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Bac philo 2016 - Série S

Explication de texte. Machiavel, “Le Prince” (1532)

Expliquez le texte suivant :

Je n'ignore pas que beaucoup ont pensé et pensent que les choses du monde sont gouvernées par la fortune et par Dieu et la fortune[1], et que les hommes, malgré leur sagesse, ne peuvent les modifier, et n’y apporter même aucun remède. En conséquence de quoi, on pourrait penser qu’il ne vaut pas la peine de se fatiguer et qu’il faut laisser gouverner le destin. Cette opinion a eu, à notre époque, un certain crédit du fait des bouleversements que l’on a pu voir, et que l’on voit encore quotidiennement, et que personne n’aurait pu prédire. J’ai moi-même été tenté en certaines circonstances de penser de cette manière.

Néanmoins, afin que notre libre arbitre[2] ne soit pas complètement anéanti, j’estime que la fortune peut déterminer la moitié de nos actions mais que pour l’autre moitié les événements dépendent de nous. Je compare la fortune à l’un de ces fleuves dévastateurs qui, quand ils se mettent en colère, inondent les plaines, détruisent les arbres et les édifices, enlèvent la terre d’un endroit et la poussent vers un autre. Chacun fuit devant eux et tout le monde cède à la fureur des eaux sans pouvoir leur opposer la moindre résistance. Bien que les choses se déroulent ainsi, il n’en reste pas moins que les hommes ont la possibilité, pendant les périodes de clame, de se prémunir en préparant des abris et en bâtissant des digues de façon à ce que, si le niveau des eaux devient menaçant, celles-ci convergent vers des canaux et ne deviennent pas déchaînées et nuisibles.

Il en va de même pour la fortune : elle montre toute sa puissance là où aucune vertu n’a été mobilisée pour lui résister et tourne ses assauts là où il n’y a ni abris ni digues pour la contenir.

MACHIAVELLe Prince (1532).


[1] « fortune » : le cours des choses.
[2] « arbitre » : capacité de juger et de choisir.

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles. 

Introduction / Problématisation

Considéré comme le fondateur de la pensée politique moderne, Machiavel donne dans Le Prince un certain nombre de conseils qui permettront, à qui veut bien les méditer, de prendre et de conserver le pouvoir. Parmi les conseils donnés, il y a celui dit du kairos (l’occasion en grec), c’est-à-dire du « moment opportun » pour agir. C’est de cette question difficile que traite notre texte. Les circonstances favorables à l’action politique sont-elles indépendantes de nous ? Y a-t-il une fatalité contre laquelle même le plus avisé des dirigeants ne peut rien ? Notre extrait invite à réfléchir à ce qui fait l’histoire politique d’un pays, en l’occurrence ici, l’Italie, l’État de Toscane, la ville de Florence. Est-ce le destin ou la liberté ? Le texte, après avoir concédé au destin une force irrépressible (I), file longuement la métaphore du « fleuve dévastateur » pour montrer que l’homme politique peut, jusqu’à un certain point, résister à la fatalité et imprimer sa marque au cours des événements (II)

Partie I.

Le cours irrépressible des événements

A l’époque de Machiavel, l’Italie est à feu et à sang. Les révolutions de palais se multiplient, les invasions étrangères (françaises, espagnoles) aussi. Les armées, essentiellement faites de mercenaires menées par des condottieres, se donnent aux plus offrants. L’ensemble de ces facteurs laissent penser que seul Dieu (dont les desseins sont impénétrables) ou la Fortune (qui s’apparente ici au hasard) écrivent l’histoire  aucun homme ne semble en mesure d’analyser et de maîtriser la cause des événements. Machiavel, pourtant conseiller à la cour de Florence et expert en politique, concède que lui-même a été « tenté » d’adhérer à la thèse qui veut que le destin des peuples s’écrive sans eux. Mais cette conception est au fond celle des antiques. Platon ne croyait-il pas dans La République qu’il existe un « cycle des gouvernements » voulu par la nature et auquel il faut se soumettre ? Mais alors, à quoi bon réfléchir au politique, « se fatiguer » à penser les événements si on ne peut jamais faire plus que d’assister en spectateur impuissant aux aléas de l’histoire. Si Machiavel est bien le fondateur de la politique moderne, c’est parce qu’il ne s’en tient pas à ce constat qui pousserait logiquement à l’inaction.

Partie II.

