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Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Le Labyrinthe - souffle des temps.. Tamisier..

Souffle et épée des temps ; archange ; prophéte : samouraï en empereur : récit en genre et en nombre de soldats divin face à face avec leur histoire gagnant des points de vie ou visite dans des lieux saint par et avec l'art ... soit l'emblème nouvau de jésuraléme.

Le développement technique peut-il être un facteur d'esclavage ?


Sujet de dissertation philosophique proposé aux élèves de section S en Baccalauréat blanc le 31 mars 2007.

Dix-huit candidats ont traité le sujet, donnant lieu à un relatif échec puisque la moyenne ressort à 07,25. La meilleure copie atteint 15, la plus mauvaise ne recueille que 03. L’explication de ces résultats médiocres se dévoile dès les premiers pas du travail, comme on va le voir tout de suite.


1. Détermination du problème

1.1. Définitions

D’une manière générale, les copies comprennent bien la notion de « développement technique ». Souvent assimilé au « progrès technologique » (identification contestable, mais qu’on peut admettre en Terminale), il s’associe correctement, dans l’esprit des élèves, à l’ensemble des productions humaines, notamment les machines, les outils, les appareils électroménagers ou encore les équipements électroniques. En revanche, il n’est jamais fait mention des techniques au sens littéral du terme, c’est-à-dire des savoir-faire (sans « s », même au pluriel) qui ne se concrétisent pas dans un objet matériel. Personne par exemple n’a évoqué la « technique » du chirurgien, ni celle du rémouleur, encore moins celle du peintre ou de la dentellière. Il s’ensuit déjà une réduction assez regrettable, mais excusable, de l’horizon des copies.

L’esclavage désigne la condition d’une personne humaine lorsqu’elle se trouve sous l’autorité absolue d’un maître, donc entièrement privée de droits et de libertés. Aucune gratification salariale ni politique ne s’ensuit du labeur souvent éreintant auquel l’esclave se voit attelé par le caprice du maître. Aussi la servitude paraît-elle aujourd’hui incompatible avec la dignité humaine. Il fallait se rappeler le crime odieux que constitue la traite des êtres humains pour saisir le sujet dans toute sa dimension.

Parce qu’il n’existe officiellement plus d’esclavage en France (les faits sont moins riants, voyez ici), ce préalable requerrait sans doute, pour des élèves de Terminale en 2007, un réel effort d’imagination. Le plus souvent, il n’a pas été fourni. De là, un affaiblissement, voire une dissipation du problème, en raison de transcriptions brouillonnes et d’approximations impardonnables, qui ont versé, sans coup férir, jusque dans le ridicule et dans l’atroce.

La plus courante confondait esclavage et dépendance « simple ». J’ose espérer que, si vous êtes dépendants de vos parents sous les rapports financiers et moraux, ils se distinguent quand même des Thénardier et que vous ne subissez pas les mêmes humiliations que Cosette ! D’autres confondaient esclavage et fatalité, ou destin. Une autre confusion fréquente identifiait l’esclave et le prisonnier, l’esclave et le malheureux, voire l’esclave et le dépressif ! Dans un cas au moins, l’esclave a été identifié à l’égoïste au motif que celui-ci est « esclave » de ses passions. Enfin, comble du délire, au moins six copies ont affirmé ou laissé entendre que, dans la mesure où ils sont privés de la liberté de travailler, le chômeur et l’inactif sont des esclaves ! On croit rêver ! Peignez-vous un instant un champ de coton en Alabama en 1830. Voyez-vous vraiment beaucoup d’oisifs parmi les esclaves ? Enfin, dans le pire des cas, une lecture complètement viciée du problème a atteint l’obscène : en assimilant hâtivement la liberté à la recherche du bonheur, entendu comme Souverain bien, une copie a fini par suggérer que nous étions esclaves du bonheur. Je souhaite à ce candidat de ne jamais connaître la servitude : il risque d’être surpris.

Il est clair qu’un usage dérivé du mot « esclave » explique, au moins en partie, ces dérapages : on peut parfois dire de quelqu’un, par exagération, qu’il est « esclave du tabac » ; mais on sent bien qu’il s’agit d’une hyperbole car le fumeur n’est tout de même pas privé de son droit de vote, de son droit à une rémunération, de son droit de grève.

