I. Qu’est-ce que l’homme ?
II. Ai-je la capacité, les moyens de dire qui je suis ?
III. Puis-je savoir qui je suis ?
Introduction
Les termes du sujet sont définis, pour le problématiser, comme cela : le « je », du latin ego, affirme et présuppose en même temps l’unité de la pensée et l’identité de la personne. Le je qui pense est par la même un sujet ayant conscience d’exister et qui s’affirme comme une personne autonome. Les termes « Qui suis-je » posent une question existentielle, que tout le monde se pose. Le verbe dire évoque la notion de langage. D’ailleurs, selon Paul Ricœur, l’auto-désignation du « je » comme une personne autonome comporte trois composantes, dont la linguistique : le sujet linguistique se désigne comme auteur de ses énonciations. La réponse au sujet, Puis-je dire qui je suis ? , s’effectuera en deux parties, répondant à ces deux questions : qu’est-ce que l’homme ? , car si je ne sais pas qui je suis, je ne sais pas si je peux dire qui je suis ; ai-je la capacité de dire qui je suis ? , et enfin puis-je savoir qui je suis ? , car si j’ai les moyens de dire qui je suis, si je ne sais pas qui je suis, je ne peux le dire.
La réponse à la question Qu’est-ce que l’homme se
fera grâce à deux philosophes, Pascal et Freud, qui n’est
pas vraiment philosophe mais docteur en psychanalyse.
Pour Pascal, l’humain est un être qui se sait faible et mortel,
c’est à dire misérable. C’est grâce au fait
que l’humain se sait misérable que celui ci est grand. Sa misère
contribue donc a faire sa grandeur ou plus exactement la pensée de sa
misère fait la grandeur de l’humain. L’humain est donc un
être de pensée.
Pour Pascal, l’humain est un être divisé et contradictoire.
En effet les Pensées ont été écrites afin de convertir
les athées à la religion chrétienne. Pascal met ainsi l’accent
sur les divisions qui déchirent l’être de l’homme et
entend persuader le lecteur que la foi est l’unique remède, le
seul capable de combattre et lever ces contradictions. La guerre qui se livre
entre les sens et la raison interdit en effet à l’homme de se consacrer
exclusivement à un plaisir immédiat et facile, mais l’empêche
tout autant de renoncer à ce plaisir et d’accéder à
la vérité. « Ni ange, ni bête », l’homme
est soumis à des tendances opposées qui font naître en lui
une insatisfaction fondamentale. Les différentes conceptions de l’homme
proposées par la philosophie reproduisent, selon Pascal, ce paradoxe
inhérent à la nature humaine. Le stoïcisme prétend
que le sage est capable de posséder la vérité et d’égaler
Dieu alors que les pyrrhoniens (disciples de Pyrrhon, philosophe sceptique de
l’Antiquité) et Montaigne déclarent qu’il est impossible
d’atteindre une quelconque certitude. Ces deux écoles philosophiques
conduisent ainsi à deux excès : l’orgueil dans un cas, le
désespoir et la paresse dans l’autre. Selon Pascal, pour rendre
la raison de l’homme, il convient de ne pas verser dans ces deux excès
mais bien plutôt de prendre acte du partage constitutif de la nature humaine.
Il faut ainsi considérer ensemble la misère et la grandeur de
l’humain.
Pour Pascal, l’humain est aussi et surtout un être dont la pensée
est détournée ou stoppée par des obstacles inhérents
à l’humain. En effet la pensée, laissée à
elle-même, aurait tôt fait de découvrir l’inanité
et la vanité de l’existence. L’amour propre, c’est
à dire l’amour de soi pour Pascal, concentre toute l’attention
de l’humain sur un seul objet, lui-même, et lui évite de
songer au néant qui menace toute vie et au temps qui la ruine peu à
peu. L’imagination qui attribue aux choses et aux personnes des qualités
inexistantes nous permet de meubler, de combler, de façon fictive, le
vide qui hante notre condition. Le divertissement, enfin, nous éloigne
également de la pensée de la mort. Se divertir signifie en effet,
au sens étymologique, « se détourner de quelque chose ».
Qu’il s’agisse d’un jeu ou d’une simple besogne, l’espoir
de vaincre ou de réussir accapare tout notre esprit et notre volonté.
