Tout est-il matériel ?

Un corps matériel est un objet, occupant à chaque instant un certain secteur de l'espace tridimensionnel. L’électricité, les livres, les meubles, notre corps lui-même et tant d’autres éléments font parties de cette espace tridimensionnel et nous laissent supposer la densité de l’adjectif « matériel ». Il est vrai qu’au premier abord, cette adjectif définit un élément formé de matière, qui existe, avec lequel on peut avoir un contact physique, donc réel. Il décrit en général les objets naturels que le travail de l’homme transforme en vue d’une fin. Mais il peut tout aussi définir le corps, réalité matérielle, par opposition à l’âme et à l’esprit. Ce corps qui existe, que nous pouvons toucher, sentir, à travers lequel nous occupons un certain secteur de l’espace tridimensionnel. Or, nous pouvons tout aussi considérer l’âme et l’esprit comme une création de la nature, de l’univers ; et comme telle, elles peuvent être définit comme un corps matériel à travers certains outils, tel le langage. Ainsi, serait il possible que tout soit matériel ?

La question porte donc sur l’univers (le tout) et le matériel. Mais que représente exactement ce « tout » dont nous parlons? La définition de l’adjectif « matériel » est-elle si complexe qu’on le pense? En fin de compte, tout est-il matériel?

L’art, l’histoire, l’esprit, la religion, la nature, la culture, la société, la politique, les sciences, le temps, le travail… voilà ce qui fait notre monde, voilà ce qui représente notre « tout ». Tant de notions à étudier, à analyser pour définir notre univers complexe. On centralisera ici notre réflexion sur la société qui nous entoure, et qui est principalement menée par deux croyances distinctes : la religion et la science.

En effet, le matérialisme s’est développé en grande partie en réaction aux dogmes religieux. En particulier à deux idées que la religion a diffusées : tout d’abord, que l’homme est au centre de l’univers, le sommet de la création ; puis qu’il existe des mystères inaccessibles à la raison humaine et que celle-ci doit s’effacer devant la foi ou devant la parole du clergé. On peut remarquer une contradiction entre ces deux idées : en effet, si Dieu a donné une telle place à l’homme, pourquoi n’a-t-il pas rendu sa connaissance universelle ? S’il est le centre de l’univers, pourquoi reste il des choses qui lui sont inconnues ?

D’un autre côté, les scientifiques s’opposent à ces idées religieuses. « Loin d’être le centre de l’univers, l’homme est, métaphoriquement parlant, un peu de moisissure perdue sur une planète quelque part dans l’univers » (Galilée), « et que la pression de la sélection naturelle a muni d’un cerveau » (Darwin). Les scientifiques contestent la présence de toute divinité dans certains phénomènes vécus. Ils considèrent qu’il existe une explication réelle et donc matérielle dans chaque phénomène de la vie, qu’il n’y a aucun mystère inaccessible, bien qu’ils n’aient pu expliquer toutes les manifestations de l’univers. On peut noter chez certains scientifiques l’appréhension d’admettre que la raison peut posséder ses limites, que la sélection naturelle n’explique pas tout et qu’il faille invoquer l’action d’une divinité.

Il est vrai que très souvent le discours religieux procède de la façon suivante : on part de problèmes qui ne sont pas résolus par la science, et on en déduit que la solution est divine, et qu’il ne faut point tenter de définir certains mystères.

La religion et la science, qui représente donc le tout que nous essayons de définir, s’opposent. En effet, d’un côté la religion pense qu’il existe certains mystères inexplicables de l’univers que l’homme, centre de l’univers, ne doit pas tenter d’éclaircir. Puis d’un autre côté, la science pousse les limites des mystères afin de mieux comprendre l’univers. Ils cherchent à démontrer que tout mystère est accessible et donc matériel, afin de définir ce « tout » que nous connaissons peu.

Mais, le matériel est-il si difficile à cerner ? Le concept du corps matériel tourne entièrement autour du statut de l'espace. L'espace est tantôt une partie intégrante, tantôt une simple détermination de la matière. Il est parfois identifié à l'objet même, et parfois considéré comme une condition subjective de l'appréhension d'objets sensibles.

