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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

La religion n'est-elle qu'une consolation infantilisante ?


Sujet de dissertation philosophique proposé aux élèves de section S en devoir maison le 22 décembre 2006.


1. Détermination du problème

1.1. Définitions

La religion au sens le plus large désigne l’ensemble des faits sociaux ritualisés tournés vers une dimension surnaturelle ou métaphysique.

Une consolation permet de dépasser les chagrins et les déceptions pour « repartir ».


1.2. Forme de la question

« N’est-elle que » : la question apparaît restrictive. Il ne s’agit pas de savoir si la religion apporte aux uns une consolation infantilisante (alors qu’elle apporte aux autres quelque chose de très différent), mais de décider si elle se résume à cela.

« Consolation infantilisante » présente aussi une connotation passablement négative, pour ne pas dire brutalement polémique. Il s’agit de savoir si le fidèle se retrouve, par la consolation religieuse même, réduit à la condition de petit enfant cajolé. Plus grave, elle laisse entendre une forme d’escroquerie mentale, comme si la religion exacerbait les chagrins pour mieux les consoler, subordonnant ainsi les esprits à son autorité.


1.3. Relations entre les termes

Un sous-entendu oriente la question : avant l’expérience religieuse, l’individu rencontrerait des chagrins dont il parviendrait à se consoler dans la religion ; mais dans le même temps, elle le réduirait à un statut infantile.

Le problème se situe à ce niveau. Les chagrins dus à l’expérience (adulte) de la vie nous poussent-ils à chercher dans la religion (c’est-à-dire dans l’expérience du groupe social « soudé » dans une même croyance) une consolation immature ? La religion se résume-t-elle à cette régression volontaire des soucis de l’adulte vers les insouciances enfantines ?



2. Réponse spontanée et réponse paradoxale justifiées

Du fait même qu’elle s’oriente vers des explications surnaturelles ou irrationnelles, la religion empêche d’emblée tout recours à la raison. Elle flatte notre désir de merveilleux, et par là même nous console du désenchantement du monde, lequel constitue la racine commune de tous nos chagrins.

Au contraire, on peut soutenir que la religion en tant que fait social ritualisé entraînant des contraintes d’ordre moral accroît la responsabilité de l’individu, et ainsi, loin de l’infantiliser, non seulement ne le console pas, mais encore l’oblige à (se) donner toujours plus.

Deux remarques : primo, les questions explicitement polémiques (comme celle-ci) facilitent beaucoup la mise en tension du I et du II. De la sorte, vous pouvez vous réserver pour le III. Secundo, il peut être difficile, face à un sujet aussi connoté, de se départir de ses pratiques personnelles. Je tiens à rappeler que les opinions du correcteur ne compte pas dans l’évaluation de la copie. Un professeur athée peut couronner une copie croyante, et inversement. Votre seul souci doit être de ne pas verser dans le prosélytisme. Ni bigoterie bien-pensante et gnangnan, ni festin de curés sur le thème : « il faudrait tous les abattre. »



3. Argumentation de la thèse et de l'antithèse

3.1. Thèse : la religion nous prend vraiment pour des gamins

Parce que la croyance précède la science, parce que les « explications » surnaturelles n’expliquent en fait rien du tout, parce que les dogmes réclament du croyant une adhésion irrévocable (voir les analyses de Durkheim à ce sujet, dans ce cours), parce qu’elle commande l’obéissance du fidèle qui doit plier le genou devant le sacré, il est clair que la religion, aussi bien dans sa visée « supra-sensible » que dans sa dimension sociale normative, empêche (ou du moins neutralise) la pensée individuelle, la réflexion personnelle, l’analyse critique.

L’interruption du raisonnement au profit de représentations fantastiques  se présente comme un des modes de pensée des enfants. Confrontés à des phénomènes inconnus ou effrayants, ils leur imaginent aussitôt des causes merveilleuses. Tout au contraire, la maturité consiste à faire refluer le merveilleux dans l’imaginaire, et de l’éclipser du réel.

(Ici une remarque : dans cette partie, vous plaiderez qu’un tel reflux ne peut avoir lieu sans immédiatement entraîner un désenchantement qui, fatalement, nous déçoit ; mais ce point pourrait ouvrir lui-même sur une bonne question philosophique : « La lucidité nous conduit-elle au malheur ? »)

Il n’existe ni fantômes, ni métempsycose, ni apparitions merveilleuses, ni providence : tout ce folklore n’est là que pour impressionner les esprits faibles. Une vision lucide et mature sur le monde conduit à n’y voir qu’un système matérialiste gouverné par le hasard, la nécessité, et les probabilités. On peut sans doute s’en attrister, voire se lamenter du sentiment d’absurde qui s’ensuit : mais y chercher une consolation dans la religion, revient à céder à des désirs régressifs pour retrouver, dans la chaleur englobante des cercles où tout le monde pense en rond, quelque chose du giron maternel. Hou ! les bébés !

Marx résumera cette idée et la transformera en revendication politique lorsqu’il écrira : « la religion est l’opium du peuple » (voir aussi ce cours). Bien conscients de la déception que porte le monde contemplé en face, qui ruine toutes nos attentes enfantines, les prêtres ont compris qu’en flattant ces mêmes attentes, en nous y faisant goûter une nouvelle fois, ils tenaient là le moyen de brider les individus et de les soumettre.