La liberté réfléchie du grand homme politique

 La thèse essentielle du texte est que le destin ne domine que « la moitié » du cours des affaires humaines, mais que l’autre moitié est donnée à notre « libre arbitre ». Autrement dit, il y a en l’homme un pouvoir de causalité qui peut s’insérer dans la succession des événements et en modifier l’orientation. Tout le talent du politique consiste donc à agir quand il a compris à quel moment il avait affaire. Si Machiavel file longuement la métaphore du fleuve qui détruit tout sur son passage, c’est pour souligner la difficulté de la tâche. Lorsqu’il s’agit de prendre le pouvoir, le temps opportun est bref et requiert un sens rare des événements. Lorsqu’il s’agit de le conserver, ce temps est plus long, mais il demande aussi une vigilance extrême. Grand lecteur des auteurs latins et admirateur de la Rome antique, Machiavel reprend volontiers à son compte l’adage : « qui veut la paix, prépare la guerre ». Ceci signifie qu’il n’y a pas de repos pour l’homme politique. Il faut toujours anticiper les revers de fortune. La fin du texte oppose à la fortune la « vertu » du Prince. On sait que ce terme désigne surtout la force (vis qui donne virtu) qui, accompagnée de la ruse, est l’arme véritable du Prince pour déjouer les complots par lesquels le Destin voudrait le renverser.                      

Conclusion.

Ce texte fait donc l’éloge de la liberté d’action en politique, mais un éloge réfléchi qui n’oublie pas que la science politique consiste à savoir quand il faut agir et quand on ne le peut pas. 

Vos réactions

"Il n'est pas nécessaire de

"Il n'est pas nécessaire de connaître la doctrine de l'auteur". Votre correction est très axée sur la politique et le contexte de l'époque. Or, même en connaissant l'apest politique du "Prince" de Machiavel, je trouve qu'il était assez dur de relier ses propos, dans l'extrait, à la politique...

3S

D autant plus que les candidats auront développé dans ce sujet no 3 pour la grande majorité, la problématique de la maitrise de notre destinée. ...

Effectivement, je pense aussi

Effectivement, je pense aussi qu'il était difficile de faire le lien entre ce texte et le domaine politique. Le texte semble assez abstrait quand à son champ d'application et avec ce seul extrait on pourrait penser qu'il s'appliqué aussi bien au champ individuel que collectif

Tout à fait d'accord avec le

Tout à fait d'accord avec le premier commentaire ! Vous semblez oublier que l'explication de texte est souvent prise par les élèves qui ont du mal à disserter, par manque de culture ou autres; ou bien par des élèves n'ayant tout simplement pas réviser. C'est pourtant une réalité prise en compte par les correcteurs et que vous devriez prendre en compte. Votre correction devrait être un peu moins "historique" et se baser uniquement sur le texte en lui-même, et ce dont on peut comprendre de ce texte prit or contexte.

Il y a beaucoup de rappels de

Il y a beaucoup de rappels de la politique or il n'est pas obligatoire d'en parler. Cependant, en dehors de la politique, vos arguments sont corrects.

Explication de texte

Tout à fait d'accord avec le premier commentaire ! Sans connaître le contexte de l'extrait, et l'auteur, je ne voit pas comment rattacher l'extrait à la politique..

Sujet

Je pense que le correcteur n'attend pas une analyse basée sur le contexte politique de Florence (sauf erreur de ma part) Mais il est bien précisé que le contexte n'est pas à connaitre. De plus je ne vois pas le côté "critique" de l'analyse

Heho

Comment aurions nous pu relier la politique à ce texte alors que l'auteur n'en dit mot si ce n'est seulement le titre... Bande de fou.

C'est vrai qu'ici, c'est une

C'est vrai qu'ici, c'est une explication qu'on peut attendre de quelqu'un qui connait l'auteur.
Difficile de voir le lien avec la politique en Italie sans connaitre Machiavel...

Corrigé

En effet, la connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise pour expliquer ce texte et, en effet, dans ce texte, il est question de l'action humaine sans autre précision. Donc, il n'y avait pas matière à restreindre la compréhension du texte au domaine de l'action politique. Par ailleurs, la vertu a d'autres sens que la virtu de Machiavel. Pour ce que j'en sais, les correcteurs seront ouverts et n'attendent pas ce qu'il est impossible d'attendre d'un élève qui n'aurait pas étudié Le Prince. Que les candidats se rassurent.

Cette analyse, uniquement

Cette analyse, uniquement centrée sur la politique, me paraît réductrice!!!

Ouais donc en fait faire ça

Ouais donc en fait faire ça quand on connaît pas la doctrine de l'auteur....

Nan parce-que la correction est quand même vachement plus axée sur l'époque.

