Le commentaire de texte accompagné de questions


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Comme nous l'avons fait pour la dissertation, nous partirons d'un exemple, afin de voir comment il faut procéder. Prenons l'exemple de ce texte de Spinoza proposé à l'examen sous la forme suivante :

Sujet : "Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre, que l'État est institué; au contraire, c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. Non, je le répète, la fin de l'État n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'État est donc en réalité la liberté."

SPINOZA

Questions :
1) Quelle est l'idée principale du texte ?
2) Expliquez
a. " Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte [...] que l'État est institué "
b. " son droit naturel d'exister et d'agir ".
c. " la fin de l'État ".
3) Peut-on concilier le pouvoir de l'État et la liberté individuelle ?

Travail préalable

Dans un premier temps il ne faut pas se préoccuper des questions qui vous sont posées mais essayer de comprendre le texte. On lira attentivement l'extrait deux ou trois fois et on se posera quelques questions clefs :

  • Quel est le thème du texte ? Sur quoi porte le propos de l'auteur ? Dans notre exemple Spinoza s'interroge sur l'État. Le thème du texte est donc politique. Plus précisément il traite du rapport entre l'État et la liberté.
  • A quelle question le texte tente-t-il de répondre ? Ici Spinoza se demande quelle est la fonction de l'État, son utilité. Il se pose la question : Pourquoi l'État est-il institué ?
  • Quelle est la réponse que l'auteur donne à cette question ? En d'autres termes : quelle est la thèse du texte, c'est à dire son idée principale ? Dans notre exemple Spinoza défend l'idée que la fonction de l'État, son utilité est d'assurer la sécurité et surtout la liberté des hommes. On remarquera, comme c'est souvent le cas, que la phrase clef est la dernière phrase du texte.
  • Enfin quelle est la structure du texte. Pour ce faire, il est utile de surligner les mots de liaison, ceux qui indiquent les articulations du texte. Cela nous donne ceci :

"Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre, que l'État est institué; au contraire, c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. Non, je le répète, la fin de l'État n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'État est donc en réalité la liberté."

A partir de là vous pouvez préciser la structure du texte de la façon suivante :
1) Ce que n'est pas la fonction de l'État (négation de l'idée adverse)
2) Ce qu'est la fonction de l'État
3) Explication de l'idée 2)
4) Reprise, mais en les développant des idées 1) et 2)
5) Conséquence (thèse du texte)
Il est utile ensuite de procéder au brouillon à une étude suivie du texte, en s'interrogeant précisément à propos de chacune des phrases sur son sens (qu'est-ce que cela veut dire ?) et sur sa pertinence (Qu'est-ce qui justifie cette phrase ? Pourquoi l'auteur dit-il cela ?)
L'ensemble de ce travail de lecture peut prendre environ une heure et demie à deux heures. Il vous simplifiera grandement le travail de réponse aux questions. Certains de mes collègues, pour contraindre à ce travail indispensable de réflexion, ne donnent les questions qu'au bout des deux premières heures de devoir surveillé.

Répondre aux questions

Votre travail se divisera en trois parties :

  • La recherche de l'idée principale du texte et éventuellement l'étude de son argumentation (première question)
  • L'analyse de concepts ou d'expressions, voire de phrases, essentiels pour la compréhension du texte (Question de type deux. Dans la plupart des cas, il y en a plusieurs)
  • Une question de réflexion plus générale vous invitant à discuter un des problèmes évoqués dans le texte (dernière question).

1) La première question.
Dans tous les cas on vous demandera de dégager l'idée centrale, essentielle du texte. La formulation peut en être différente : dégagez l'idée principale du texte ? Dégagez l'idée directrice du texte ? Dégagez la thèse du texte ? Il s'agit de la formuler en la distinguant des idées secondaires.
Une idée générale n'est ni un mot, ni une question. Elle se formule sous la forme d'une phrase affirmative. Faites attention à ne pas confondre l'idée générale (ou thèse) et le thème du texte. On ne vous demande pas de quoi le texte parle, mais quelle est l'idée que défend l'auteur et qui résume l'ensemble du texte. Dans la mesure où il s'agit de distinguer l'idée principale des idées secondaires, une seule phrase ne suffit pas. Vous devez rédiger un paragraphe. Dans notre exemple, il peut prendre la forme suivante :

Dans ce texte, Spinoza défend essentiellement l'idée que la fonction de l'État, c'est à dire son utilité principale, est d'assurer la sécurité et surtout la liberté des citoyens. Cette liberté n'est possible que si l'État encourage le développement de la raison au détriment des passions de façon à ce que règne la concorde. C'est dire qu'un État qui repose tout entier sur la répression, qui terrorise les sujets en les maintenant dans l'esclavage, n'est plus, à strictement parler un État. Il ne remplit plus son rôle.

