Commentaire d'un texte de Pascal sur le temps

 

Niveau terminale Littéraire,

Voici le texte :

 

L'homme ne s'en tient jamais au temps présent. L'incapacité de l'homme à vivre au présent, ne tient pas tant à une incapacité de vivre l'instant qu'à une attitude de fuite : l'homme se noie dans le souci du lendemain, dans les projets, pour n'avoir pas à regarder le caractère misérable de son existence.

     Nous ne tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt ; si imprudents, que nous errons dans des temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui en sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afflige ; et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.

    Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons point au présent ; et, nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitables que nous ne le soyons jamais.

 

Blaise Pascal, Pensées (1670), fragment 172.

 

Le commentaire

 

       On pourrait penser que le temps est ce que nous indique nos montres, mais qu’en est-il en réalité ?

 

En fait, tout ceci, montres, horloges et autres inventions, ne sont que des représentations que l’on a du temps.

D’ailleurs le temps pour les philosophes est un problème très complexe, il est presque indéfinissable. On peut retenir pour le prouver, une phrase de St Augustin, qui répond quand on lui demande une définition ;

        « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus. » (Confessions)

 

Le temps est sûrement inexplicable car il n’est pas réel, je ne peux pas le toucher comme je peux toucher un objet quelconque.  Le temps est insaisissable, pour une raison simple ; le temps est en nous.

Tous le monde a du « temps » plein la tête, ce sont nos souvenirs et nos imaginations, nos rêveries. C’est d’ailleurs ce que nous reproche Pascal dans son texte, on peut ici citer cette phrase ;

        « Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. » (Pensées)

 

Et, c’est aussi St Augustin qui a proposé une solution au problème du temps, et qui est la suivante ;

        « Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du futur et le présent du présent. »

(Confessions)

St Augustin désigne comme présent, le temps de la pensée, c’est-à-dire que quand je pense au passé ou à l’avenir, je suis toujours au temps présent, le temps dans lequel je pense toujours.

 

Le présent est donc le seul temps qui est une vraie importance, c’est ce que nous montre aussi Pascal tout au long du texte, et que le passé  et le futur ne sont que pures représentations.

 

Aussi dans ce texte Pascal veut nous monter que les Hommes se servent du passé et du présent « comme moyens », pour atteindre l’avenir, qui est leur « fin », et que ceci rendra inévitablement leur existence malheureuse.

 

Mais le temps est-il toujours source de malheur ?

Spinoza, dans l’Éthique, nous montre certes, que les images d’évènements passés et futurs peuvent nous rendre malheureux, Mais peuvent nous rendre aussi heureux.

 

Et alors, nous ne pouvons pas nous servir de notre passé, des choses que l’on a vécu auparavant, comme force, pour nous enrichir ?

 

Spinoza, encore, nous dit le contraire ;

        « Quand l’âme imagine ce qui domine ou réduit la puissance d’agir du corps, elle s’efforce, autant qu’elle peut, de se souvenir de choses qui excluent l’existence de ce qu’elle imagine. » (Éthique, PROPOSITION XIII)

 

C’est-à-dire que l’âme peut utiliser le passé pour lutter contre le présent qui fait souffrir, et donc rendre l’existence de l’Homme, peut-être pas heureuse, mais plus agréable.

 

Ainsi, nous distinguons dans ce texte trois grandes parties, la première dans laquelle il nous montre que l’homme fuit le présent, la deuxième, où il nous explique pourquoi nous sommes incapables de vivre dans l’instant, et dans la dernière, il nous montre les conséquences que cette attitude a sur la vie des Hommes.

 

 

 

 

        Dans la première partie, Pascal commence tout d’abord par une constatation ;

        « Nous ne nous tenons jamais au temps présent. »

C’est-à-dire que tous les Hommes n’arrivent pas à vivre constamment au temps présent, il y a toujours quelque chose qui nous en empêche.

Puis il analyse son idée, il l’a développe, l’Homme cherche toujours à s’imaginer l’avenir, il s’en fait une représentation, comme s’il voulait le faire venir plus vite, comme quand les enfants ouvrent chaque matin une petite case du calendrier de l’avent, avec l’impression que Noël approche de plus en plus vite, comme pour « hâter la cour du présent. » Et on se rappelle le passé, comme quand on voit notre vie défiler devant nos yeux, quand il nous arrive quelque chose de grave, un accident par exemple, pour avoir l’impression « d’arrêter » le présent.

En fait, nous pensons tout le temps soit au passé, dans lequel on se revoit faire certaine action, soit au futur, dans lequel on s’imagine faire quelque chose, et nous négligons le seul temps qui nous « appartient » vraiment ; le présent. Si bien qu’au bout du compte, nous ne pensons « qu’à ce qui n’est plus rien », c’est-à-dire au passé. L’homme fuit constamment le présent et se réfugie dans le passé ou le futur.

 

 

 

 

         Dans la seconde partie, l’auteur nous donne une explication de cette attitude de fuite en vers le présent, c’est qu’il nous « blesse », sûrement parce qu’il nous prouve que tout ce que l’on a vécu auparavant, nos souvenirs ne sont plus rien à part des souvenirs, et que le futur n’est qu’une imagination de ce que l’on aimerait bien être, mais que l’on ne sera probablement jamais. Il nous « afflige » probablement parce qu’il nous rappelle que notre vie n’a qu’un caractère misérable et nous le « cachons à notre vue », et donc nous nous cachons aussi la vérité à nous même.

