Judith, Lucas Granach l'ancien,1472-1553 

la transgression et le mal

Analyse du sujet à la loupe :

Le mal

L’adjectif est substantivé, le terme évoque la sphère du négatif (la violence, la mort qui -selon la Genèse- est « entrée dans le monde avec la faute d’Adam », la perversion, le chaos, l’anéantissement, mais aussi la lâcheté et l’obéissance aveugle (par où on pressent que le mal n’est pas toujours dans la transgression des commandements…)

Dans les différents registres où le mal peut s’accomplir, il faut donc privilégier ceux qui ont un rapport avec la loi, les interdits et donc les éventuelles transgressions.

La transgression

La transgression est une action.

Le terme vient du latin transgressio, onis nom d’action du supin de transgredi qui signifie « passer de l’autre côté », « traverser », « dépasser une limite », d’où l’idée d’enfreindre (un ordre, une règle, une loi ).

La transgression est une infraction, elle passe outre la loi (l’interdit), la rend caduque, du moins pendant le temps de la transgression et récupère la liberté d’action que la loi amputait.

Prométhée, Gustave Moreau (1826-1898), Paris Musée Gustave MoreauOn pressent que la valeur de la transgression sera relative (et inverse) à la valeur qu’on reconnaît à ce qui est transgressé.

Dans l’ordre politique ou théologico-politique, quand la loi est tyrannique, ceux qui la transgressent sont célébrés comme les Héros du peuple et de la morale (Robin des bois, Zorro…)

Les mythes de Prométhée et d’Adam s’ouvrent à plus de polémiques. Nous aurons l’occasion d’y revenir…

 

Dans l’ordre anthropologique et symbolique

La transgression aura le sens d’une progression ou d’une régression selon le statut reconnu au monde qui est garanti par le respect de la règle bafouée.

Ainsi les transgressions de l’interdit portant sur le meurtre ou de celui de l’inceste paraissent-elles faire régresser en deçà de l’humain (on parle de déchaînement bestial des pulsions agressives et sexuelles).

Mais beaucoup de formes de progrès scientifique ont impliqué de transgresser des interdits religieux ( sur la dissection du corps humain et les recherches alchimiques par exemple)

(Voyez la légende de Faust et ces différentes formulations au cours des âges).

 Et

 Comme tous les sujets qui se présentent sous la forme d’un couple de notions c’est le réseau des relations possibles entre les deux termes qu’il faut explorer. Voici quelques exemples de pistes :

Ange peseur d'âmes, Guariento, Padoue.

Exemple d’introduction:

La transgression est toujours négation d’une forme d’interdiction. Elle passe outre la limite qui définissait la sphère du permis. La transgression s’accomplissant toujours dans le possible, elle révèle que le possible dépasse la limite du permis. Elle dénonce donc implicitement l’interdit comme ce qui restreint la sphère du possible (quels que soient les arguments qui prétendent justifier cette restriction). Dès lors on ne peut identifier simplement le mal et la transgression (c’est-à-dire la réalisation du défendu) puisque l’interdit peut lui-même être dénoncé comme un mal. Le mal est-il dans la transgression de l’interdit ou dans l’interdit qui brise le mouvement du désir et brime la liberté de l’individu ? Mais par là même, l’opposition entre le bien et le mal devient secondaire. La transgression interroge la liberté et l’économie du désir, c’est-à-dire la part d’excès en l’homme. Les œuvres de Bakounine, Spinoza et Bataille nous aideront dans nos analyses.

 
Plan de développement

I) 

Quand l’interdiction est pensée comme une atteinte à la liberté, la transgression est bonne

(justification anarchiste de la transgression)

II)

Relecture, à cette lumière, du récit de la transgression d’Adam :
La possibilité de transgression ne fait qu’un avec la liberté humaine, mais on peut avec Spinoza refuser corrélativement l’illusion de la liberté et l’interprétation du mal comme châtiment d’une  « faute » 

III)

Mais tout le processus culturel peut être interprété comme un effort pour gérer par les interdits ( et l’organisation de leur transgression rituelle) la fascination de l’homme pour ce que la conscience chrétienne nomme « le mal ».
Exemple de développement rédigé:

La délivrance des emmurés de Carcasonne (détail) , Jean Paul Laurens, 1879, Carcasonne, Hotel de ville.Interdire c’est vouloir qu’un autre s’abstienne ; c’est un commandement négatif qui manifeste de la part de celui qui interdit une prétention de supériorité en même temps qu’il révèle une forme de dépendance et de vulnérabilité : on interdit faute de pouvoir rendre la chose matériellement impossible pour celui à qui on l’interdit. Le monarque qui interdit manifeste qu’il n’est pas tout puissant : l’interdiction est une marque de finitude, de moindre puissance. Celui qui interdit avoue implicitement qu’il s’adresse à un interlocuteur autonome : il ne peut l’empêcher d’agir ; il ne peut que tâcher de le dissuader. Mais celui qui interdit a renoncé à convaincre par raison. Il menace de châtiments celui qui transgressera l’interdit. Dès lors nous pouvons douter que ce qui est interdit soit véritablement un mal puisque c’est la crainte d’un autre mal ( celui du châtiment) qui est sensé nous détourner du premier.

Un véritable mal devrait-il avoir besoin qu’on l’interdise s’il était réellement et seulement mauvais ? Notre dégoût ne nous en détournerait-il pas spontanément ?

Faut-il que le mal prenne les apparences trompeuses et séductrices d’un bien pour justifier le recours à l’interdiction ?

Faut-il qu’il y ait de telles différences (de maturité, d’expérience, de caractère) entre les individus pour que certains voient un bien là où d’autres diagnostiquent un mal qui justifie la mise à l’index et l’interdiction ?

Justification anarchiste de la transgression

Le pape et l'inquisiteur Torquemada, Jean Paul Laurens, 1882,  Bordeaux, ,musée des Beaux-ArtsLes courants anarchistes récusent toute hiérarchie naturelle entre les hommes qui opposerait le sage au troupeau des insensés et reconnaîtrait au premier le droit de veiller au salut du troupeau en lui imposant ses lois.

L’interdiction est la manifestation archétypale d’un pouvoir étranger, distant, qui impose de l’extérieur ses normes ( le permis/ le défendu ; le bien / le mal). Ce type de pouvoir est évidemment contesté par les anarchistes. Pour eux, et selon la formule restée célèbre après les manifestations de 1968 en France, « il est interdit d’interdire. Interdire c’est nier le droit de chacun  à comprendre et à se décider en conséquence.

Celui qui n’a que le choix d’obéir ou de transgresser les lois est un esclave. La véritable liberté politique implique de petites collectivités autogérées où la liberté créatrice décline ses conditions de possibilité. L’action pose ses normes. Il n’est pas besoin d’interdire : les conditions d’efficacité de l’action collective et individuelle éloignent naturellement les agissements qui lui sont incompatibles. La pratique du débat se substitue à celle qui prétendait canaliser les agissements des hommes en multipliant les interdits. La pratique de la discussion a aussi pour avantage de désamorcer un des ressorts les plus archaïques de la psychologie humaine : la tentation.

L’interdiction provoque la transgression

Il suffit qu’un objet soit défendu pour qu’il suscite le désir de transgresser l’interdit qui le défend, non que l’objet devienne désirable en soi par la simple vertu de l’interdiction mais

La liberté, comme sentiment intérieur, prend la forme d’un vertige,  celui de l’indéfini des possibles. L’interdiction, en barrant un possible, le privilégie comme expression de la plénitude de la liberté. C’est pourquoi l’interdiction peut susciter une révolte et un désir de transgression qui paraissent disproportionnés par rapport à l’objet interdit.

Barbe Bleue, Gustave Doré (1832-1883)Pourquoi la jeune femme de Barbe bleue veut-elle absolument ouvrir la seule porte qui lui soit défendue  alors qu’elle jouit de toutes les autres pièces et dépendances du château? Parce que cette interdiction est une restriction patente à sa liberté, elle est aussi comme une insulte, qui lui signifie sa soumission. Toute sa revendication de liberté se cristallise sur cet objet défendu. C’est ainsi que Bakounine justifie d’ailleurs l’acte de transgression de la jeune fille.

L’interdiction appelle et suscite sa propre transgression. Seule l’abolition des interdits permettra à la liberté de se déterminer sur des possibles véritablement créatifs alors que les interdictions enferment la liberté dans de simples réactions de contestation.  L’interdiction provoque la transgression, elle est principe de tentation. Elle est de mauvaise politique.