Remarque : L'idée principale a été énoncée dans la première phrase de notre paragraphe. Ce qui suit en est l'explication. Il faut montrer qu'on a compris le texte.
Il est fréquent que la première question soit plus complexe et s'accompagne d'une interrogation sur la structure du texte :
Dégagez l'idée principale du texte à partir de son étude ordonnée.
Dégagez la thèse du texte et l'organisation de son exposé.
Dégagez l'idée directrice du texte et ses principales articulations.
Dégagez l'idée principale du texte et les étapes de son argumentation.

Il s'agit d'indiquer comment l'auteur procède pour prouver, argumenter ce qu'il dit. Précisons le sens du mot "articulation" : il s'agit des liens entre les parties du passage, ce qui constitue la charpente du texte et non du contenu des parties du texte. Il faudra donc bien mettre en évidence la façon dont l'auteur procède. Il faut faire attention aux mots de liaison mais aussi à la ponctuation, aux divisions en alinéas et en phrases.
Il faut éviter la paraphrase. Il ne s'agit pas de faire un simple résumé. Il ne s'agit surtout pas d'approuver ou de critiquer le texte.
La structure du texte ayant été dégagée lors du travail préalable, elle vous servira de canevas pour rédiger un paragraphe.

2) Les questions de type 2.
Ce type de question vous invite à définir un concept ou à expliquer une expression ou une phrase du texte. Il s'agit toujours d'éléments clefs du texte de façon à vérifier que vous l'avez bien compris, que vous ne commettez aucun contresens dans son interprétation.
Vous ne devez jamais vous contenter d'une simple définition de dictionnaire mais toujours replacer l'élément à expliquer dans son contexte. Autant dire que vous ne pourrez pas, ici non plus, vous contenter d'une simple phrase. Pour chaque question, il faut rédiger un vrai paragraphe. Soyez clair et précis. Retenez aussi qu'il s'agit d'expliquer et non d'approuver ou critiquer ce que dit l'auteur. Faites aussi attention à bien centrer votre analyse sur la question, à ne pas en sortir, à ne rien dire sur ce que vous savez par ailleurs sur l'auteur et qui n'éclairerait pas le concept ou l'expression à expliquer.
Dans notre exemple, voilà ce qu'on pourrait écrire :

a) "Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte (…) que l'État est institué"
Tenir l'homme par la crainte c'est faire en sorte qu'il obéisse en le menaçant de sanctions s'il ne le fait pas. En somme c'est l'idée d'un État fondamentalement répressif. On peut penser à ce qu'on appelle "la peur du gendarme". Aux yeux de Spinoza, la crainte est une passion négative, ce qu'il appelle une passion triste. L'État ne saurait donc privilégier ce moyen pour établir son pouvoir. A ses yeux, ce n'est pas par la menace que l'État doit se faire obéir mais au contraire en montrant positivement quel intérêt il y a à respecter les lois. Ce n'est donc pas pour générer la crainte qu'existe l'État mais au contraire pour créer un climat de concorde et de sécurité qui délivre de la peur. Implicitement Spinoza fait référence à l'état de nature qui pour lui est un état d'insécurité dont la société doit nous faire sortir. L'État ne doit pas faire de l'homme une bête brute qui réagit automatiquement parce qu'il est terrorisé mais un être épanoui et libre, délivré des passions tristes propres à l'état de nature.

b) "Son droit naturel d'exister et d'agir"
Le droit naturel est le pouvoir d'agir selon les lois de sa nature (ce qui est chez Spinoza la définition même de la liberté). Or quelles sont les lois qui réagissent la nature humaine. D'abord notre nature nous pousse à vivre et à vivre à la fois le plus longtemps possible et dans la meilleure santé possible (droit d'exister). Mais l'homme est aussi un être de désir poussé à l'action (droit d'agir). L'État doit non seulement respecter ce droit naturel mais même le réaliser. Un droit naturel non organisé socialement est en réalité illusoire.

c) "la fin de l'État"
Le mot "fin" est ici pris au sens philosophique de but (finalité). Le but de l'État est la liberté et l'homme n'est libre que s'il use "d'une raison libre". Cela signifie que pour Spinoza l'État doit permettre aux hommes d'être libres de penser (liberté d'opinion) et de s'exprimer. C'est sa "fin" c'est-à-dire ce pour quoi il est institué.