Il était tout à fait légitime de traiter la question dans ce sens « dérivé » du mot ; mais dans ce cas, il fallait au moins signaler cet emploi « second » ou « métaphorique » (la meilleure copie a pris cette précaution). Je veux signaler cependant, même si aucune copie ne s’y est risqué, qu’on pouvait aussi traiter le sujet en prenant « esclavage » dans son acception première, et réussir de la sorte une dissertation très différente de ce qui m’a été donné de lire.

Une dernière remarque : sept copies ne définissent explicitement aucun des deux termes. Dans de tels cas, cerner le problème se présente presque comme une mission impossible. Voyez pourquoi dans les conseils de méthode.


1.2. Forme de la question

« Facteur » d’esclavage. La question était précise. Il ne s’agissait pas de prouver par a + b que le développement technique induit nécessairement l’esclavage (ce n’est évidemment pas le cas), mais bien de savoir s’il pouvait, combiné à d’autres éléments, déboucher à terme sur l’esclavage. La meilleure copie a distingué « facteur » et « cause » : elle était la seule. On était pourtant en droit d’attendre de scientifiques que de telles distinctions fussent parfaitement maîtrisées.


1.3. Relations entre les termes

La double signification du mot « esclave » autorisait deux types de mise en relation entre les termes.

- dans la lecture « extensive », où « esclave » s’entend au sens de « totalement soumis à une personne, une chose ou une passion », il s’agissait de se demander si le citoyen normal peut, tout en conservant ses droits, se retrouver dépendant de son environnement technologique quotidien. Dans la mesure, pourtant, où des générations entières ont vécu (et bien vécu) en se passant fort bien de ces machines, on ne voit pas à première vue ce qui pourrait menacer la totale liberté de l’humain dans un choix éventuel de renoncer en bloc à toute la « technosphère ». La seule raison qui pourrait laisser suspecter une difficulté serait à rechercher dans l’hypothèse où, insidieusement, l’humain aurait perdu malgré lui la possibilité effective de couper l’alimentation des machines. En somme, que l’habitude aidant, le renoncement à la technologie ne soit plus une éventualité envisageable pour lui. On voit ainsi que le problème se situe moins au niveau du besoin physiologique qu’au niveau de l’autonomie de la pensée.

- dans la lecture « rigoureuse », où « esclavage » s’entend stricto sensu comme « privation de tous les droits », la relation s’entendait de manière un peu différente ; car à l’évidence, un tel esclavage se présente exclusivement comme une relation interpersonnelle entre deux individus humains, l’un prenant la figure du maître, l’autre celle de l’esclave. Un ensemble de machines ne paraît pas apte à entrer dans une relation d’esclavage (même à titre d’esclave), puisqu’il n’est pas une personne (une copie s’en est avisé : bonus !). Le seul moyen de comprendre le sujet était alors de recentrer la question sur le mot « facteur », en indiquant qu’il n’est bien sûr pas question de nous demander si les robots vont se révolter contre nous, mais plutôt si les machines constituent une pièce maîtresse dans les rapports de force entre des nantis « maîtres » et leurs « esclaves » modernes. Il convenait alors de situer le problème au niveau des conditions de travail en tant que génératrices (ou non) de droits politiques convenables. Je ne proposerai pas de corrigé intégral de cette lecture « serrée » du sujet : j’en dis seulement ici quelques mots.
 


2. Réponse spontanée et réponse paradoxale justifiées

Par définition, le progrès technique libère. Cette libération est même son motif, son but, et son moteur. On ne voit pas comment il peut être facteur d’esclavage.

La réponse paradoxale consiste à montrer que cette libération s’effectue par le biais d’une puissance technologique accrue ; l’habitude de cette puissance pourrait nous empêcher d’imaginer ce qui se passerait si nous devions nous en passer.