Contrairement au scénario explicite de la Genèse La transgression du premier homme peut donc faire l’économie du «  Malin ». Il n’est pas besoin de «  tentateur » attitré. La tentation naît de l’interdiction. Dira-t-on que Dieu est lui-même tentateur et donc responsable du mal de la transgression ? Il ne s’agit pas de prendre le mythe au pied de la lettre mais de repérer le plus fidèlement les conséquences logiques de ce qui est signifié.

La tentation et la chute d'Eve, William Blake( 1757-1827)

L’interdiction divine comme fondement mythologique de la liberté humaine

 Interdire, comme nous l’avons vu, c’est vouloir que l’autre (celui à qui s’adresse cette interdiction) s’abstienne. Que signifie interdire pour celui qui pourrait empêcher ?

Selon la théologie spéculative, Dieu est le symbole de la toute-puissance. Présenté comme créateur de toutes choses, il aurait pu faire Adam tel qu’il ne pèche point ou, pour reprendre l’image du fruit défendu de l’arbre de la connaissance, tel qu’il eût un dégoût viscéral de ce fruit. Pour un être qui peut tout, ne pas empêcher mais seulement interdire, c’est créer, par cette autolimitation, un espace où apparaît la liberté de l’autre (Adam, l’homme). Dans le cas divin, l’interdiction n’a donc plus comme signification une impuissance à rendre impossible mais le renoncement à exercer sa pleine puissance de détermination. Par ce renoncement divin naît pour l’homme la possibilité d’une autodétermination. L’interdiction, en même temps qu’elle s’adresse au libre arbitre de l’individu, en fonde la réalité. L’interdiction divine crée la liberté de l’homme.

Cette liberté peut logiquement s’actualiser dans la transgression comme dans l’obéissance. Mais psychologiquement,  la transgression est prévisible Le mal est inscrit dans la liberté humaine comme possibilité dès qu’elle est pensée comme libre arbitre et placée face à un interdit.

La critique spinoziste

C’est contre cette conception de la liberté et du mal que s‘élève Spinoza. Pour lui la liberté au sens de libre arbitre n’existe pas : c’est une illusion qui fait prendre l’hésitation avant l’action comme une preuve de notre indétermination fondamentale alors que cette hésitation manifeste une impuissance ponctuelle à agir. Il faut sortir de l’anthropomorphisme qui occulte les lois de la nature en présentant la mort comme un châtiment qui vient punir une transgression alors que la mort est l’effet naturel de certaines « rencontres ».

Spinoza propose une traduction dans le langage de la raison du récit imagé de la Genèse. « L’interdiction du fruit de l’arbre consistait seulement dans la révélation faite à Adam des conséquences mortelles qu’aurait l’ingestion de ce fruit ; c’est ainsi que nous savons par la lumière naturelle qu’un poison donne la mort » Lettre à Blyenbergh (XIX)

L'apothicaire, Pietro Longhi,  (1702-1785) , Venise, Académie,.Dans l’interprétation spinoziste, Dieu n’interdit rien. La législation divine ne se superpose pas à l’enchaînement des phénomènes naturels. Dieu n’est pas dissociable de l’ordre nécessaire de la nature : le fruit n’est pas « défendu » au sens propre ; en revanche, il est vrai qu’en vertu de sa composition il décomposera le corps d’Adam. Il n’y a pas de mal en soi (puisqu’il y a toujours des rapports qui se composent  ) mais il y a du mauvais pour chaque système vivant. Ce qui est mauvais doit être conçu comme une intoxication, un empoisonnement, une indigestion. Gilles Deleuze, dans les pages qu’il consacre à ce passage préfère d’ailleurs parler d’intolérance et d’allergie pour mieux prendre en compte les facteurs individuants (  Spinoza, Philosophie pratique ; page 46)

Mais dès qu’on ne comprend pas une loi naturelle, on moralise et on présente le mal de la mort et de l’infirmité comme la sanction d’une transgression divine.

Pour un spinoziste, le mal n’est pas dans la transgression de l’interdit car il faut abandonner corrélativement la croyance en la liberté de choix et la conception classique de Dieu et du mal, les trois étant intimement liés.