Le repos, à l’inverse, est insupportable puisqu’il laisse
libre cours aux tourments provoqués par la réflexion. Lorsque
l’humain cesse d’être en mouvement, cesse de se divertir,
il pense à sa condition misérable d’être faible et
mortel. Le divertissement s’oppose au bien penser, c’est à
dire penser à soi. L’homme est en lui-même un être
de la misère.
Pour Freud, l’homme est un être du conscient et de l’inconscient.
Pourtant l’homme n’a pas conscience de sa part la plus importante,
c’est à dire l’inconscient. Il pense qu’il est «
maître dans sa propre maison », l’âme, alors qu’il
n’est le maître de rien, même pas de lui-même. L’homme
a déjà subit trois humiliations, qui lui ont montré qu’il
n’est le maître de rien : la première humiliation est l’humiliation
cosmologique. En effet, l’homme se croyait le maître de l’univers,
par la position convaincue de la Terre au centre de notre système solaire.
Cette affirmation prend fin avec Copernic, bien qu’elle fut faite avant
lui par Aristarque de Samos. A la suite de cette découverte, l’amour
propre humain subit sa première humiliation, l’humiliation cosmologique
; la seconde humiliation est l’humiliation biologique. En effet, l’homme
se croyait au-dessus des animaux, leur refusant la raison, s’octroyant
une âme immortelle et se targuant d’une descendance divine, lui
permettant de déchirer tout lien de solidarité avec le monde animal.
Mais les découvertes de Charles Darwin ont montré que l’homme
n’est rien d’autre, rien de mieux qu’un animal, apparenté
à certain d’entre eux. C’est la là seconde humiliation
du genre humain, l’humiliation biologique ; enfin, l’homme subit
sa troisième humiliation avec Freud. Freud montre que nous ne contrôlons
pas totalement notre âme : en effet il n’y a pas que le conscient
en nous, il y a pour majeure partie l’inconscient. Il existe trois grandes
instances de la Psyché (unité de la conscience et de l’inconscient)
: le ça, le surmoi et le moi. Le ça est le pole pulsionnel de
la personnalité. Les pulsions sont inconscientes et de deux sortes :
les pulsions, héréditaires et innées, d’auto conservations
(exemple : la faim, car quand on a vraiment faim, on souffre), et les pulsions
refoulées qui relèvent de l’acquis, les pulsions sexuelles.
Les pulsions d’auto conservation s’effacent derrière les
pulsions sexuelles. Pour Freud, nous sommes êtres de désir. En
effet, par exemple, lorsque l’on mange, on désire manger : on n’a
pas besoin de manger, on désire manger. Les désirs l’emportent
sur la volonté et sont pour la plupart inconscients.
Donc l’humain serait un être de l’inconscient et du divertissement.
Mais ne peut-on pas dire que le divertissement est inconscient ? En effet, l’humain
pense désirer, par exemple à la chasse, la prise mais en réalité
il désire le mouvement pour atteindre cette prise, qui le détourne
de penser a sa condition d’être misérable. Donc l’humain
serait surtout un être de l’inconscient, car l’inconscient
domine même la conscience. La réponse à la question Qui
suis-je est donc la suivante : je suis un être de l’inconscient,
poussé par des pulsions. Je peux donc dire, en théorie, grâce
à Pascal et Freud, qui je suis.
Maintenant que nous avons vu, dans cette première partie, qui était
l’humain, c’est à dire un être de l’inconscient,
nous allons voir, dans cette seconde partie, s’il est possible de dire,
par le langage oral, qui je suis.
Le langage est le propre de l’homme. Par conséquent, seul un humain
peut dire qui il est. Il appartient au sensible. Depuis le début du XXe
siècle, les sciences humaines, la linguistique en particulier, ont été
amenées à dissocier différents sens du mot langage, que
l’usage confond le plus souvent. Au sens large, le langage signifie tout
système ou ensemble de signes permettant l’expression ou la communication.
En ce sens on parle couramment du « langage » informatique, ensemble
de signes utilisés pour formuler des instructions, ou du langage animal.
Mais le langage au sens strict est une institution universelle et spécifique
de l’humanité, qui comporte des caractéristiques propres
qu’il paraît indispensable de dégager. On opposera pour cela
le langage, en tant que faculté ou aptitude à constituer un système
de signes, à la langue qui est l’instrument de communication propre
à une communauté humaine : une langue est un ensemble institué,
et stable, de symboles verbaux ou écrits propres à un corps social,
et susceptible d’être bien ou mal traduit dans une autre langue.
