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Bac philo 2017 - Série ES

“Léviathan”, Hobbes (1651)

Expliquer le texte suivant :

« Étant donné [...] qu’il n’existe pas au monde de République où l’on ait établi suffisamment de règles pour présider à toutes les actions et paroles des hommes (car cela serait impossible), il s’ensuit nécessairement que, dans tous les domaines d’activité que les lois ont passés sous silence, les gens ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur indique comme leur étant le plus profitable. Car si nous prenons la liberté au sens propre de liberté corporelle, c’est-à-dire de ne pas être enchaîné ni emprisonné, il serait tout à fait absurde, de la part des hommes, de crier comme ils le font cette liberté dont ils jouissent si manifestement. D’autre part, si nous entendons par liberté le fait d’être soustrait aux lois, il n’est pas moins absurde de la part des hommes de réclamer comme ils le font cette liberté qui permettrait à tous les autres hommes de se rendre maîtres de leurs vies. Et cependant, aussi absurde que ce soit, c’est bien ce qu’ils réclament ; ne sachant pas que leurs lois sont sans pouvoir pour les protéger s’il n’est pas un glaive entre les mains d’un homme (ou de plusieurs) pour faire exécuter ces lois. La liberté des sujets ne réside par conséquent que dans les choses que le souverain, en réglementant les actions des hommes, a passées sous silence, par exemple la liberté d’acheter, de vendre, et de conclure d’autres contrats les uns avec les autres, de choisir leur résidence, leur genre de nourriture, leur métier, d’éduquer leurs enfants comme ils le jugent convenable et ainsi de suite ».

HOBBES, Léviathan (1651)

 

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles. 

Introduction / Problématisation

Ce texte aborde le problème classique de la liberté politique, que l’on peut présenter ainsi : de quelle liberté disposons-nous à partir du moment où des lois encadrent nos actions ? Hobbes répond de façon très claire : notre liberté réside dans le silence de la loi. Autrement dit, nous sommes libres de faire tout ce qui n’est pas interdit ou régenté explicitement par la loi. Être libre, ce n’est donc ni vivre en dehors de la loi (état de nature) ni conserver la possibilité d’y désobéir de temps à autre.  De plus, l’intérêt de ce texte est de rappeler la différence entre une liberté dite naturelle, qui n’en est pas vraiment une, et une liberté politique qui, bien qu’apparemment limitée par les lois, est en fait très étendue. En effet, les règles juridiques ne doivent pas concerner tous les domaines de la vie des hommes. 

Le texte se compose de trois parties. Dans la première (lignes 1 à 5), l’auteur énonce sa thèse. Dans la deuxième (lignes 5 à 13), il lève des malentendus à propos des idées communément répandues sur ce que devrait être une véritable liberté. La dernière partie approfondit la thèse mentionnée au départ en précisant tous les domaines dans lesquels les hommes sont libres d’agir et où le souverain n’intervient pas. 

Partie I.

La loi est générale et ne prévoit pas tous les cas de figures.

Pour énoncer sa thèse, Hobbes commence par rappeler qu’il n’existe aucun régime politique légitime (c’est en ce sens qu’il faut entendre le mot “République”) où le législateur aurait conçu les lois dans le but d’encadrer toutes les actions ou les paroles possibles des hommes, soit pour les interdire, soit pour les commander, soit pour les encourager, etc. (le texte utilise l’expression relativement indéterminée « présider à »). Ce serait bien entendu impossible : la loi, par définition, est générale et ne prévoit pas tous les cas de figure. Il y a ici une impossibilité de fait. La conséquence logique est qu’on est en droit de faire tout ce que la loi passe sous silence, c’est-à-dire qu’une action est permise à partir du moment où la loi ne la réglemente pas. Dans ce cas, les individus s’en remettent à leur raison, qui est juge de leur intérêt bien compris. Cela signifie qu’il n’existe aucune instance supérieure pour leur dicter leur conduite : leur raison les guide vers ce qui est le mieux pour eux. 

Partie II.

Réfutant de deux conceptions courantes de la liberté.

Pour appuyer sa thèse, Hobbes précise la manière dont il faut définir la liberté politique. Il le fait indirectement en réfutant deux autres conceptions courantes de la liberté qui ont pour point commun de penser la liberté politique sur le modèle de la liberté naturelle. La liberté politique ne consiste donc pas seulement à « n’être ni enchaîné, ni emprisonné » : la liberté corporelle ou liberté de mouvement, celle « d’aller et venir » comme on dit, va de soi et ce n’est pas parce qu’on en dispose que l’on peut se dire libre au sens politique du terme. Il ne sert donc à rien de la réclamer comme si c’était là le but ultime de l’association politique des hommes. Elle est une condition nécessaire, mais pas encore suffisante de la liberté authentique. 

De plus, la liberté n’est pas le fait « d’être soustrait aux lois », c’est-à-dire de leur échapper quand bon nous semble. Cela reviendrait à restaurer peu à peu la liberté des hommes à l’état de nature dont on sait, comme Hobbes le rappelle, qu’elle correspond, en l’absence de toute autorité supérieure pour arbitrer les conflits entre individus, à une guerre de tous contre tous, donc à la disparition de toute liberté réelle. Pour le dire simplement, si tous les hommes sont totalement libres de faire ce qu’ils veulent, plus personne n’est libre du tout, en raison d’un état de conflit ouvert ou latent permanent où chacun est à la merci de tous les autres à tout instant (« cette liberté qui permettrait à tous les autres de se rendre maîtres de leurs vies »). C’est pourquoi la loi doit être accompagnée de force (“le glaive”) pour que les hommes n’aient pas le choix d’obéir ou non à la loi. La liberté ne consiste donc pas à garder une marge de manœuvre personnelle pour respecter ou pas la loi en fonction de ce qui m’arrange.

Partie III.

La loi ne réglemente qu’une partie limitée de l’existence des hommes.

Hobbes reprend sa thèse et la précise. La véritable liberté consiste bien à vivre sous l’autorité d’une loi dans la mesure où celle-ci ne réglemente qu’une partie limitée de l’existence des hommes. L’activité économique (acheter, vendre, passer des contrats), les préférences en matière de logement, de métier, l’éducation des enfants sont laissées à la libre appréciation des individus. L’action de l’État, via la loi, n’investit pas la totalité de ce qu’on nomme la société civile. Dans le cas contraire, on se dirigerait vers un régime totalitaire, prétendant régenter l’intégralité de la vie des hommes, par la remise en cause de la frontière entre vie publique et vie privée par exemple. 

Conclusion

Il n’y a de liberté que par la loi et dans la loi.

Ce texte rappelle qu’il n’y a de liberté que par la loi et dans la loi. À condition de préciser que cela ne signifie pas qu’elle réglemente toute notre vie, bien au contraire. Loi et liberté vont de pair à partir du moment où la première est avant tout faite pour harmoniser les libertés individuelles en les rendant compatibles les unes avec les autres. On pourrait néanmoins objecter à Hobbes que, contrairement à ce qu’il indique, la loi  investit de plus en plus de domaines de la vie de l’homme, même si elle prétend le faire au nom de la défense de nos libertés. L’État, par exemple, s’occupe de la manière dont nous éduquons nos enfants en nous obligeant à les instruire et, dans le domaine économique, la loi encadre fortement les contrats (voir le droit du travail et la relation entre employeurs et employés). Par conséquent, s’il existera toujours des silences de la loi, il n’empêche  que nos sociétés deviennent de plus en plus « juridiques » et cela interroge forcément sur le devenir de nos libertés…

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