Pour séduisante que soit l’interprétation spinoziste, elle ne permet pas de pointer, dans le passé humain, un moment qui fasse Histoire, c’est-à-dire un acte par lequel l’homme se sépare de l’univers naturel en s’imposant, précisément, des interdits.

A la lumière des études ethnologiques nous verrons comment s’articulent la thématique du mal et l’acte de transgression.

Saturne dévorant son enfant, Goya 1746-1828,  Madrid, Prado

La culture procède par interdits

L’homme est le seul animal pour lequel sa propre nature et la nature toute entière soient vécues comme des problèmes. Tout se passe « comme si l’homme avait en une fois saisi ce qu’à d’impossible la nature (…) exigeant des êtres qu’elle suscite de participer à cette rage de détruire qui l’anime et que rien n’assouvira… La possibilité humaine dépendit du moment où, se prenant d’un vertige insurmontable un être s’efforça de répondre non »( Erotisme coll 10/18, p68,69) L’homme refuse la naturalité de ses besoins. Toutes les fonctions biologiques qu’il partage avec les animaux sont transformées symboliquement. L’homme impose à sa jouissance le détour de formes culturelles strictes : il suspend ainsi les enchaînements instinctifs ; c’est la naissance des interdits alors que « jamais pour l’animal rien n’est interdit. » (Lascaux page 31).

Les règles de mariage distinguent ainsi pour chaque individu les femmes permises et les femmes défendues  (celles qu’il faut laisser disponibles pour d’autres et qu’il est donc mal d’honorer). Les systèmes culinaires propres à chaque ethnie apparaissent aussi comme la régulation symbolique des données naturelles. Parmi tout ce qui est chimiquement ingérable par l’organisme humain, chaque culture opère sa sélection propre du ragoûtant et du dégoûtant. De même les vêtements ou plus généralement les systèmes de parures prouvent que l’homme est le seul animal qui ne vit pas simplement son rapport à la nudité d’où la naissance des différentes formes de pudeur.

Dans des pages célèbres de l’Erotisme, Georges Bataille rapproche l’horreur du cadavre de celle des excréments, ce dégoût n’apparaissant pas chez l’enfant il prouve qu’il est le produit d’une socialisation moralisatrice.

La naissance de l’obscène, la culpabilisation de la nature en l’homme

 « L’horreur du cadavre n’est pas seulement liée à l’anéantissement de l’être, mais à la pourriture qui rend les chairs mortes à la fermentation générale de la vie » (Page 62 ) Ce pourrissement nous renvoie à l’évidence de notre naturalité. La corruption est à l’origine de l’idée que la nature fait honte.  « Dans cette représentation, l’horreur de la honte se liait en même temps à notre naissance et à notre mort » page 63).  D’ailleurs les conduits sexuels évacuant des déjections furent qualifiés de « parties honteuses » ; le domaine de l’ordure et de l’obscène recouvrit la mort et la sexualité. En parallèle des pratiques symboliques furent inventées pour nous en purifier.(Excision, rites d’initiation du jeune adulte, rituels du mariage, rites funéraires )

La Mort de Leminkaïnen, 1897, Axel Gallen KallelaL’inhumation ou l’incinération devinrent obligatoires, il fallait faire disparaître le cadavre qui en tant que tel était une effraction aux valeurs de la culture. L’apparition de techniques à l’égard des morts   signifiait la séparation du monde en deux aspects : le profane et le sacré ( voir pour plus de précisions notre présentation de l’Erotisme.  Le monde profane est celui qui est issu des règles de comportement inventées par le processus culturel, c’est un monde régulier qui répond aux projets humains ; le monde sacré est l’envers de celui-ci : c’est un espace de violence imprévisible où dominent l’excès et la mort. Les interdits préservent donc le monde profane des excès de violence naturelle et rendent possible le monde du travail avec ses règles de production, d’épargne et de sécurité.

Mais un interdit absolutisé aboutirait à couper radicalement l’homme de l’excès sacré qu’il porte en lui dès l’origine. Tant qu’il garde conscience des forces instinctives qui l’animent la transgression de l’interdit est une  tentation permanente. Prenant en compte cette tentation, les systèmes culturels primitifs ont organisé rituellement la transgression.

