Faut-il préférer la révolte à la résignation ?


Sommaire

Index des sujets

Analyse du sujet

Les mots du sujet

Les deux mots à souligner sont "révolte" et "résignation"

On voit donc que les deux notions s'opposent.

Le sens du problème

On entourera "faut-il" et "préférer"
Le verbe falloir à deux sens en français. Il signifie "être nécessaire" ou "avoir le devoir de". Il n'y a aucune raison ici de négliger l'un des deux sens.
Préférer, c'est considérer comme meilleur parce que c'est plus utile ou plus désirable ou plus moral.
Le sujet nous invite donc à chercher des raisons de choisir entre ces deux contraires que sont la révolte et la résignation. Il s'agit de se poser à la fois la question de la nécessité du choix (elle renvoie d'ailleurs plus à la thématique de la résignation qu'à celle de la révolte : si la révolte est impossible, il est nécessaire de préférer la résignation) et celle de son devoir. Y a-t-il non seulement un droit mais même un devoir de révolte ou au contraire mon devoir est-il d'obéir, même à contrecœur ?

Présupposé de la question

Il n'y en a pas.

Réponse spontanée

Elle n'est pas claire et sera sans doute très différente selon sa personnalité. Il y a ici une question qui se présente vraiment comme un problème puisque aucune réponse spontanée ne se présente.

Plan rédigé

Introduction

Si, comme le souligne Freud, tout individu en vertu du principe de plaisir cherche à faire ce qui lui plaît et à éviter toute cause de déplaisir, il n'en reste pas moins vrai que la réalité nous impose des situations contraignantes voire déplaisantes. Face à une situation inacceptable ou du moins désagréable deux attitudes sont possibles : se soumettre c'est à dire se résigner ou, au contraire, refuser c'est à dire se révolter. De ces deux attitudes laquelle est préférable et surtout laquelle est-elle conforme à mon devoir ? L'enjeu de cette question et celui de la liberté humaine dont on peut se demander si elle doit s'affirmer en toutes circonstances ou au contraire s'admettre des limites. La résignation peut d'abord paraître nécessaire voire utile ou même légitime. Cependant, face à l'injustice l'homme n'a-t-il pas le droit, voire le devoir, de se révolter.

I Les raisons de la résignation

1) Nécessité de la résignation
Pour pouvoir se révolter, encore faut-il être libre d'agir, libre de réaliser ses desseins. Que vaudrait une révolte d'avance vouée à l'échec ? A quoi aboutirait-elle sinon à une nécessaire insatisfaction ? Le problème est donc avant tout celui de la possibilité de la révolte. Si la révolte est impossible, la question se résout d'elle-même : il est nécessaire de se résigner.
Quel est donc mon pouvoir d'action face au monde ? A cette question, les stoïciens répondirent : aucun. L'univers, selon eux, serait régi par les lois strictes du déterminisme. Tout est déterminé. L'ordre de la nature est réglé selon les lois strictes de la causalité et l'homme, élément de cette nature, ne peut rien y changer. Il ne lui reste donc plus qu'à accepter. Certes l'homme est libre de penser, libre de son attitude face au monde, mais refuser l'ordre des choses, c'est nécessairement être malheureux, c'est nécessairement voir ses desseins échouer. Il y a là une attitude insensée. La fin de l'homme est le bonheur. La condition de ce bonheur est donc la résignation et, non pas une résignation passive, mais une résignation active, qui se veut. Le sage stoïcien est celui qui s'efforce de connaître l'ordre de la nature, non seulement pour l'accepter mais même pour le vouloir, ayant la satisfaction de voir advenir non seulement ce qu'il a prévu mais ce qu'il a voulu. La révolte est donc condamnable, la résignation bénéfique et même légitime. Le sage est celui qui, non seulement accepte, mais même veut accepter, non pas avec mauvaise volonté mais librement. À la limite, s'agit-il encore d'une simple résignation ? Se résigner, c'est accepter à contrecœur. Le sage stoïcien n'accepte pas à contrecœur. Il veut accepter. Quoi qu'il en soit, dans une telle perspective la révolte est condamnable.
Mais cette position suppose que l'homme n'ait réellement aucune liberté d'action. Or, rien n'est moins sûr. Kant nous a montré que le problème est indécidable et nombre de philosophes ont pensé l'homme comme un être disposant de libre arbitre. Pourtant, même en ce cas, on peut préférer la résignation.