De même que quand l’on vit un moment agréable au présent, il devient tout de suite passé mais nous regrettons le voir filer sans pouvoir rien faire, notre attitude de fuite nous amène à ne pas apprécier les bons moments que l’on pourrait avoir au temps présent.

« Nous tâchons de le soutenir par l’avenir », c’est-à-dire que nous nous imaginons des bons moments à vivre dans l’avenir, pour essayer de ne pas voir le présent, et nous imaginons aussi ayant des choses qui ne sont pas « en notre puissance » un peu comme pour ce préparer à les recevoir, comme quand un élève de terminale s’imagine avoir le bac et s’imagine aussi tout son parcourt qui suivra après, mais rien n’est sur, car il n’a « aucune assurance d’y arriver », en effet il peut mourir demain ou ne jamais avoir son bac ainsi tout ce qu’il aura imaginé n’arrivera jamais.

 

 

 

 

        Et dans la dernière partie, l’auteur commence à constater un fait qui concerne tous les Hommes ;

 « Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. »

Dans les pensées de tout individus il a du « temps », c’est-à-dire des souvenirs, ou des imaginations, c’est quelque chose d’universel, et même les gens qui ont perdu la mémoire peuvent encore s’imaginer leur avenir.

Il est vrai que personne ne pense réellement au présent est que si nous y pensons, ce n’est que  « pour en prendre la lumière », c’est-à-dire voir où en est notre vie dans son caractère misérable, et ainsi mieux s’imaginer un avenir heureux.

Ensuite l’auteur nous divulgue les idées principales du texte, qui sont que le « présent n’est jamais notre fin », on ne vise jamais de vivre au jour le jour, mais que le présent par contre et le passé sont nos « moyens », c’est-à-dire que l’on se sert de ce que l’on a vécu au passé et de ce que l’on vit en ce moment même, au présent, pour atteindre l’avenir, qui est notre « seule fin ». En effet l’Homme ne cesse de faire des projets pour l’avenir, il ne vit que dans le souci du lendemain.

Ainsi, nous nous imaginons toujours vivre une vie meilleure, mais nous la vivons jamais, et de même que nous nous  « préparons » à être heureux, en nous l’imaginant dans le futur, mais « il est inévitable que nous ne le soyons jamais », alors notre vie gardera toujours un caractère misérable.

 

 

 

 

Mais, dans ce texte plusieurs choses peuvent être mise à l‘épreuve.

« Ainsi, le temps ne pourrait nous rendre que malheureux ? »

« Et l’Homme le serait tout au long de sa vie ? »

 

Pourtant Spinoza, dans l’Éthique, veut nous démontrer que les hommes peuvent être heureux grâce à la bonne maîtrise de leurs passions et aussi grâce au passé, ou plus généralement au temps.

En effet, Spinoza admet que le passé peut nous faire souffrir, si on y a vécu des passions telles que la haine ou la tristesse, mais il peut aussi nous rendre heureux, comme nous le prouve une de ses citations ;

        « Par cela seul que nous imaginons que quelque chose a quelque trait de ressemblance avec un objet affectant habituellement l’âme de joie ou de tristesse, et bien que le trait par lequel cette chose ressemble à cet objet, ne soit pas la cause efficiente de ces affections, nous aimerons cependant cette chose ou nous l’aurons en haine. » (Éthique, PROPOSITION XVI)

 

C’est-à-dire que si nous avons dans le passé connu des passions telles que la joie, le désir ou l’amour, qui nous apporte du plaisir, avec un objet particulier, et bien un autre objet qui lui ressemblera, nous produira le même plaisir, mais au présent, et ce sera de même dans le futur. Ce phénomène se nomme l’association d’idées.

 

 

Et aussi nous avions déjà vu une autre objection de Spinoza, qui dit ;

        « Quand l’âme imagine ce qui diminue ou réduit la puissance d’agir du corps, elle s’efforce, autant qu’elle peut, de se souvenir de choses qui excluent l’existence de ce qu’elle imagine. » (Éthique, PROPOSITION XIII)

 

C’est-à-dire que l’âme peut utiliser des événements, des actions de notre passé pour essayer de rendre le présent, qui peut faire souffrir, plus agréable, donc lutter contre le caractère misérable de nos vies, qui ne seront alors pas toujours malheureuse.

 

 

 

 

        Dans ce texte Pascal nous montre que les Hommes fuient le présent, car il nous « afflige » et nous mets face au caractère misérable de notre vie. Alors nous nous réfugions dans des « temps qui ne sont pas notre », à entendre par-là le passé et le futur. Ainsi nous utilisons le passé et le présent « comme moyens « , pour atteindre l’avenir, et nos vies n’en sont que plus malheureuses.

Mais nous avons vu Spinoza, qui oppose à cela, l’association d’idées, qui nous fait revivre les bons moments de notre passé, mais parfois les mauvais moments. Nous avons vu aussi que si l’Homme maîtrise pleinement ses passions, il pourrait avoir une existence agréable, et non misérable.

 

Merci à P.G. pour ce corrigé.