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Bac philo 2015 - Filière technologique

Peut-on être heureux sans être libre?

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles. 

Introduction / Problématisation

Comme choisir entre liberté et bonheur ? Les deux semblent aussi essentiels, aussi importants. Ils ne sont pourtant pas nécessairement compatibles. La liberté implique en effet que je fasse des choix, que j'en assume la responsabilité, avec ce que cela implique de possibilité d'échec, de regrets et donc de souffrance... En ce sens, ne dit-on pas d'ailleurs que les "simples d'esprit" ou les enfants sont heureux dans l'insouciance qui est la leur ? Mais cette insouciance est pourtant bien ce qui les empêche d'être libres. L'enfant est insouciant car sous la tutelle de ses parents. Mais si la liberté est incompatible avec le bonheur, avons-nous le droit de nous autoriser à renoncer à la liberté pour contenter de notre seul bonheur? N'est-il pas possible de réconcilier les deux?

Partie I.

Bonheur et liberté sont incompatibles

On peut voir ici dans un premier temps en quoi le bonheur et la liberté sont incompatibles. On ne peut pas être heureux et libre à la fois puisque la liberté fait obstacle à notre bonheur. On peut donc bien être heureux sans être libre, il semble même qu'on ne puisse faire les deux à la fois. La liberté suppose en effet que nous fassions des choix dont nous devons assumer la pleine responsabilité. Cela fait donc doublement obstacle au bonheur. 

Si je fais des choix en toute autonomie, et dans le monde incertain qui est le nôtre, alors est-ce que je cours pas le risque de faire de mauvais choix, de ne pas obtenir les effets espérés, et donc d'être déçu? Ensuite, et c'est dans la continuité de ce qui précède, je devrai porter la responsabilité de mauvais choix. La liberté est donc doublement source de souffrance : elle nous conduit à des situations dont nous ne voulions pas et elle nous oblige à en assumer la responsabilité, au nom précisément de notre liberté. Ainsi, Sartre, qui prône dans L’Existentialisme est un humanisme notre liberté totale et notre responsabilité totale, définit-il la liberté comme un fardeau, source d'angoisse, en raison de l'énorme responsabilité qu'elle implique.

La liberté semble donc faire obstacle à notre bonheur si l'on définit celui-ci comme un état de satisfaction total et durable, dans lequel nous aurions éradiqué toute souffrance. Seul, comme le montre Calliclès dans le Gorgias de Platon, celui qui est puissant peut être libre et heureux car il est le seul en mesure de laisser libre cours à ses désirs et de les satisfaire tous puisqu'il commande aux autres hommes. Mais hormis cette minorité de puissants, les hommes semblent condamnés à choisir entre bonheur et liberté.
 

Donc on peut être heureux sans être libre puisque la liberté semble faire obstacle au bonheur. Il semble même qu'il ne puisse en être autrement. Mais alors cela signifie-t-il que nous pouvons nous autoriser à choisir le bonheur plutôt que la liberté ? Avons-nous le droit d'être heureux au prix de notre liberté ?

Partie II.

La liberté prime sur le bonheur

On pouvait ici traiter le sujet différemment en prenant "peut-on" dans un autre sens, celui de la légitimité. Pouvons-nous nous accorder le droit de renoncer à la liberté au nom de notre bonheur, si les deux sont incompatibles? La liberté n'a-t-elle pas plus de valeur que le bonheur ?

Le bonheur semble en effet n'être qu'une fin égoïste, sensible, en mot qui ne soit pas digne de notre humanité. Accepter d'être heureux sans être libre, c'est se satisfaire d'une situation de satisfaction immédiate, sensible, individuelle, qui nous fait davantage tendre vers l'animal que vers l'homme. Dans L'utilitarisme, le philosophe John Stuart Mill a ainsi cette formule frappante : "Mieux vaut être Socrate insatisfait, qu'un porc satisfait." Il s'agit ici de montrer qu'il y a une forme de bonheur propre à l'homme, qui est sans doute difficile d'accès mais la seule digne de lui. Se contenter d'une satisfaction immédiate, d'un simple contentement sensible, cela reviendrait à renoncer à ce qui dans notre nature importe le plus, notre part raisonnable, et donc à être indigne de notre humanité. C'est d'ailleurs plus ou moins pour la même raison que Kant dira dans les Fondements de la métaphysique des mœurs que le bonheur n'est pas un but moral. Il est trop fluctuant, incertain, empirique, pour faire l'objet de une régulation rationnelle et ne pourra donc jamais être cette fin en soi qu'est le devoir moral.