3. Argumentation de la thèse et de l'antithèse

3.1. Thèse : la technologie nous libère

Le plus souvent, les copies ont assez bien argumenté cette partie. Je passe donc sans m’y appesantir : il était en effet assez simple de montrer que la technique a permis de supprimer les tâches les plus ingrates et les plus dures, les réservant aux machines, pendant que d’autres outils nous permettent aujourd’hui des prouesses qu’on n’aurait même pas imaginées voici seulement cent cinquante ans (personne n’a cité l’avion, et je le regrette, tant cette invention avait été jugée « impossible »). Plusieurs copies ont mentionné le lave-linge et Internet. Soit ; mais d’autres exemples pouvaient aussi venir à l’esprit, plus parlants peut-être, et moins banals. Ainsi l’assolement triennal, le tournevis, le moulin à eau, la boussole, le joug à bestiaux, le métier à tisser, l’imprimerie, le marteau-piqueur, la grue, le tout-à-l’égout… (Je déplore quand même que cinq copies n’aient mentionné aucun exemple de technique.)

Deux copies seulement se sont avisées d’une remarque ô combien juste : ce sont justement les sociétés industrialisées qui ont aboli la traite des êtres humains, et qui l’ont incriminée de manière sévère. Cette idée leur a valu un bonus.

Je tiens encore, ici, à signaler la meilleure copie qui a su préparer l’antithèse dès la première partie du devoir, en situant le problème au niveau pertinent. En effet, ce candidat a signalé tout de suite que, non contente d’amoindrir nos fatigues, la technique nous libère l’esprit. Aussi par la réflexion gagnons-nous en sens critique et en culture générale, donc en faculté de choix, En posant en préalable à la pleine liberté l’existence d’une pensée elle-même nuancée, informée et libre, ce candidat s’assurait tout de suite une antithèse solide.

Un point d’érudition philosophique. Il n’existe rien de tel que des « références obligatoires » ; mais Descartes (Discours de la méthode, VI) et son idée de devenir par la technique « comme maîtres et possesseurs de la nature » pouvait ici fournir un coup de pouce appréciable ; de même Bacon et son utopie scientiste (La Nouvelle Atlantide) qui imagine les OGM dès le XVIIè siècle. Ni l’un ni l’autre n’ont été mentionnés, à mon grand regret.


3.2. Antithèse : la dépendance à la technique

La fallacieuse impression de puissance que donne le progrès technique comporte un risque « d’acclimatation » à l’existence de ce progrès. S’ensuit alors un étrange phénomène que Rousseau (cité par une seule copie, hélas !), en son temps, avait déjà signalé : les commodités dégénèrent en « vrais besoins, si bien qu’on [est] malheureux de les perdre sans être heureux de les posséder. » (Discours sur les fondements de l’inégalité parmi les hommes, voir ce cours).

Bien des copies ont mentionné ce risque, mais sans jamais élucider les problèmes suivants, tout de même très gênants.

- Comment un « nouveau besoin » peut-il apparaître ? Au point de vue physiologique, nous n’avons pas évolué depuis l’époque de Rousseau, ni même depuis l’époque de Lascaux. La ration calorique quotidienne n’a guère varié depuis le Moyen-Age (autour de 2900 kcal), nous respirons toujours à peu près une quinzaine de fois par minutes et notre cœur bat à peu près à 80 pulsations par minute. Dès lors, la notion de « besoins secondaires » chère aux économistes et aux sociologues a-t-elle le moindre sens ?

- Supposé même que de « nouveaux besoins » puissent naître, il est clair qu’ils nous obligent à les satisfaire ; mais ce souci nouveau peut-il vraiment apparaître comme un « esclavage » ? Les copies qui prétendent abruptement que « nous ne pouvons pas nous passer de la technique » vont un peu vite en besogne car d’une part cela n’est vraisemblablement pas vrai (il suffit d’essayer, et l’on se passe fort bien de presque toutes les « commodités », si l’on accepte de vivre de manière un peu spartiate ; du reste, à brève échéance, nous n’aurons peut-être pas le choix : voyez ici) ; et d’autre part, même si c’était vrai (par exemple pour un malade dans un poumon d’acier), le fait que nous soyons sous la dépendance physique d’un objet technique sous risque de mort ne nous rend pas pour autant son esclave (ainsi les porteurs de pacemakers).