Chez Aristote, la matière est radicalement distinguée de la forme et de ses rapports spatiaux; c'est la surcharge à la matière première d'une forme pensée comme extérieur qui lui confère une extension tridimensionnelle et un volume, et qui en fait un corps. Le volume est donc considéré comme une simple détermination de la matière; seul son second rang dans la liste des catégories (juste après la substance), vient signaler la priorité qui lui est accordée. Certains ont accentué cette extension spatiale en l'élevant au premier rang (substantiel) de l'échelle catégoriale.

Chez Jean Philopon l'itinéraire de pensée conduisant d'une étendue détermination à une étendue sujet est le plus facilement lisible. Dans ses premiers travaux (vers 517), Jean Philopon suivait Aristote à la lettre en qualifiant la matière de premier sujet et en admettant que les dimensions spatiales ne constituent qu'une "couche fondamentale de propriétés" quantitatives sur laquelle se greffe la couche ultérieure des propriétés qualitatives. Une douzaine d'années plus tard, le même auteur recommande pourtant de ne pas considérer l'extension tridimensionnelle comme propriété de la matière mais comme premier sujet; désormais, c'est cette extension même qui sera appelée matière première. L'extension tridimensionnelle devient donc substance ou essence. La matière n'est plus ce qui peut être doté d'extension mais ce qui est d'emblée étendu; elle n'est plus dépendante du corps mais tend à s'identifier aux corps.

D’un autre côté, les nombres, les sensations, l’information, le neutrino ou la fonction d’onde font-ils partis de la matière ?

Prenons par exemple une thèse typiquement matérialiste, à savoir que les états mentaux (les sensations) sont réductibles à des états physiques (du cerveau). D’une part, il semble évident qu’une description physique du cerveau, en termes de neurones ou de connexions entre ceux-ci, ne nous dit pas ce qu’est la douleur ou les autres sensations et qu’on ne les connaît qu’en les ressentant, de l’intérieur d’une certaine façon. D’autre part, il n’est pas douteux qu’il existe une relation entre états mentaux et états physiques. On peut décrire cette situation en disant que le mental se réduit au physique, mais il faut se rendre compte qu’en disant cela, on ne fait que définir implicitement ce qu’on entend par " réduction ".

Aussi, on peut dire que grâce à la technique, le réel est transformé selon les exigences de la raison. Bachelard posa en plus la réciprocité du rapport entre raison et réel, la raison est elle-même concrétisée : « les instruments ne sont que des théories matérialisées ». Par exemple une règle graduée est l’instrument de base du mathématicien : est elle finalement la réalisation concrète d’un principe de mesure rationnelle. Ainsi, les objets techniques, les instruments sont des principes rationnels matérialisés qui permettent de rendre compte du réel. Le phénomène scientifique ne peut alors qu’être marqué par la théorie. Il en résulte que tout objet scientifique ne peut être immédiat et premier mais qu’il est toujours le résultat d’une construction et d’un artifice. L’objet scientifique n’est donc pas un objet naturel mais toujours une abstraction. Même là où l’on ne croit rencontrer que de la matière, à savoir dans la technique, on utilise des instruments issus d’une matérialisation de lois théoriques.

Ainsi donc, la matière ne travaille pas pour nous : réductible à l’étendue géométrique, privée de tout pouvoir, elle ne produit rien sans le travail. Le vrai matérialisme tient dans le principe d’inertie (sans l’intervention d’une force extérieure, tout corps demeure dans l’état de repos). Les mythes, les expressions courantes valident l’illusion d’une bonne nature qui prendrait soin de nous et nous laisserait libres de choisir et de cueillir ce qu’elle offre. « Les fruits de la terre sont à tous dit-on. Mais y’a-t-il des fruits de la terre ? Les jardins sont bien trompeurs. Il n’y a que des fruits du travail. » (Alain) A ne voir que notre confort, nous imaginons des sources d’énergie travaillant pour nous. « On dit que l’électricité est une fée. Je n’ai qu’à tourner un bouton pour avoir lumière, chaleur et même froid […] mais qu’est-ce que l’électricité elle-même, nous n’en savons rien ». Nous ne voyons même pas les milliers d’hommes qui construisent les machines, creusent la terre pour en tirer le fer et le charbon. Nous nous contentons de profiter de ce que nous avons sans nous interroger sur le travail matériel qui a été effectué derrière.