Il en va de même en politique. Pourrions nous nous contenter d'être heureux en renonçant à nos droits, à nos libertés politiques et civiles? La liberté - là encore - semble être ce qui fait de nous des hommes à proprement parler et notre devoir est de ne pas y renoncer, ni pour nous, ni pour les autres. Le pouvoir politique peut parfois nous procurer une satisfaction sensible, matérielle, mais celle-ci ne peut être acceptée si elle nous coûte notre liberté. Dans sa Lettre à Helvétius, Diderot montre ainsi comment le despotisme éclairé est le pire des despotismes car il conduit les hommes vers un esclavage dans lequel ils renoncent à leurs libertés les plus fondamentales grâce à la séduction qu'il opère en satisfaisant leurs besoins.
 

On ne peut donc pas être heureux sans être libre : nous n'en avons pas le droit car si nous le faisons, c'est que nous acceptons de renoncer à l'une de nos valeurs les plus importantes au nom d'une simple satisfaction sensible. Mais, pour autant, cela signifie-t-il que nous devons renoncer au bonheur ? Si la liberté et le bonheur ne sont pas compatibles et que nous ne pouvons pas être heureux sans être libres, alors sommes-nous condamnés à essayer d'être libres tout en renonçant à être heureux ?

Partie III.

Le bonheur est fondé sur la liberté.

Essayons donc de voir maintenant si l'on ne peut pas réconcilier bonheur et liberté. Si nous en restons à ce que nous avons dit jusqu'à présent, nous devons renoncer à notre bonheur au nom de la liberté qui a plus de valeur, plus de dignité. Or c'est là un projet impossible. Le bonheur est une fin universelle, légitime de l'existence et l'on ne peut raisonnablement refuser à l'homme le droit de poursuivre cet objectif. C'est en ce sens qu'Aristote en fait un bien suprême dans L’Ethique à Nicomaque. Autant nous poursuivons les autres biens comme des moyens en vue d'une fin (on cherche l'argent, les honneurs, le pouvoir pour atteindre le bonheur justement) autant le bonheur n'est jamais poursuivi que pour lui-même (on veut être heureux pour être heureux, tout simplement) et en cela c'est la fin qui est légitimement poursuivie par les hommes. Dès lors, si l'on ne peut par ailleurs pas être heureux sans être libre, il nous faut comprendre comment nous pouvons réconcilier bonheur et liberté.

Il faut d'abord préciser ce qu'est le bonheur. Ce n'est en effet pas la simple satisfaction sensible. Le bonheur est un état stable, durable, qui ne peut justement se restreindre à l’aspect fugitif du plaisir, ni même à l'éphémère de la joie. C'est l'état dans lequel nous sommes pleinement et durablement satisfaits non pas parce que nous avons tout (ce serait là un idéal impossible) mais parce que nous avons appris à nous satisfaire de ce que nous avons, à ne pas regretter ce que nous n'avons plus, à ne pas désirer ce que nous n'avons pas. Le bonheur ne tient donc pas tant à ce que nous possédons, à la réalité matérielle, qui est trop fluctuante et sujette au hasard, mais plutôt à la manière dont nous pensons, acceptons ce que nous vivons.
 

Dès lors, comme nous l'apprennent les sagesses antiques, le bonheur est fondé sur la liberté. Bonheur, sagesse, vertu et liberté ne font qu'un : n'est heureux, ne peut être heureux, pour Epicure (Lettre à Ménécée) que celui qui s'est libéré de ses désirs en apprenant à les contrôler et à les trier par une connaissance rationnelle du monde et de la nature des choses. Le bonheur est l'état dans lequel nous sommes pleinement nous-mêmes sans être troublés par des paramètres extérieurs. Il repose donc sur une pleine liberté, au moins d'esprit.

 

Conclusion.

On ne peut donc pas être heureux sans être libre. Ce n'est pas tant que le bonheur et la liberté sont incompatibles. Ce serait là mal comprendre ce qu'est le bonheur, qui n'est pas la simple recherche d'une satisfaction purement sensible - pour laquelle nous ne pouvons en effet pas renoncer à la liberté. Le bonheur définit un état stable et durable de satisfaction et de plein développement de soi. En ce sens, la liberté, qui nous est essentielle, ne peut pas être exclue de notre recherche du bonheur. 

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