2) Utilité de la résignation.
Même si l'homme est libre de décider, s'il a en lui une volonté qui lui permet de faire des choix et d'agir en fonction de ces choix, il est clair que des contraintes extérieures s'opposent à la réalisation de nos projets. Sans aller dans le sens d'un déterminisme strict de la nature à la manière stoïcienne, il est clair que des obstacles s'opposent à nos actions.
De ce point de vue, il existe bien des situations où la révolte est impossible. C'est le cas des États totalitaires où le pouvoir est fort et où toute tentative de soulèvement est immédiatement réprimée. Dans ces conditions, la révolte est vouée à l'échec. Si le rapport de force est en faveur du pouvoir et non de celui qui subit que vaut la révolte ? Certes, cela ne signifie pas que la résignation soit nécessaire. Elle peut ne pas être. Il peut exister des individus candidats au martyre qui se soulèvent. Mais il n'en reste pas moins vrai que la prudence est alors de se résigner. Comme le souligne Rousseau, qui n'était pourtant pas un adepte de la résignation, se soumettre au plus fort n'est pas tout à fait un acte de nécessité mais n'est pas non plus un acte de volonté. C'est un acte de prudence. J'accepte parce que je n'ai pas vraiment le choix ou plutôt parce que les possibilités ne sont pas équivalentes. Si je me révolte, je risque l'emprisonnement, la torture, la mort. Si je me résigne, je survis. La résignation m'est effectivement plus utile. On concèdera qu'il ne s'agit pas non plus d'une légitimation de la résignation. Il n'y a rien de moral à accepter l'arbitraire. Simplement, nous n'avons pas le choix. Il n'est d'acte moral que libre (où est le mérite à faire ce qu'on nous force à faire ?) mais il n'est aussi d'acte immoral que libre (où est le blâme à faire ce qu'on nous force à faire ?)
Galilée connut cette situation. Sommé par l'inquisition de renoncer à ses idées coperniciennes, il sait ce qu'il risque à se révolter contre l'autorité religieuse. Giordano Bruno a payé de sa vie une telle attitude. Galilée se résigne. Sa résignation est utile parce que la révolte ne lui rapporterait rien, ne ferait pas avancer ses idées d'un pouce. Peut-être est-il plus utile pour elles qu'il survive pour témoigner. Aujourd'hui nous savons bien qui avait raison et qui avait tort.
La plupart des gens se résignent par peur des conséquences, parce qu'il leur est plus utile d'accepter que d'être emprisonné ou tuer. Lâcheté ? Il n'est pas si facile de juger. Après tout nulle valeur n'existe si l'on est mort.
Mais peut-on aller plus loin ? Peut-on considérer la résignation non seulement comme utile mais même comme légitime ?

3) Légitimité de la résignation.
Qu'est-ce qui peut légitimer la résignation sinon la légitimité de la situation contraignante elle-même ? Si une contrainte, même désagréable, voire oppressante, est légitime (et pas seulement légale), alors s'y soumettre devient un devoir. Aller contre la morale, c'est être immoral.
Mais qu'est-ce qui peut légitimer une situation désagréable ? Deux solutions se présentent :