Enfin le langage ne doit pas non plus être confondu avec la parole, qui
est l’acte individuel par lequel s’exerce la fonction linguistique.
Soutenir que le langage est le propre de l’homme n’est donc pas,
comme on le pense parfois, faire injure au monde animal. C’est seulement
faire valoir que parmi tous les systèmes de communication, celui des
êtres humains comporte un certain nombres de caractéristiques humaines.
Cette thèse est formulée par Descartes. Pour lui, le langage témoigne
d’une faculté de penser et de raisonner propre à l’homme
; et si les animaux ne parlent pas, c’est faute de pas penser et non faute
de moyens de communications comme le prouvent le fait qu’ils sachent fort
bien exprimer leurs « passions ». Sans contredire Descartes sur
ce point, on insistera plus aujourd’hui sur le caractère historique
et social du langage qui ne peut se concevoir sans un apprentissage progressif,
ni hors de tout contexte culturel. Psychologues et linguistes ont en outre établi
l’existence, chez le jeune enfant, d’activités langagières
et cognitives qui précédent la production d’un langage articulé
et conceptuel, c’est à dire un langage au sens cartésien
du terme. Ces activités pré linguistiques, comme par exemple la
combinaison de symboles ou la faculté d’attribuer à un autre
une croyance que l’on ne possède pas, opposent le tout jeune enfant
au singe supérieur, incapable de ce type de performances décisives
pour le développement ultérieur de l’intelligence.
Les recherches actuelles sur le langage s’attachent d’ailleurs à
dégager les traits spécifiques des systèmes linguistiques
humains. Le langage n’est pas seulement un système de signe servant
à communiquer des pensées ou a représenter le monde. Il
est également, et ceci au plus haut degré, une activité
sociale. Tout un courant philosophique contemporain a été amené
à mettre en valeur cette dimension « pragmatique » du langage.
Le philosophe Ludwig Wittgenstein, tout d’abord, introduisit la notion
de « jeu de langage » pour révéler l’irréductible
diversité des fonctions du langage : chaque type de langage renvoie à
une pratique collective (raconter une histoire, commander…) comportant
ses propres règles et sa grammaire spécifique. Ces « jeux
de langage », s’ils ne font pas l’objet de conventions explicites,
sont pourtant, par nature, des faits sociaux. Dès lors, le langage ne
peut plus être conçu comme un phénomène privé.
De son coté, le philosophe John Langshaw Austin, dans Quand dire,
c’est faire, montre que nos énoncés dans leur ensemble
sont des actes et non pas seulement des propositions descriptives, ou des affirmations
susceptibles d’être vraies ou fausses. Les énoncés
performatifs (de l’anglais perform, « accomplir une action »)
constituent en eux-mêmes des actes et produisent des effets (comme par
exemple : « Je lègue ma fortune à mon fils »). Or
ces actes de langages ont des conditions d’accomplissements inaperçues
qui peuvent pervertir nos discours ou mettre en échec les finalités
de nos actions. D’où l’intérêt manifeste de
telles approches « pragmatiques » du langage.
Si le langage témoigne d’une faculté à raisonner
et à penser propre à l’homme, l’homme peut s’exprimer
et donc faire-part de ses impressions, de ses émotions… Il est
donc possible pour l’homme de dire qui il est, sauf s’il ne sait
pas lui-même qui il est. Donc peut-on savoir qui on est ?
En effet, il est possible à l’homme de dire qui il est, car il
est doué de langage. Mais s’il ne sait pas lui-même qui il
est, il ne peut le dire à autrui. Donc, peut-on savoir qui on est ? La
recherche de la connaissance de soi à une condition : le sentiment de
notre être. Descartes, dans son Discours
de la méthode, prouve que l’affirmation « Je pense,
donc je suis » (c’est a dire le cogito, premier principe de la philosophie)
est « si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes
suppositions des sceptiques ne sont pas capables de l’ébranler
». En effet, il est possible de douter de tout, même de l’existence
de notre corps et du monde alentour, sauf de l’existence de notre pensée,
de notre « je ». A partir du moment ou nous rendons compte de l’irréfutabilité
de l’existence de notre pensée indépendante, nous prenons
conscience de notre « je ». Il nous est alors permis d’entamer
la recherche de notre moi, c’est a dire de la nature de notre propre identité.