3) La question de réflexion.
Cette question vous permet de vous libérer partiellement du texte. Elle permet aux élèves qui auraient commis des contresens sur le texte de se rattraper. Il est cependant toujours préférable de partir du texte, quitte ensuite à le critiquer.
Il s'agit de rédiger une petite dissertation qui doit comporter une petite introduction de quelques lignes où on explicite le problème, un développement ordonné c'est à dire comportant aux moins deux parties et une petite conclusion. La méthode, ici, n'est guère différente de celle pratiquée pour la dissertation (s'y référer), sauf, bien sûr, que vous n'aurez pas le temps d'en écrire autant.
Quoiqu'il n'existe pas de barème précis (une copie se juge dans sa globalité), il n'en reste pas moins vrai que cette question est celle qui rapporte le plus de points. Il faudra donc se ménager suffisamment de temps pour lui donner l'ampleur qu'elle mérite. Soyez rigoureux. Justifiez toujours votre avis. Mettez en œuvre des connaissances précises et n'hésitez pas à illustrer votre propos d'exemples.
Voici le corrigé de la question de réflexion concernant le texte de Spinoza :

3) Peut-on concilier le pouvoir de l'État et la liberté individuelle ?

"Pouvoir" et "liberté" semblent deux mots contradictoires parce qu'on a coutume de définir la liberté comme absence de contrainte. L'enjeu de la question qui nous est posée est donc de se demander si notre définition de la liberté ne procède pas d'un préjugé. Peut-on, dans un État constitué, être libre ? Nous verrons que l'incompatibilité entre État et liberté n'est qu'apparente avant de voir comment on peut concilier les deux.

Ce qui caractérise d'abord l'État est le fait qu'il exerce un pouvoir c'est à dire qu'il produit des contraintes qu'on appelle les lois. Si nous enfreignons les lois nous sommes passibles de sanctions, ce qui semble s'opposer à notre liberté. Il est clair que l'État empêche l'homme d'être indépendant et c'est pourquoi certains penseurs, les anarchistes, se sont élevés contre l'État. "Ni Dieu, ni maître", proclame l'anarchiste Proudhon. C'est au nom de la liberté de l'individu qu'il s'oppose à l'existence du pouvoir politique. Étymologiquement, "anarchie" veut dire "sans pouvoir". Pourtant serions-nous libres en l'absence de pouvoir politique, en l'absence d'État ?
Il est d'abord peu probable qu'en l'absence de toute organisation sociale c'est à dire sans les lois civiles, nous serions libres. Hobbes nous décrit l'état de nature comme un état de conflits perpétuels menant à la guerre de tous contre tous c'est à dire au règne du plus fort. Quant aux sociétés sans État, l'exemple des sociétés primitives montre que les formes de pouvoir social y sont plus contraignantes encore que là où existe l'État : le chef a le monopole de la parole légitime et nul ne peut s'y opposer sans commettre un sacrilège unanimement condamné. Si en l'absence d'État l'homme n'est pas libre, n'est-ce pas alors le pouvoir politique qui garantit la liberté ?

L'État semble bien nécessaire à la liberté. Il nous libère de la violence de la nature extérieure en organisant le travail et de la violence des autres par la loi car "entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère" (Lacordaire). Si l'existence de la loi m'interdit d'agir à ma guise, elle interdit la même chose aux autres. Je ne peux tuer ou voler les autres mais, en même temps, les autres non plus n'ont pas ce droit et c'est ma liberté de vivre et de posséder des biens qui est garantie. C'est donc que la loi ne s'oppose pas nécessairement à la liberté. Spinoza a donc raison de dire que la fin de l'État est la liberté.
Il faut cependant remarquer que si l'État doit assurer la liberté individuelle, il ne le fait pas toujours. Il existe bien sûr des dictatures, des despotismes. Seule la démocratie peut respecter la liberté comme le montrera très bien Rousseau. En effet, l'État démocratique incarne l'intérêt général. Il ne domine pas les individus car son pouvoir est celui des citoyens. L'État institue le droit qui nous défend contre la crainte. Un État qui bafoue la liberté de penser et de s'exprimer est toujours voué à la mort à plus ou moins long terme car il se heurtera tôt ou tard à une révolte des citoyens. La démocratie n'est pas un régime politique parmi d'autres mais la vraie nature de la société comme la raison est la vraie nature de l'individu. La démocratie concilie liberté et État. Cette conciliation est donc possible.

La réponse à la question qui nous est posée est donc affirmative. Spinoza définit l'État comme source et gardien des libertés individuelles avant Rousseau et Montesquieu, auteurs qui inspireront les idéaux de la révolution française. C'est justement sur la conciliation de l'État et de la liberté que repose notre organisation politique.

Deux autres corrigés de ce type d'exercice vous sont proposés.

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