Deuxième exemple de l'exercice du commentaire de texte


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Sujet

Dégagez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée :

"Qu'est-ce que le moi ?
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus.
Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi ? Non ; car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées."

Pascal

Approche globale du texte

"Qu'est-ce que le moi ?
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus.
Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi ? Non ; car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées."

Structure du texte :
1) Position du problème - Qu'est-ce que le moi ?
2) Analyse d'un premier exemple : l'homme qui se met à la fenêtre ne me voit pas, moi.
3) Passage au problème de l'amour.
  a) Aimer quelqu'un pour ses qualités physiques, est-ce l'aimer ? Réponse négative.
  b) Aimer quelqu'un pour ses qualités morales, est-ce l'aimer ? Réponse négative.
  c) Aimer quelqu'un pour autre chose que ses qualités, est-ce l'aimer ? Réponse négative.
4) Conséquence et conclusion : on n'aime jamais personne.
5) Conséquence de la conclusion : la comédie sociale.

On remarquera le procédé d'argumentation employé : Pascal procède par examen successif d'hypothèses qu'il élimine. Il s'agit d'une approche négative de la question. La réflexion porte essentiellement sur des exemples et en particulier l'exemple de l'amour.

Analyse linéaire du texte (à faire au brouillon)- Sont soulignées les questions qui interrogent le texte :

