samedi 14 février 2009

Peut-on considérer la Religion comme une aliénation ?

(Corrigé de dissertation)

La religion est sujette à polémique. Cela peut sembler paradoxal puisque si la religion délivre "officiellement" un message de paix et d'amour, on constate que de nombreux conflits persistent à cause d’elle. Les philosophes sont devenus de plus en plus méfiants à l’égard d’une pratique ou d’un mode de pensée qualifiés parfois d’ « aliénation ». Peut-on aller jusqu’à considérer la religion comme une aliénation pour l’Homme ?

 
La religion se définit comme la croyance collective en un être surnaturel ou transcendant censé dominer et protéger les hommes. La religion se distingue de la simple « foi » personnelle par cet aspect de « lien » social et culturel, d’ailleurs conforme à son étymologie : « religare », rassembler). Or l’aliénation se définit précisément comme un lien de dépendance, une privation d’autonomie et de liberté : perte de notre essence propre qui nous rend comme étranger à nous-même.
Le problème surgit du paradoxe précédemment évoqué : comment la religion qui est a priori un lien privilégié avec Dieu, et une promesse de salut (donc de libération), peut-elle devenir une chaîne, une privation de liberté et une confiscation de l’essence de l’Homme ? L’aliénation est-elle l’essence de la religion ou une simple conséquence sociale ? 
Certes il faut réfléchir sur les effets aliénants de la religion sur l’Homme en général (pas seulement sur le « peuple » par exemple) : la dimension du problème n’est pas seulement sociologique, mais plus largement anthropologique. Cependant il semble que dans le concept de religion prédomine l’aspect social plutôt que personnel. Hypothèse (3è partie) : en tant qu’organisation sociale basée essentiellement sur l’obéissance, n’est-il pas évident que la religion soit une aliénation ? Par opposition elle ne le serait pas sur le plan personnel de la « foi » (2ème partie). Mais cette aliénation serait présente dès l’origine du phénomène, depuis ses fondements anthropologiques (1ère partie).


Plan détaillé du développement


I. – L’aliénation originelle de l’Homme
1) La misère originelle de l’homme. La richesse de l’homme est indéniablement sa conscience, mais celle-ci constitue aussi bien sa faiblesse : l’homme y perd son autonomie naturelle et la force de ses instincts (cf. les analyses de Nietzsche ou de Freud). D’où le phénomène de la croyance en général, le besoin de donner un sens et d’attribuer à un Autre surnaturel l’origine des maux qui l’affectent. L’Homme se met lui-même dans un état de dépendance à l’égard d’un « Père » protecteur.
2) L’homme est donc un être intelligent et aliéné pour une même raison. La croyance, en elle-même naturelle et nécessaire, se traduit par une aliénation à des formes de croyances plus ou moins superstitieuses, à des rites, enfin à une religion structurée. Il délègue définitivement sa pensée aux sorciers, aux prêtres, il obéit.
3) D’où le concept d’aliénation pour la première fois analysé par Feuerbach : le contenu de la religion, c’est l’Homme, mais projeté (non assumé, non reconnu par lui-même) sur un Etre fantastique représentant l’essence de l’Homme.

II. – La foi personnelle échappe-t-elle à toute aliénation ?
1) Par définition un « acte de foi » apparaît comme librement choisi, conscient, responsable. Ne pas vouloir dépendre (aliénation) uniquement du Monde des hommes, de la raison, mais s’en remettre à Dieu, à l’Infini, n’est-ce pas tout le contraire d’une aliénation ? (Cf. le « pari » de Pascal).
2) La « mystique » est une sorte d’aliénation assumée, un désir de se perdre en Dieu. Pour de nombreux mystiques, la condition physique est une humiliation, la pire des aliénations
3) Des philosophes comme St Thomas d’Aquin, ou même Descartes, ont tenté de concilier la Raison (autonome) et la Foi (obéissante). Selon Descartes l’homme peut découvrir par lui-même sa propre essence – il est une âme, une « chose pensante » - et il découvre aussitôt par lui-même sa nature divine (spirituelle). Pour Kant, la religion se déduit des postulats de la Raison pratique, elle n’est pas contraire à l’autonomie morale.

III. – Une aliénation avant tout sociale et politique
1) L’Histoire révèle une contradiction : l’Eglise censée protéger les faibles, s’est faite complice des maîtres.
2) « L’opium du peuple » : Marx a développé le concept d’aliénation à la suite de Feuerbach. La religion est le symptôme qui à la fois révèle et justifie une domination de classe. Le peuple illusionné (« drogué ») est trompé : on lui promet le paradis pour mieux lui faire accepter son enfer présent et sa misère.
3) La religion est un frein à l’évolution des mœurs (avortement, etc.). Elle freine la liberté individuelle, elle culpabilise l’individu, etc.

Conclusion. – La religion est une aliénation de principe (1ère partie) et de fait (3ème partie). Seule une minorité d’individus sont capables de tourner cette aliénation en expérience métaphysique et en édification personnelle (2ème partie).