est confortable de savoir que nous pouvons nous sentir libre si nous avons le choix ! Mais il est tout de même plus profitable de posséder la liberté de choix..

Le seul choix possible qui

Le seul choix possible qui nous rendrait libre est une illusion, car irréel !
Je décide : d'avoir le choix de ne pas choisir ! Mais sans subir aucune contrainte, d'aucune sorte; ni psychologique, ni physiologique inhérente à ma décision ! Je m'exclue donc de toutes règles, lois qui m'oblige à préférer ou à adopter une chose plutôt qu'une autre...
Quand j'étais petit et que j'ai commencé à apprendre à nager, j'étais fasciné par l'élement "eau" ! Puis on m'a dit que les poissons respirait dans l'eau ! Donc j'ai choisi de faire comme eux ! non pas par contrainte ou obligation , mais parce que je le valait bien (sic !). j'ai passé tout l'été à "décider" de respirer dans l'eau... Ca n'a pas marché !
Grande expérience métaphysique: je ne suis pas libre de refuser le déterminisme physiologique incapacitant qui m'interdit de respirer sous l'eau! Pourtant le poisson à 0.1 % de QI le peu lui ?
Depuis, la liste des déterminismes s'est allongé....

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