 " Qu'est-ce que le moi ? "  Quel type de question est introduit par la locution " qu'est-ce que " ? Il s'agit de la question de la définition ou, en termes philosophiques, la question de la nature ou de l'essence. Il s'agit donc de s'interroger sur la nature du " moi ", c'est-à-dire de la personne. On définit ordinairement la personne à la fois comme un tout, une unité mais aussi comme une individualité qui la rend différente des autres. Examinons la réponse de Pascal.
" Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier. " Pascal commence par examiner les qualités physiques. Le premier exemple est celui de la qualité d'être " passant ". Le passant n'est pas une individualité. Etre passant, c'est être un individu quelconque, qui ne se distingue pas des autres. C'est être " monsieur-tout-le-monde ". L'homme qui me regarde passer ne " me " voit pas. Il ne me regarde pas comme un être " particulier ". Le rôle de ce passage est donc de montrer que le moi ne se situe pas dans la généralité indistincte. Je ne peux me définir comme passant, ni comme homme, car je suis plus que cela : je suis quelqu'un qui se distingue des autres. Ajoutons que je suis encore moins passant que je ne suis homme car être passant est une qualité accidentelle, contingente, attribuée de l'extérieur. Je suis un passant pour celui qui me regarde, mais pas en moi-même. Je ne suis pas " passant " par nature. Celui qui me regarde et me qualifie de " passant " est indifférent à l'égard du moi.
"  Mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. " Nous avons vu que la personne se situe dans l'individualité, la particularité. Or qu'est-ce qui me différencie des autres ? En premier lieu (" premier " parce que cela se voit, de façon évidente), ce qui me distingue d'autrui est mon apparence physique. Mis à part le cas très particulier des jumeaux monozygotes, nous sommes physiquement des êtres dissemblables. Est-ce qu'on pourra alors définir le moi par l'aspect physique, dans la mesure où il m'est propre ? On remarquera que Pascal ne parle pas du corps en général mais d'une qualité du corps : la beauté. La question est posée sous le biais de l'exemple de l'amour. L'amour est une passion humaine mais elle a aussi un sens théologique. Dieu est amour et nous devons aimer Dieu selon la religion catholique. Quand il s'agit d'un texte de Pascal, cela doit éveiller notre attention. Quand on m'aime pour mon physique, m'aime-t-on, moi ? Si n'importe qui peut être regardé comme passant, on ne peut pas aimer n'importe qui pour sa beauté. M'aimer pour ma beauté n'est pas être indifférent pour ma personne (progression par rapport à l'exemple du " passant ").Pourtant, dit Pascal, celui qui m'aime pour ma beauté ne m'aime pas, moi, car il cessera de m'aimer si cette beauté disparaît. Rappelons que la petite vérole est le nom donné autrefois à la variole, maladie qui défigurait ceux qu'elle ne tuait pas. Cette maladie, aujourd'hui disparue, était fréquente à l'époque. La beauté ne fait pas partie de ma nature puisqu'elle peut disparaître avec la maladie. Elle est un accident. Le raisonnement de Pascal ne se fonde-t-il pas ici sur un présupposé ? Pascal présuppose que le changement physique ne me change pas. Or, est-ce si sûr ? Je me sens toujours moi-même mais n'ai-je pas changé ? Peut-on s'abstraire ainsi de son apparence ? Peut-on s'abstraire du regard des autres sur soi, regard qui ne sera pas le même si je suis beau ou si je suis défiguré par la maladie ? Le corps n'est-il effectivement qu'une apparence ou a-t-il des répercussions sur notre individualité, notre personne, notre comportement, notre manière de penser, de juger, d'être, bref sur notre personne ? Pascal semble dire ici que cela n'a aucune incidence sur ce que je suis.
" Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi ? Non ; car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. " Nous franchissons ici un nouveau pas dans l'énumération et la démarche par élimination. Puisque nous n'avons pas trouvé le moi dans les qualités physiques, ne pourrons-nous pas le trouver dans les qualités intellectuelles ? Nous ne nous distinguons pas d'autrui que par les qualités physiques mais aussi par nos facultés (notre jugement, notre mémoire dit Pascal). Nous nous situons ici au niveau de l'âme mais, là encore, non pas au niveau de l'âme elle-même mais de ses qualités. Mon jugement et ma mémoire me distinguent d'autrui. On peut avoir plus ou moins de mémoire, le jugement plus ou moins sûr etc. Ces facultés sont-elles ce qui définit ma personne ? Non pas selon Pascal et en vertu d'un raisonnement identique à celui qu'il a mené à propos de l'exemple de la beauté. Je peux perdre la mémoire et devenir amnésique. Je peux perdre mes qualités de jugement et devenir fou, je ne me perds pas pour autant moi-même, ma personne n'en est pas pour autant évanouie. Nous retrouvons ici un nouveau présupposé. Suis-je vraiment toujours le même si je deviens amnésique ou fou ? Certes, je garde le même corps biologique et la même identité civile. Mais suis-je le même ? Suis-je encore moi ? S'il est clair que je ne suis pas beau, intelligent etc. comme cette table est rectangulaire, peut-on pour autant affirmer qu'il n'y a aucune connexion entre le moi et les apparences ? Le prétendre, c'est supposer que le moi existe comme une substance, qu'il est invariable et permanent. Cette conception est problématique, comme le montrera la philosophie existentialiste et notamment celle de Sartre. Pascal entrevoit quelque chose de fondamental, à savoir la mouvance du moi, son caractère insaisissable qui pourrait nous faire conclure que le moi n'est pas. Mais il ne va pas jusqu'au bout, prisonnier de sa vision essentialiste de l'âme : c'est qu'il faut que le salut reste possible et que Dieu garde ses sujets. Pourtant, il va reconnaître lui-même que cet essentialisme lui-même se heurte à une impasse comme le montre la suite du texte.
" Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. " Le moi n'est ni dans le corps, ni dans l'âme. Mais alors le moi n'est-il pas le corps lui-même ou l'âme elle-même ? Faut-il condamner la frivolité de notre jugement qui oriente notre amour vers ce qui est inessentiel ? Y a-t-il un amour superficiel qui porte sur des qualités et un amour véritable qui atteint la substance ? Le " moi " n'est-il pas le substrat des qualités changeantes et accidentelles, c'est-à-dire exactement ce qu'on appelle substance ? Le propre des qualités est d'être périssables. Ne pas y voir le moi c'est supposer une certaine permanence du moi, du moins tant que j'existe. Or le corps et l'âme ont une certaine durabilité. Le corps existe ma vie durant et le chrétien Pascal croit à l'immortalité de l'âme. M'aimer, moi, ce serait donc aimer mon corps et mon âme indépendamment de leurs qualités. Pourtant, au moment même où Pascal évoque l'hypothèse il la réfute. Pourquoi ? On ne peut, dit Pascal, m'aimer " abstraitement ". Rappelons que " abstraire " c'est " tirer de " par opposition à l'appréhension concrète qui prend en compte le tout. Je suis une totalité d'être et de qualités. Considérer mon être indépendamment de mes qualités c'est donc me considérer non comme tout (concrètement) mais en partie (abstraitement). Aimer quelqu'un abstraitement, indépendamment de ses qualités est non seulement impossible ( " cela ne se peut ") car qu'y a-t-il d'aimable dans une abstraction ? mais surtout " injuste ". En quoi est-ce injuste ? Les qualités ne sont pas sans valeur même si elles sont périssables. L'intelligence est supérieure à la bêtise, la beauté vaut mieux que la laideur. Aimer quelqu'un sans tenir compte de ses qualités, c'est en arriver à aimer même le pire des criminels, ce qui est moralement inacceptable. C'est aimer l'autre indépendamment de ses mérites. Ajoutons que le moi est ce qui fait que je suis une personne différente des autres. Or le corps et l'âme abstraits de leurs qualités n'ont rien d'individuels.
" On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités " Pascal énonce ici la conclusion de son raisonnement. Nous avons cherché le moi et ne l'avons pas trouvé. Qu'est-ce que le moi ? Nous n'en savons rien. Il est insaisissable. Pascal répond à une seconde question : peut-on aimer quelqu'un ? La réponse est négative : on n'aime jamais personne. Il ne faut pas se méprendre sur le sens de cette phrase. Pascal ne dit pas " personne ne m'aime ". Il n'a plus seize ans. Il ne dit même pas " personne n'aime qui que ce soit ". L'amour existe bien : on aime des qualités. On aime, cela est certain, mais ce qu'on aime n'est personne. Le problème n'est pas dans le sujet qui aime mais dans l'objet aimé. Cet objet n'est pas un être. Ce texte n'est pas un texte de psychologue mais un texte de métaphysicien. Cet objet aimé, ce n'est pas moi et lorsque c'est moi qu'on aime, ce qu'en aime en moi, ce n'est pas moi mais mes qualités. Le moi n'est nulle part. Il n'est que l'illusion d'être quelqu'un. Comme nous le disions précédemment nous serions presque dans la thèse existentialiste si Pascal ne restait prisonnier d'une thèse qui reste essentialiste. Il reste affirmé que les apparences, ce n'est pas moi, que je ne suis pas mes qualités. Or si effectivement ces qualités ne sont pas un être au sens où une table est une table, ces qualités ne sont-elles pas pour autant tout ce que, d'une certaine façon, je suis. Il faut alors aller plus loin que Pascal, ce que fera Sartre, qui, lui, affirmera que notre être n'est rien d'autre que la somme de ses apparences. L'homme, dira Sartre, n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. La personnalité n'est pas une entité toute faite. Elle prend forme dans l'existence. Elle est ce que l'individu décide d'être, l'expression de son vouloir, de son courage ou de sa lâcheté etc. Le moi est alors bel et bien tel qu'il apparaît parce qu'il n'a effectivement pas d'être, parce qu'il est " néant ". Rappelons que " personne " vient du latin personna qui signifie " masque ". Nous n'aimons jamais personne. Nous aimons des personnages et le monde n'est qu'une comédie, comme le souligne d'ailleurs la dernière phrase :
" Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées " Le texte se termine sur des considérations morales. Il est hypocrite de se moquer de ceux qui se font honorer pour leur fonction sociale, car nous n'apparaissons jamais aux autres tels que nous sommes réellement. La vie sociale est une comédie, un jeu de masques, comme nous le disions. Le moi est inconnaissable. S'il est possible de le concevoir abstraitement comme une substance, on ne peut en revanche le déterminer davantage. Ce qui apparaît n'est jamais la manifestation de l'essence.
La question posée au début du texte était : qu'est-ce que le moi ? Pourtant toute l'argumentation (ou presque) a tourné autour du thème de l'amour. Il nous faut revenir sur ce point et sur l'arrière fond théologique qu'il suppose. On ne m'aime pas parce que, soit on appréhende des qualités trop mouvantes et accidentelles, soit parce qu'on appréhende une substance abstraite et dénuée de particularités, d'individualité. On ne pourrait donc aimer qu'un être dont les qualités seraient immuables. On pourrait l'aimer à la fois comme individu c'est-à-dire comme être singulier et sans que ces qualités puissent se perdre dans la mouvance du changement incessant. Or, aux yeux de Pascal, cet être existe : c'est Dieu. Dieu est une personne parfaite et donc qui ne change pas. Son moi est à la fois singulier et immuable dans ses qualités. Ce qui est singulier en nous n'est pas stable et ce qui est stable en nous n'est pas singulier. Mais ce n'est pas ainsi que Dieu est. Autrement dit, le seul amour réel est l'amour de Dieu : je peux aimer Dieu pour ses qualités tout en l'aimant lui car ses qualités ne périssent pas. C'est le seul Etre qui réunit singularité et stabilité.