Ainsi, l'homme a le devoir de se résigner, d'accepter les lois même si elles lui semblent arbitraires. Socrate , certes dans une toute autre perspective, ne disait pas autre chose. Condamné à mort par un jugement inique, il accepte de se soumettre alors même qu'il a la possibilité de fuir. Il le fait par fidélité à lui-même, lui qui défendait les lois durant toute sa vie. La légalité vaut mieux que la violence. Le droit est sacré car l'homme a besoin des lois. Le sage refuse la violence même contre un ordre injuste car désobéir une fois à la loi, c'est créer un précèdent qui met toutes les lois en péril, c'est, par son exemple, ouvrir la voie à l'anarchie, au désordre, au chaos social.
Néanmoins, pour accepter cette thèse, encore faut-il admettre une certaine nécessité de la légitimité de la légalité, ce qui ne va pas de soi. Rousseau critique Hobbes en faisant remarquer que sa description de l'état de nature attribue à l'homme des vices qui sont en réalité ceux de l'homme social. L'homme naturel vit isolé et a très peu de contacts, sinon pour les besoins de la perpétuation de l'espèce, avec ses semblables puisque des contacts impliquent une existence sociale. Comment alors faire la guerre ? Il n'a aucune raison de guerroyer. L'état de nature n'est possible que si les hommes sont peu nombreux et les ressources naturelles suffisent alors à leurs besoins. Nulle rivalité n'existe car les besoins naturels sont peu nombreux (seule la société crée l'infini du désir). Mais dans ses conditions, l'ordre social ne se justifie plus absolument. Ne pourrait-on pas alors concevoir un droit à la révolte ?

II Les raisons de la révolte.

1) Les apologistes de la révolte comme refus de la légalité.
La position la plus extrême en faveur de la révolte, nous la trouverons chez Sade, ce romancier philosophe. Sade est contre toute légalité. Sa théorie se fonde sur la volonté d'enfreindre la loi selon le principe qu'il vaut mieux être emprisonné voire tué que de vivre pauvre, que de vivre en limitant la satisfaction de ses désirs. La résignation est à ses yeux le fait des imbéciles. Il s'agit de s'enrichir, de satisfaire ses désirs aux dépens des autres. Le crime lui-même, dans une telle perspective, devient légitime. C'est l'apologie de la loi du plus fort.
Cette thèse est évidemment critiquable et ce pour deux raisons :

Est-ce à dire que nous n'avons nul droit à la révolte ? Certes non !

2) Révolte et liberté - Légitimité de la révolte.
Il ne saurait y avoir un droit de se révolter contre les lois légitimes. Aller contre la justice, c'est être injuste. Mais toutes les lois sont-elles justes ? Se révolter contre l'injustice, n'est-ce pas rétablir la justice ? Mais alors, à quoi reconnaît-on qu'une autorité est injuste ? Comment légitimer la révolte ?
C'est Rousseau qui nous donne la solution de ce problème. Rousseau part du principe suivant : l'homme est libre. La liberté est ce qui définit notre essence, ce qui nous distingue de l'animal. L'animal, régi par l'instinct, n'a aucun choix. Dans une situation donnée, il ne peut réagir que d'une seule façon, celle qu'a prévu la nature et c'est ainsi qu'un pigeon mourrait de faim devant un tas de viande et un chat devant un tas de grain. L'homme, lui, a le choix.
Or, la liberté est inaliénable c'est à dire qu'on ne peut ni la donner ni la vendre. Tout contrat suppose la liberté et la liberté elle-même ne saurait s'échanger dans un contrat. Comme le fait remarquer Rousseau , si j'échange ma liberté contre autre chose (richesse, sécurité, etc.) qui me garantira que l'autre me donnera effectivement ce qu'il m'a promis en échange ? N'étant plus libre, je ne saurais le forcer à le faire. Voilà donc un étrange contrat où je me donne tout entier sans avoir aucune garantie d'obtenir quoi que ce soit en échange !
Renoncer à sa liberté, c'est cesser d'être un homme, c'est rétrograder à l'état animal. L'esclave est mort à l'humanité. Mais alors, si on m'enlève ma liberté, j'ai le droit de résister, de me révolter simplement pour récupérer ma dignité d'homme.
On remarquera que la révolte se justifie chez Rousseau par sa fin. J'ai le droit de me révolter parce qu'on n'avait pas le droit de m'asservir. J'ai le droit de me révolter parce que je vise une société plus juste parce que plus libre. Cela ne signifie nullement qu'on ait le droit de se révolter contre n'importe quoi et dans n'importe quelle condition. Il nous reste donc à déterminer précisément les conditions d'un droit à la révolte.