Limite on pourrait parler d'une pseudo composition d'histoire '^'

texte de Machiavel

D'accord avec le commentaire précédent. il n'était pas nécessaire de connaitre la doctrine politique de Machiavel. Pour moi il s'agissait d'abord d'un sujet sur le libre arbitre de l'homme et il pouvait être traité uniquement sous cet angle

Je ne suis pas tellement d

Je ne suis pas tellement d'accord, je pense que ce qui est attendu ici est l'idée de libre arbitre selon Machiavel. Il faut évidamment parler de ses réferences au Stoïcisme au début du texte, et apporter une critique objective sur la seconde partie en interrogeant des philosophes comme Spinoza et son déterminnisme, et surtout en s'interrogeant sur le "problème dont il est question" c'est à dire le fait que Machiavel sous entend qu'avec le libre arbitre, l'Homme est capable d'influer sur la fortune dont il parle, et qui représente pourtant la fatalité. Si l'Homme peut indirectement modifier la fatalité, c'est contradictoire...
Par ailleurs, selon moi, il était judicieux de faire une ouverture sur le fait que les actions déterminées par la fortune ressemblent beaucoup au déterminisme de Spinoza, si on retire la fatalité comme Machiavel le fait dans ce texte.

Corrigé

Votre corrigé part du principe que le candidat connaît l'auteur, or, il est bien précisé qu'il faut faire une étude du texte, et que pour cela, aucune connaissance de l'auteur n'est requise.

Explication de texte. Machiavel, “Le Prince” (1532)

Votre correction n'a pas lieu d'être dans le sens où la doctrine de l'auteur n'est pas une connaissance à avoir, c'est purement une analyse de texte de Français de Première à la limite mais aucun élève ne peut relier ce texte a quelconques connaissances historique, Merci

Dur

Je n'ai pas parlé de politique, et très peu de la liberté, je peux quand même avoir la moyenne ?

Il est bien marqué sur la

Il est bien marqué sur la copie de bac : " La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question."
Donc qu'est ce qui dans le texte peut nous faire penser que l'on parle de pouvoir politique. Personnellement je ne vois rien même en le relisant plusieurs fois.
Il fallait donc bien connaître l'oeuvre ou l'auteur...

Une correction très peu

Une correction très peu adaptée au commun des mortels : dans un premier temps, je pense que peu étaient ceux qui pouvaient développer une telle connaissance de la doctrine de l'auteur. Dans un second, votre focalisation sur le contexte politique est difficile à percevoir dans cet extrait...il est possible que dans le reste du Prince de Machiavel, la politique soit l'un des fondements. Toutefois, au vu du passage, il me semblait quasiment impossible ("sans connaître la doctrine de l'auteur" comme le précise le commentaire précédent) d'avoir une telle explication.
De plus, serait-ce ici une explication de texte, ou d’œuvre ... ?
Avec le passage seul, votre commentaire semble complètement hors-sujet (Où avez-vous trouvé dans le texte une allusion au kairos ?)

C'est un sujet de terminale scientifique...ne l'oubliez pas.

Cordialement.

Dommage que la proposition de

Dommage que la proposition de corrigé de la 2ème partie ne fasse pas référence à tous les aspect de la vie...
N'est-ce pas là, le but de la philosophie ?.
Etre philosophe, dans l'acception commune, n'est-ce pas aussi avoir une certaine vision de la vie, de préférence "sage" ?.
La vie n'est pas que politique, loin s'en faut ! et "dieu" merci !!
Heureusement que le destin et la liberté de décider appartient à tout homme...

Explication de texte

Votre explication de texte pourrait trouver plus facilement des pistes de réflexion sur des faits d'actualités : ne trouvez-vous pas difficile de tout axer sur les sciences politiques à l'époque de Machiavel pour des néo bacheliers? Ne croyez-vous pas que le sujet est un prétexte mais que l'essentiel de l'exercice est de bien argumenter à ce stade de la vie des lycéens?

correction

je pense aussi que parler de la politique n'était pas évident dans cet extrait pour un élève ne connaissant que peu machiavel. En revanche le libre arbitre pour moitié et le destin pour l'autre partie étaient je pense, les deux axes réels à traiter et à mettre en avant.
Bonne chance à tous les candidats)

intérêt philosophique

C'est quoi l'intérêt philosophique du texte ?

Pourquoi parle t-on de poiytique ?

Pour ma part, je croyais que les profond bouleversements évoqués étaient liés à la renaissance et non à des guerres civiles ! Est-ce une erreur grave ?

3

Tous ces commentaires vont dans le même sens : limiter l'épreuve d'explication philosophique à celle d'une d'une épreuve de français de 1ère et considérer que le choix du texte par défaut est une qualté du candidat qui n'a pu se préparer-sic-!!
Bref déduire du nom de l'auteur et du titre de l'ouvrage un enjeu politique est un crime de lèse-ignorance!
Tant que les équivoques -politiques ( et oui!)- du 3ème sujet n'auront pas été levés on en restera à cette mascarade dont le fondement est l'interdiction de l'enseignement obligatoire avant 17 ans ( lequel permettrait de comprendre que la doctrine de l'auteur est sa langue!- et non pas de favoriser l'agnologie! ( que n'ai- je pas dit?!)

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