Un autre choix d’argumentation fréquent a été relevé : il s’agissait, Marx à l’appui, de dénoncer la « chaîne » industrialisée de Taylor et Ford, où, prétendait-on, l’ouvrier devenait le serviteur de la machine, laquelle commandait son rythme de travail et ses moindres gestes. La référence méritait sans doute de figurer dans les copies ; mais il fallait tout de même se demander si la chaîne elle-même était effectivement en cause, ou s’il ne fallait pas plutôt en vouloir à l’inventeur (humain) de telles conditions de travail ; car dans ce cas, la chaîne n’est (comme tous les autres objets techniques) que le moyen de l’exploitation, et non son organisateur ; mais à ce stade on retrouve le problème posé par une lecture « serrée » du sujet (voir ici). Pour rappel, chez Marx, le travail constitue une activité normalement épanouissante : ce n’est que dans certaines conditions précises d’exploitation qu’il devient aliénant (voyez ce cours, et ce cours).

La plupart des copies livrèrent des antithèses superficielles, et surtout hors sujet puisqu’elles ne répondaient pas à la question, faute d’avoir clairement établi un lien solide entre progrès technique et esclavage.

Le seul moyen de relier l’un à l’autre supposait qu’on ait préparé le terrain dès la thèse et qu’on ait prévu dès la thèse que l’antithèse allait se jouer au niveau de la pensée ; car en effet on pouvait argumenter en signalant que si la liberté requiert d’abord une pensée libre, alors la technique, en exigeant que nous accumulions des connaissances et des compétences techniques spécifiques (l’informatique est devenu en quelques dizaines d’années un corpus de connaissances gigantesque), la technique nous « force l’esprit »… et cela prélude à nous « forcer la main ».



4. La synthèse

Le sujet autorisait en III plusieurs pistes de recherches assez différentes les unes des autres.

1) Une copie a eu l’excellente idée de montrer les limites inhérentes à la technique : ainsi, puisque l’humain a inventé la technique, dans un sens il dispose toujours d’un « coup d’avance » sur elle, et peut vraisemblablement garder son indépendance face à elle (bonus !). Cette même copie s’avisa de ce paradoxe que l’humain crée la technique pour moins travailler, et qu’il est prêt à travailler très dur pour cela ! Elle finissait enfin en montrant que seule l’intelligence et l’ingéniosité peuvent nous permettre de nous soustraire à un esclavage… et l’auteur s’arrêta net, à mon extrême désespoir ! car l’existence même de la technologie prouve par l’évidence que l’humain jouit de cette intelligence et de cette ingéniosité ! Pour ces pistes de recherche originales et pertinentes, j’ai mis une bonne note à cette copie alors qu’elle ne citait aucune référence philosophique (comme quoi, c’est possible !).

2) Dans un esprit similaire, mais à rebours de cette vision optimiste, on pouvait s’interroger sur l’étrange statut de la technique qui se propose toujours de libérer l’humanité et de facto échoue toujours, voire dévie très loin de cet objectif initial. Comment interpréter ce ratage complet ? Il existe un paradoxe dans la mesure où l’on peine à comprendre comment un développement quelconque peut nous réduire en esclavage ; l’un des moyens pour l’expliciter consistait à noter, dans une perspective quasi hégélienne, que l’objet technique apparaît à une certaine époque, pour répondre à certaines exigences ; s’il perdure au-delà de cette époque, il contraint en quelque manière les générations nouvelles à penser « à la manière » des générations précédentes. Dans l’objet technique, en condensé, c’est les époques passées qui s’imposent sous nos yeux. Elles nous rattrapent in concreto ; or une telle puissance du passé dans le présent réduit la liberté, toujours tournée vers le futur (voyez les thèses de Bergson et, contra, celles de Sartre).

3) Une piste de recherche très différente pouvait remarquer une fine distinction entre liberté authentique et sentiment de la liberté… qui n’est peut-être pas incompatible avec un esclavage réel. Se sentir libre n’implique pas qu’on le soit : n’importe quel adolescent le découvre lorsqu’il repense à son enfance et remarque soudain le poids de l’autorité parentale dont il ne s’était jusque-là pas rendu compte. On pouvait montrer que la technique, tout en favorisant l’esclavage, provoque en même temps ce sentiment fallacieux de libération.

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