On pourrait même penser, dans cette droite ligne, comme l’a exprimé brillamment Marie-Astrid (bonus !), qu’au fond la religion n’attire que les faibles, l’existence des athées montrant assez que la religion n’a rien d’essentiel. Il s’agit tout au plus d’une béquille pour pauvres types.


3.2. Antithèse : le moment religieux détermine une étape fondamentale dans l’accès à la maturité

Réduire la religion à cette seule infantilisation dénote une profonde méconnaissance du fait religieux. Certes, la religion propose une réponse surnaturelle à « l’expérience de la finitude » (comme l’a si bien écrit Juliette, bonus !) ; mais elle ne peut la proposer qu’à des croyants habités par la foi ; or justement, une consolation n’est nécessaire qu’à celui qui manque de foi. Si le fidèle est certain de la providence divine, de la survivance de l’âme et de la résurrection de la chair, alors il n’a peur de rien. Tout ce qui lui arrive lui convient, puisqu’à ses yeux Dieu l’a voulu dans sa sagesse et sa toute-puissance. Plus le croyant croit profondément, moins il a besoin de consolation. Il est donc pour le moins paradoxal de réduire la religion à cette « consolation ».

De plus, la religion s’accompagne, en tant que phénomène social, de préceptes éthiques qui tendent à accroître la responsabilité individuelle. La prohibition de certaines conduites, les interdits alimentaires, les tabous de toute nature, obligent l’individu à respecter des limites et des autorités : on peut alors accorder à la religion un rôle moralisateur capital pour faire sortir les sociétés de la barbarie et de la violence. Qu’on compare à cet égard la brutalité qui domine encore Caïn et Abel, avec le Décalogue rapporté par Moïse. Loin d’ailleurs de se résumer à une série d’illusions inventées pour les besoins de nos angoisses humaines, la religion, comme l’explique Durkheim, constitue en fait le ciment le plus profond et le plus subtil de la société. Elle possède alors un rôle politique de première importance, et peut-être a-t-elle été nécessaire pour conférer à la loi sa force exécutoire.

Enfin, on pouvait souligner la pratique, presque universelle, de l’examen de conscience. Un très grand nombre de religions le pratiquent sous des formes diverses (confession, méditation sur ses propres « chakras », etc.). Ce retour sur soi, cette prise de conscience de soi, implique un regard critique sur ses propres actes, sur ses propres pensées, sur ses propres inclinations. Ce n’est pas un hasard si un prototype de « cogito » se trouve déjà chez saint Augustin. Très loin de nous « consoler », la religion aurait peut-être même tendance à nous culpabiliser !



4. La synthèse

Comme d’habitude, plusieurs III pouvaient être tracés.

1) Tout d’abord, on pouvait solliciter Nietzsche et rappeler qu’une illusion ou une consolation, même infantilisantes, peuvent s’avérer utiles à la préservation de la vie. On pouvait alors finir en disant que la religion est peut-être une consolation infantilisante, mais que cela ne suffit pas à instruire à charge contre elle, car il est peut-être très bon de disposer d’une telle consolation, dans certains cas.

2) Une autre piste intéressante consistait à distinguer les religions (qui ne se présentent pas exclusivement comme des consolations infantilisantes) des sectes (qui, elles, s’appuient justement sur ce besoin des adeptes pour les pressurer financièrement et les écraser psychologiquement).

3) On pouvait encore présenter la religion comme vecteur de sens, qui joue au niveau symbolique. Dans ce sens, il est clair qu’elle accorde des dimensions « infantilisantes », si l’on veut, à des phénomènes naturels parfaitement explicables sans elle ; mais d’une part il faut se demander si l’humain peut vraiment se passer de symboles, ou si le monde symbolique n’est pas son univers par excellence (surtout en tant qu’animal de paroles) ; et d’autre part, si effectivement la religion se présente d’abord comme source de sens, il s’ensuit qu’elle peut sans doute s’analyser comme une consolation infantilisante ; mais qu’on ne saurait la réduire à cela.

4) Une dernière approche pouvait s’appuyer sur le positivisme d’Auguste Comte et sur la philosophie analytique du Cercle de Vienne. Un esprit mature doit rejeter la religion et la métaphysique, non pour des motifs moraux ou politiques, mais pour des motifs linguistiques. Comme l’explique Wittgenstein, on ne peut littéralement rien dire en métaphysique parce qu’elle ne s’exprime pas en énoncés vérifiables. Drapée dans les brumes de l’indécidable, elle se dissipe sitôt qu’on tente de la saisir et se manifeste en se voilant. Dès lors, il s’agit bien d’une consolation infantilisante en cela que n’importe qui peut bien lui faire dire n’importe quoi : elle ne renvoie le fidèle qu’à ses propres fantasmes et à ses propres angoisses.

Post-scriptum : Charles a mentionné Alexandra David-Neel, une des femmes les plus extraordinaires de tous les temps, et cela lui a valu un petit bonus ; mais je ne me souviens plus à quel propos il l’a citée. S’il pouvait me rafraîchir la mémoire… Merci d’avance.

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