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Bac philo 2017 - Série L

Tout ce que j’ai le droit de faire est-il juste ?

Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles. 

Introduction / Problématisation

Il est d’usage de dire que tout ce que la loi n’interdit pas est autorisé, donc juste. De plus, le droit ne tenant compte que de l’action et non de l’intention qui l’anime, on peut dire que celle-ci est juste à partir du moment où elle est autorisée. Peu importe les motifs, mon acte est juste, car légal. Mais la justice ne se confond pas totalement avec la légalité. Bien que légales, certaines conduites ou certains modes de vie peuvent paraître injustes au sens d’immorales ou de non conformes à la bienséance. Le fait d’agir dans le cadre de la loi ne garantit pas qu’on soit juste. La difficulté de la question vient du fait que la notion de justice appartient à trois ordres qui se recoupent sans se confondre : le droit, la morale et la politique.

Partie I.

Par définition, tout ce que j’ai le droit de faire est juste d’un point de vue légal.

La loi autorise tout ce qu’elle n’interdit pas et tout ce dont elle ne parle pas. Sur un plan juridique, il n’est pas possible de me reprocher un acte qui n’est pas interdit par une loi au moment où je le commets. On part du principe qu’on a le droit de faire tout ce sur quoi la loi garde le silence, en plus de ce que la loi autorise explicitement. En ce sens, agir dans ce cadre est nécessairement juste, sans qu’on ait besoin d’interroger les motivations de l’acte. Ces principes sont une garantie pour nos libertés. Pour s’en rendre compte, il faut imaginer ce qui se passerait dans la situation inverse. Si l’on en venait à nous reprocher ce qui n’était pas mentionné par la loi ou bien ce qui ne l’était pas encore, ce serait la porte ouverte à la tyrannie de l’arbitraire. De même, si l’on cherchait à savoir quelles sont les intentions de celui dont l’action est extérieurement conforme au cadre légal pour juger si elle est vraiment juste, on basculerait dans une autre forme de tyrannie : celle de la quête d’une transparence morale impossible, prétendant entrer dans la tête des gens. Il est fondamental, pour nos libertés individuelles, que le droit soit bien distinct de la morale et que le juge ne s’érige pas en maître de vertu et en inquisiteur.

Partie II.

La légalité n’épuise pas le registre de la justice.

Une action légale n’est pas nécessairement juste si on l’aborde d’un point de vue élargi, c’est-à-dire moral et/ou politique. J’ai, par exemple, le droit de m’enrichir sans limites. Mais il est possible d’estimer que, bien qu’à titre individuel je me conduise de façon ni illégale ni immorale (je ne vole personne, je respecte toutes les lois, je redistribue une partie de mon revenu, etc.), l’état d’inégalité entre riches et pauvres qui en résulte est injuste. Cet état peut sembler injuste dans la mesure où rien ne justifie un tel écart, ni mon mérite personnel, ni l’absence relative de mérite des autres.

Agir dans le strict respect du droit ne veut donc pas dire que le contexte et le résultat de l’action sont nécessairement justes. Ça signifie aussi que la finalité de mon action peut être injuste sans qu’elle-même le soit (elle est légale et mes motivations ne sont pas en elles-mêmes immorales). De ce point de vue, tout ce que j’ai le droit de faire n’est pas, par définition et automatiquement, juste.

D’un point de vue plus moral maintenant, bien qu’on ait le droit de vivre de façon dissolue, licencieuse, en s’autorisant tous les plaisirs, en étant dépensier plus qu’économe, à la manière de Calliclès dans le Gorgias de Platon, ne peut-on pas estimer comme Socrate que c’est là une existence injuste ?  En effet, sans faire du tort à personne d’autre qu’à lui-même, Calliclès semble indigne de sa qualité d’homme, il se réduit progressivement à l’état d’animal,  vivant sous la dépendance de ses besoins et abandonnant toute ambition de donner sens et forme à son existence. Ce questionnement invite à considérer la possibilité d’une hiérarchie des modes de vie que l’on se devrait de respecter sous peine d’injustice, indépendamment de la légalité. 

Partie III.

Il y a plusieurs formes de justice et plusieurs sources de légitimité.

« Avoir le droit de » ne garantit pas d’être juste. La légitimité de la légalité dépend de la légitimité de l’institution politique qui fait la loi, mais également de sa conformité avec les valeurs morales universellement partagées. Le régime de Vichy était, d’un point de vue institutionnel, légitime et sa législation encourageait la dénonciation des juifs. Pour autant, il serait malvenu d’affirmer que, parce qu’on avait le droit de dénoncer, c’était juste de le faire.

À trop sacraliser le droit, on risque l’injustice. Pour éviter cela, il faut considérer que les droits individuels ne sont  qu’un des modes d’expression de la volonté politique, que celle-ci s’exerce à travers un débat permanent chargé de dépasser l’approche strictement juridique des problèmes collectifs. Pour que ce débat ait lieu, il faut envisager plusieurs formes de légitimité : juridique, morale et politique. Avec pour conséquence que ce que  le peuple souverain a fait, il peut le défaire et que si tout ce que j’ai le droit de faire aujourd’hui est juste d’un strict point de vue juridique, cela ne veut pas dire que cela l’est de toute éternité et que ce sera toujours le cas.

De plus, dans une optique plus morale et sans prétendre imposer une norme en la matière, il est important d’affirmer, en s’inspirant de Socrate, que le droit à choisir sa vie et à la mener comme on l’entend, aussi absolu soit-il, ne signifie pas qu’on ne puisse pas discuter de la valeur morale des conduites.  On a le droit au  mensonge, à l’inconstance, à l’infidélité, à l’arrivisme, à la paresse, etc. ; ce n’est pas pour cela que nous les considérons justes par principe, loin de là. 

Conclusion

Cette question est une invitation à interroger la relation entre le droit et la justice et à mobiliser la distinction entre légitimité et légalité. Mais sa difficulté tient au fait que, sous une apparence classique, il était en réalité bien spécifique, car il portait sur le rapport entre le droit des personnes et la justice et non sur le couple légalité/légitimité en général, comme c’est souvent le cas quand on doit s’interroger pour savoir si tout ce qui est légal est juste par exemple. On pouvait facilement glisser de ce sujet vers d’autres, plus familiers car plus classiques.

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