« A vrai dire, nous n’arrivons jamais tout à fait à savoir qu’il n’y a pas de puissance occulte des choses, et que tout s’y ramène à une circulation de travaux… » (Les Dieux, Nouveaux Miracles). Cependant, si on part de la définition que ce qui est matériel est réel et perceptible au toucher, on peut dire que les instruments qui nous entourent sont matériels. Mais certains éléments de notre monde nous semblent encore immatériels, comme nos pensées ou Dieu, lui même. Les scientifiques n’introduisent pas de concepts tel que Dieu ou l’âme dans les théories scientifiques, mais ce n’est pas tant parce qu’ils sont immatériels que parce qu’ils sont trop mal définis pour qu’ils sachent même de quoi ils parlent.

En effet, l’esprit fait partie intégrante de notre corps en théorie. Il occupe un espace dans l’univers, pourtant personne ne peut affirmer qu’il existe car personne ne l’a jamais touché, ou vu. On peut juste supposer qu’on a un esprit puisqu’on pense mais on ne peut le définir comme matériel.

Mais d’un autre côté, on pourrait dire que celui-ci est matériel à travers le langage, les mots… Il est vrai qu’il faut parler pour penser et penser c’est parler. La parole aide à formuler sa pensée, puisque c’est par la parole que la pensée existe. Chacun sait qu’en cherchant mes mots, je cherche ce que je pense. Et lorsque je trouve une formule, ma pensée peut se préciser, et devenir ainsi matériel. Le fait de pouvoir dire ou écrire ce que je pense prouve que j’ai un esprit en faisant appel à l’ouïe ou la vue d’autrui. L’esprit existe donc à travers la parole mais aussi à travers ses créations, puisque avant de créer un objet matériel on y pense. L’idée naît de notre esprit et donc de ce qu’on pense.

Cependant, d’autres questions restent incomplètes comme celle de Dieu. On ne sait pas s’il existe vraiment et personne ne l’a jamais vu physiquement, donc on pourrait le définir comme immatériel. La religion préfère laisser cette question sans réponse claire et s’appuyer sur la foi dans les récits de leurs ancêtres. Il avance, en unique réponse, qu’il existe des mystères inexplicables qui doivent s’effacer devant la foi ou devant la parole du clergé. Les scientifiques, quant à eux, poussent de plus en plus loin les limites de l’inexplicables et refusent d’admettre l’existence d’une divinité quelconque. De nombreux autres phénomènes restent inexpliqués comme l’au-delà ou le cosmos, et on ne peut donc les définir que comme immatériels, étant donné qu’ils sont inconnus de l’homme.

Par ce fait, on peut en déduire que tout est matériel mais aussi que tout est immatériel. Effectivement, tout ce qu’on connaît comme les instruments, le corps et même l’esprit peuvent être définit comme matériel. Cependant, tout ce qu’on ne connaît pas et dont l’existence ne nous est pas prouvée ne peut être définit que comme des croyances. Cela nous ramène à la religion, qui est la foi en un être supérieur. Ce qui voudrait dire que la religion elle-même est immatériel. Elle croit en une force supérieure mais elle ne peut prouver l’existence de cette force. Tout n’est donc pas matériel, puisque le tout de ce monde est dirigé par deux piliers de la société qui s’opposent: la religion, qui a foi en des choses immatériels et la science qui elle tente de prouver que tout est matériel, mais qui n’a pas encore réussi.

Par conséquent, le problème de définir ce qui est matériel aboutit à définir notre univers si vaste et si mal connu de l’homme. On ne connaît qu’une part de ce qui fait l’univers, bien que les scientifiques tentent de dépasser ces connaissances. Je considère de matériel tout ce que je peux voir ou toucher, tout ce qui m’est accessible. Mais je ne peux définir de matériel ce que je ne connais pas donc ce que je n’ai jamais vu ou touché. D’une part, ce que je suis est matériel, ce que je produis est matériel mais d’autre part ce que je ne peux prouver je le considère comme immatériel. Le problème est de savoir faire la part des choses et donc de ne pas mélanger ce qu’on croit (la religion) et ce qu’on peut prouver (la science). Pour moi tout n’est pas matériel du moment où on ne connaît pas entièrement ce tout, que les scientifiques s’efforcent de définir. Cependant, quels sont les principaux obstacles à la connaissance scientifique ?

Merci à Manuella pour son corrigé, élève de Terminale L

14/20