Organisation du commentaire

Exemple d'introduction :
Nous savons depuis Descartes qu'il est impossible de douter de notre existence. En revanche, la connaissance de ce que nous sommes apparaît plus difficile. Qu'est-ce que le moi ? telle est la question que pose explicitement Pascal dans ce texte. L'enjeu de cette question est situé dans la perspective de l'amour ce qui renvoie à une seconde question : qu'aime-t-on lorsqu'on dit aimer une personne ? En procédant selon une méthode par élimination successive, Pascal montre d'abord qu'on ne saurait déterminer la personne par ses qualités. Il montre ensuite que ce n'est pas davantage dans l'abstraction de la substance que se situe le moi, ce qui rend notre problème aporétique. Mais la perspective pascalienne est-elle sans présupposé ?

Proposition de plan :

I La personne ne se situe pas dans les qualités accidentelles

  1. L'exemple du passant
  2. Le moi peut-il être défini par ses qualités physiques ?
  3. Le moi peut-il être défini par ses qualités intellectuelles ?

II L'insaisissabilité du moi

  1. Il est impossible et immoral d'aimer quelqu'un abstraitement
  2. Caractère aporétique de notre problème
  3. La comédie sociale

III Les présupposés pascaliens

  1. Le présupposé substantialiste
  2. Amour humain et amour de Dieu
  3. Ouverture à la perspective existentialiste

A ce niveau du travail, il reste bien sûr à rédiger le commentaire. On remarquera que l'intérêt philosophique (qui constitue une partie critique au sens large du texte) peut faire l'objet d'une partie toute entière : il y a en effet suffisamment à dire.

Exemple de conclusion:
Pascal comprend parfaitement le caractère insaisissable du moi. Il ne peut néanmoins en conclure, comme le feront les penseurs existentialistes, que le moi n'a pas d'être ou qu'il est, comme le pensera Sartre, un " néant ". Il reste en effet dépendant de présupposés essentialistes, substantialistes. L'opposition pascalienne entre l'être et l'apparaître est contestable mais elle prend son sens dans la perspective théologique de l'amour que nous devons éprouver envers Dieu, seul amour possible envers une personne. Ce texte a le mérite de montrer les illusions de notre conscience lorsqu'elle croit pouvoir se saisir. Il ne voit pas en revanche que l'être du moi n'est que l'ensemble de ses apparences successives, ce qui permet de lever le caractère aporétique de la problématique pascalienne.

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