Robespierre guillotine le bourreau après avoir fait guillotiner tous les Français

Peut-on faire le bonheur des autres?

« Les gens vous font toujours payer les services qu’on leur rend »   Céline

 « la terreur est un humanisme pressé» A.. Finfielkraut citant  Edgar Quinet

Est-ce possible ou d'emblée est-ce  une prétention absurde, le bonheur des autres étant essentiellement leur affaire (puisqu’il dépend de ce qu’ils ressentent et de leur état d’esprit) ?

 La charité, le souci, la sollicitude peuvent être pensés comme des façons de viser le bonheur des autres.

 Mais Kant lui-même ne cesse d'émettre des nuances et des restrictions : « Il est possible de se faire un ennemi par des bienfaits marqués. »

De plus n'y a-t-il pas trop  de prétention et d'autoritarisme dans cette attitude qui prétend faire le bonheur des autres?   D’ailleurs, les utopies, quand elles cessent d'être de simples théories et qu'elles cherchent à se réaliser, ont des effets concentrationnaires et liberticides).

Prétendre connaître en quoi réside le bonheur des autres est nier leur autonomie de sujet et leurs droits à décider eux-mêmes  de la forme de leur bonheur.

 Pourtant il y a  un cas  où l’on ressent avec le plus grand contentement qu’un autre fait notre bonheur : c'est l'extase amoureuse. Comment cette aliénation amoureuse peut-elle passer pour le plus grand bonheur ?

Analyse du sujet à la loupe:

Peut-on faire le bonheur d’autrui ?  La formule pointe le registre des relations  interpersonnelles.

Un homme (des hommes /des communautés charitables/ « on » ) est  interrogé  dans sa capacité à apporter le bonheur   à d’autres  (le prochain / l’amant/tous les hommes ). La question  prend une dimension à la fois érotique et politique (utopie, dogmatisme terroriste, idéologie).

Illustration de Roland Topor dans la "Cuisine cannibale"

Peut-on ?

*Est-ce possible ou est-ce contradictoire dans les termes ? (le bonheur de l’autre serait forcément son affaire s’il faut être  « bien dans sa tête » et  « bien dans sa peau »)

*Doit-on le faire ? Est- ce un devoir ou bien y a-t-il des effets pervers dans cette prétention ?

Faire le bonheur

Le bonheur est-il de l'ordre du faire, de l’activité, de l'entreprise, d’une causalité efficiente ?

Ou bien est-il dans la sérénité ( la Grâce) d'un état qui n'aspire plus à rien d'autre?

Le bonheur est-il de l’ordre du faire ou de  l’ordre de l’être ? Fait-on le bonheur de quelqu’un ou est-on son bonheur ( presque malgré  soi !)

Mais  le bonheur  n’est-il pas  plus dans la quête  que dans la possession ?

Si le bonheur est de l'ordre du fantasme, s’il est un idéal de l'imagination, quel est son rapport avec autrui ?

Plan

I) Les relations interpersonnelles sont facteurs de dépendance. Celui qui fait dépendre son bonheur d'un autre s’expose à être malheureux. La recette du bonheur est dans l’ascèse et l’autarcie.
  Analyses stoïciennes et épicuriennes.
  Leurs définitions du bonheur (respectivement comme épanouissement de sa nature et absence de trouble) excluent volontairement toute intervention d'un autre que soi. Il s’agit de mettre son bonheur à l'abri du caprice des autres.
  Transition: La restriction  d'Aristote
  L’ami est nécessaire à l'actualisation en soi des facultés les plus hautes. L’ami assure aussi la perpétuation du confort matériel en cas de besoin.
II)C'est un devoir d'agir en faveur du bonheur des autres .
 

Kant :  il faut lutter contre la misère qui défigure  l'homme. L’analyse du devoir de charité.
Tocqueville : la démocratie et la conception du bonheur public

  Transition, restrictions : les mauvaises tendances à imposer sa vision du bonheur :
 

Les dérives  concentrationnaires des utopies , l’inhumanité des terroristes
le bonheur comme idéal de l'imagination

III) Le cas exemplaire: l’amour
 

Comment l’amour réduit-il les objections théoriques au fait qu'un individu puisse faire le bonheur d'un autre ?
Les mythes de complétude :   quand la moitié rencontre son autre moitié…
Mais l'autre est mon bonheur parce qu'il m'échappe toujours. Ce qu’il y a d’insaisissable en lui  nourrit avec  l’émotion amoureuse le sentiment de bonheur, car le bonheur est toujours dans la quête plus que dans la possession .

Conclusion :

S’il faut se méfier de la prétention des autres à faire notre bonheur et y voir toujours les risques d'une dépendance perverse et liberticide, l’extase amoureuse prouve que nous pouvons trouver notre bonheur dans un autre même si ce bonheur est fantasmatique et bien loin  de l’idéal de sérénité prôné par la sagesse classique.

 Affiche de cinéma Introduction

« Demande-moi ce que tu voudras, tes vœux seront exaucés. » Prise hors de tout contexte, cette formule pourrait aussi bien sortir de la bouche du bon génie d'Aladin que des lèvres envoûtantes  d’une coquette Manon.