En fin de compte, la légitimation de la révolte tourne autour du concept de liberté. J'ai le droit de me révolter si on touche illégitimement à ma liberté et si, par ma révolte, je peux reconquérir cette liberté, soit par le résultat de ma révolte si elle réussit, soit par la révolte elle-même dans le cas extrême où la résignation conduit quand même à la mort. Insistons sur ce fait : Il faut d'abord qu'on touche illégitimement à ma liberté. Le criminel qu'on emprisonne pour le punir de ses forfaits n'a bien sûr pas de droit à la révolte car sa privation de liberté est légitime. Au fond, le droit à la révolte, c'est finalement le droit à la légitime défense.
Mais ne peut-on aller plus loin ? N'y a-t-il pas parfois même un devoir de révolte ?

3) Le devoir de révolte.
Il peut exister des cas où la révolte n'est plus un droit mais un devoir. Parfois ne rien faire, accepter, se résigner, c'est être complice du crime.
Le problème s'est posé lors des procès intentés contre les criminels nazis. L'argument de nombres d'entre eux fut de dire : " J'obéissais aux ordres. " Certes, effectivement, l'ordre de torturer, d'exterminer ne venait pas toujours d'eux et peut-être (encore que ce n'est pas si sûr) auraient-ils pris quelques risques à désobéir. Ils furent pourtant condamnés et ceci légitimement. Comme le montre très bien Sartre , ordre ou pas ordre, l'homme reste libre et c'est une manifestation typique de ce qu'on appelle la mauvaise foi que de se cacher derrière cette phrase : " c'était les ordres ". On est toujours libre d'obéir ou non. Or suivre les ordres, lorsque ceux-ci sont légitimes est bien sûr légitime mais lorsque les ordres sont manifestement iniques, quand il s'agit de crime contre l'humanité, obéir est cesser d'être humain. L'homme qui se livre au crime contre l'humanité nie non seulement l'homme qu'il torture ou tue mais aussi l'homme qu'il est lui-même c'est à dire, en lui, l'être qui se doit d'être raisonnable et moral. Obéir et se résigner, c'est alors être complice d'autant plus qu'on peut toujours désobéir. Pensons au problème de la collaboration sous la seconde guerre mondiale : entre le résistant qui se révolte et le collaborateur, on voit bien quel est celui qui fait son devoir.
Sans considérer des cas aussi extrêmes, rappelons que le droit condamne le délit de non-assistance à personne en danger. Autrement dit, si on est témoin d'un crime, d'une agression et qu'on laisse faire, on devient complice. Ici, il y a bien un devoir de révolte.

Conclusion

Le choix entre la révolte et la résignation dépend largement des circonstances. S'il est clair qu'il faut parfois se résigner, il existe un droit voire un devoir de révolte dont nous avons précisé les conditions. On ne peut pas se révolter contre n'importe quoi ni à n'importe quel prix. Le critère reste la lutte contre l'injustice à condition que les moyens employés ne soient pas plus injustes encore. Lutter contre la violation du droit, c'est rétablir le droit à condition d'en prendre les moyens. Mais quand la révolte est vouée à l'échec, nul ne peut reprocher à celui qui se résigne de le faire. Le problème est donc plus large : dans quelle mesure sommes-nous libres d'agir et quelles sont les limites mais aussi les conditions morales de l'exercice de notre liberté ?