L’organisation de la transgression

 « La transgression organisée forme avec l’interdit un ensemble qui définit la vie sociale » (page72) Tant que la transgression est vécue comme transgression de l’interdit ( c’est-à-dire avec la conscience d’enfreindre la règle) elle ne signifie pas du tout une régression à l’animalité. Au contraire dans une telle transgression c’est encore l’humanité qui se manifeste et réaffirme, au moment même de la transgression, que celle-ci ne peut qu’être ponctuelle et limitée

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La transgression rituelle affirme la nécessité de limiter la transgression pour le maintien d’un monde viable. Les excès et la violence sacrée garde leur majesté fascinante mais le monde profane s’en préserve en leur faisant la part du feu
   ( au chapitre XII G. Bataille étudie les cas archaïques de prostitution sacrée), les sacrifices humains, les incestes imposés aux rois primitifs, les orgies des temps de Bacchanales rentrent dans cette vaste économie de l’organisation de la transgression. De nos jours les temps de Carnaval, l’atmosphère de liesse et les excès de consommation des fêtes de fin d’année fonctionnent encore comme des parenthèses sacrées durant lesquelles les comportements se débrident  avant de rentrer dans l’ordre.

Le bannissement du Paradis, Jérome Bosch (1450-1515) El Escorial, Monastère de San Lorenzo

Le christianisme et l’économie nouvelle du bien et du mal

Dans les systèmes de valeurs primitifs, l’interdit laissait place à certaines transgressions. L’homme gardait un contact avec l’excès sacré des fêtes sauvages.

G. Bataille montre qu’avec l’avènement des monothéismes, les schémas se modifient. Le mal fait alors son entrée dans le monde.

L’esprit du Christianisme s’oppose à celui de la transgression, il impose le respect de la loi.

Le Dieu du Christianisme se présente comme ayant définitivement rompu avec les excès de violence que connaissait encore le Dieu de l’Ancien Testament. Les hommes ne peuvent plus prétendre communiquer avec lui par les mêmes violences (le Christ en croix est un Dieu qui se sacrifie pour racheter les fautes du monde ;  il n’est plus question pour l’homme de sacrifier des victimes et d’espérer ainsi communiquer avec les excès d’une « violence divine »). La transgression n’ouvre plus que sur la malédiction, elle n’est plus pensée comme une expérience du sacré ( du divin) elle est disqualifiée comme signe de déchéance et rapportée à une influence maligne (Satan).

A l’opposition primitive entre le sacré et le profane, se substitue celle du bien et du mal. Mais les clivages ne se  recouvrent pas exactement :  « le Bien » cumule les valeurs de l’économie profane ( épargne, régularité, sécurité) et les nouveaux attributs de la divinité (amour spirituel) ; « le Mal » désigne à la fois tous les excès du « sacré noir » (violence, sexualité débridée) et toutes les mesquineries du monde profane. A cette opposition « Bien / Mal » se superpose d’abord l’opposition « Dieu / Diable » ( ou sous forme d’adjectifs celle  du « divin » et du « maléfique »). Mais G Bataille remarque que le divin a fini par réquisitionner  pour lui seul la sphère du sacré : le sacré noir disparut des consciences pour ne laisser subsister que l’opposition commode mais simpliste du « Bien sacré » et du « Mal du monde profane » ( un mal sans grandeur, celui de la quotidienneté et des préoccupations bassement matérielles).

En guise de conclusion

Les moines soldats, Templier prêtant serment, Avignon, Musée Calvet.On est passé d’un univers où le jeu fascinant avec le « sacré noir » était autorisé et par là même canalisé, à un monde qui se veut radicalement séparé de lui  (et comme guéri). Dès lors la transgression a deux destins.

L‘homme occidental découvre alors, hébété, que tout son système de valeurs ne lui permet pas de donner sens à la violence qui se déchaîne dans l’excès : il parle du Mal.  Il cherche des causes dans les traumatismes individuels et collectifs (les politiques de discrimination, les revanches historiques, les excès d’autoritarisme  L’analyse espère trouver des motifs pour agir sur eux et éradiquer « le mal ». Les critiques anarchistes que nous avons évoquées en début de parcours s’inscrivent dans le même processus. En revanche, l’œuvre de G. Bataille, souligne la part excès en l’homme et les écueils des systèmes symboliques qui préfèrent la nier.