Dans les deux cas l’enfant en nous voudrait croire qu'il sera heureux et que son bonheur réside justement dans la bonne volonté des autres envers lui. Mais l’adulte pressent déjà qu'il  sera  frustré de voir ses plus chers désirs satisfaits sans  y avoir contribué activement. Le bonheur, la sensation de ravissement  ne sont-ils pas toujours plus dans l'espoir, et dans l'action. Il semble que ce ne soit pas en donnant, ni en se donnant, qu'on fasse le bonheur d'autrui.

Mais doit-on tirer de cette analyse  la conclusion que tout souci charitable est vain et que tout effort politique pour apporter plus de bonheur aux miséreux est nul et non avenu ? Les idéologies révolutionnaires ne sont-elles de ce point de vue que des leurres dangereux ?

Après avoir évoqué le sage  et sa  méfiance vis-à-vis des dépendances  personnelles,  nous nous demanderons si le souci du bonheur des autres peut prendre la forme d'un devoir moral et politique,  puis nous explorerons le ressort amoureux afin de comprendre comment l’aimé peut faire le bonheur de son amant.

Stèle funéraire de Démocléidès à Athènes  (Détail)  IV S. Av J.-C.Le stoïcisme comme l’épicurisme  est une philosophie née de l’adversité et qui a pour cœur l'intuition fondamentale que le bonheur peut être trouvé en chacun par un effort et en retour sur soi.

Pour l’épicurien,  le bonheur est dans l'absence de douleur dans le corps et l’absence  de trouble dans l'âme. Loin d'être des adeptes  systématiques de la bonne chair, les épicuriens se méfient des dépendances affectives et alimentaires. S'ils ne refusent pas à l'occasion le plaisir d'un bon met ou d'une belle rencontre, les épicuriens sont conscients qu'ils perdront tout contrôle sur leur bonheur s'ils se mettent à dépendre de ce qui ne dépend pas d’eux-mêmes  mais des autres et des circonstances.

Le stoïcien observe dans sa conduite les mêmes règles de réserve que l’épicurien, mais sa conception du bonheur est différente : il ne réduit pas le bonheur au bien-être. Il pense le bonheur comme une  vocation. Le bonheur est dans la pleine réalisation de la nature de l’homme  qui se distingue des autres êtres vivants par sa capacité de réflexion rationnelle. L’homme ne connaît le bonheur que dans l'épanouissement de cette faculté qui lui est propre. Tout ce qui ne fait que favoriser une existence d'animal sensible est relégué au rang de « choses convenables » c'est-à-dire seulement conforme à notre nature animale mais non suffisante à l'épanouissement de notre nature spécifique d’homme. Dès lors  tout aveuglement passionnel contrariant le droit exercice de la pensée est directement opposé au bonheur. Il faut se défaire de toutes aliénations et penser  droit. Le bon exercice de la réflexion nous détache  des vicissitudes  intersubjectives  et nous fait  prendre conscience de l’enchaînement des causes  et des lois invariables de l’univers. La contemplation de l'ordre du monde assure au sage stoïcien une extase intellectuelle qui est la véritable jouissance à laquelle nous destine notre nature spécifique d'animal rationnel.

L'Ecole d'Athènes ( détail), Raphaël (1483-1520) Vatican, Chambre de  la signature Aristote avait déjà pointé l'activité théorétique comme seule compatible avec la spécificité de notre  nature mais c'était pour souligner que l’individu s'épuise dans de telles spéculations et a besoin  d'être soutenu dans son effort spirituel par la collaboration d'autres esprits, des amis (Ethique à Nicomaque livre I,9 ;1170 a) .

L’homme n'est pas fait pour la solitude. La solitude frustre l’ homme dans son instinct de sociabilité. La solitude est handicapante, pire elle est souvent  un mauvais symptôme (c'est le tyran  qui n'a pas d'amis ou le fou). De plus la solitude est angoissante : qui viendra m'aider dans le besoin si je n'ai pas d'amis?

La conception du bonheur chez Aristote fait droit aux revendications sensibles : l’homme, quoi qu'il dise, n'est pas heureux, s'il n'a pas satisfait tous ses espoirs légitimes. Ethique à Nicomaque  livre I ;11 ou encore X, 9 « on ne vit pas complètement heureux si on vit seul et sans enfant ».   

 L’ami est l’espoir d'un soutien dans le besoin comme il est réellement un soutien dans les entreprises qui actualisent dès maintenant notre puissance.

 D’ailleurs Aristote pense que si tous les hommes étaient amis, il n’y aurait  pas besoin de politique, c'est-à-dire de gestion autoritaire du partage des richesses en vue de l'intérêt général. La  relation d'amitié est tissée de générosité : entre amis, on est aussi heureux de donner que  de recevoir. La politique  tâche de suppléer  le manque d'amitié entre les hommes.

 Le développement de la conscience chrétienne  montrera que la gestion politique  doit être complétée par la charité individuelle parce que l’Etat  n'est souvent que l'instrument de domination d'une classe sur une autre.

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