Certains philosophes pensent que nous avons à tout moment « la
conscience intime de notre moi » (Hume), que nous avons un sentiment invincible
de la connaissance de nous-même que nous ne mettons que rarement en doute.
Cependant, avoir un sentiment immédiat de notre être, ce n’est
pas avoir une connaissance pleine et entière de soi. Il arrive que nous
nous surprenions nous-même ou que nous passions par de graves crises de
remise en question. Notre comportement, notre façon de penser varient
suivant nos expériences. La connaissance de soi implique une recherche,
et cette recherche doit disposer de moyens adaptés à son but.
Nous sommes a priori les mieux placés pour nous connaître ; par
l’introspection, nous pouvons accéder à une certaine connaissance
de nos sentiments, de nos qualités et de nos défauts, de nos motivations
et de nos convictions. Mais accède-t-on à un niveau particulier
de la réalité mentale par l’introspection, ou cette méthode
tend-elle à susciter l’objet même auquel elle prétend
accéder ? Le paradoxe de l’introspection est normalisée
par le langage. Il n’en reste pas moins que l’idée de «
savoir » ce qu’on est soi-même soulève des difficultés
de principe : en quel sens emploie-t-on savoir, s’il s’agit d’intériorité.
Il paraît donc difficile par ce moyen d’avoir une connaissance objective
de nous-mêmes : la connaissance que nous pouvons avoir de nous par l’introspection
passe à travers le filtre de l’opinion que nous nous faisons de
nous. Ainsi on est tentés d’exagérer, d’amoindrir
ou de taire certains de nos défauts.
Comme je suis à la fois le sujet et l’objet, le « je »
qui pense le moi en est l’émanation. L’introspection ne peut,
seule, mener à la connaissance de soi. De plus, elle est presque impuissante
à juger nos actions sans prise de recul : le temps et l’expérience
qu’il délivre permet parfois de porter un regard réellement
critique sur le « soi » que l’on était auparavant (mais
elle ne peut permettre d’éviter les ennuis ayant résulté
d’une mauvaise action passée de notre part, elle permet tout au
plus de prendre conscience de nos erreurs passées. Il apparaît
donc clair que l’introspection ne peut suffire au philosophe recherchant
son identité réelle. Il lui est indispensable de prendre en compte
les réactions d’autrui devant les manifestations dans le monde
extérieur de sa pensée, de ses sentiments. Si possible, il devra
faire directement appel au jugement d’autrui. Il lui sera ainsi permis
de prendre conscience de ce qu’il se cachait, de ça à quoi
il n’avait pas pensé. Il aura l’impression que la vérité
lui « sauta aux yeux », et il aura fait un grand pas dans la connaissance
qu’il a de sa propre intériorité. Cependant ce second moyen
d’accéder à la connaissance de soi n’est pas parfait
; en effet, la vision qu’autrui nous donne de nous-mêmes, si elle
a le mérite d’être différente de la notre, n’est
pas purement objective : son jugement peut être déformé
par l’amitié ou l’antipathie qu’il éprouve pour
nous. En outre, sa critique est nécessairement incomplète, puisqu’elle
ne peut s’appliquer que sur les traits de notre caractère que nous
laissons transparaître, consciemment ou non, au-dehors. Autrui ne peut
voir que mon masque social, le « persona » des latins. De plus,
autrui n’a pas forcément connaissance de notre expérience
personnelle, qui influence considérablement notre psychisme. De sa place,
il ne voit qu’une facette, qu’une manifestation de notre personnalité,
certainement influencée par sa présence. Le regard de l’observateur
modifie déjà l’objet d’ observation : alors quand
cet objet est un sujet capable de se modifier lui-même, cela nous entraîne
dans un jeu de miroirs peu propice à l’observation. En effet nous
sommes des êtres changeants : notre manière d’être,
notre rapport aux choses, nos convictions, peuvent varier infiniment d’un
moment de notre vie à un autre. Là encore, notre expérience
personnelle joue un grand rôle sur ce que nous sommes, en influençant
l’évolution de nos pensées conscientes et inconscientes.
Deux amis d’enfance se retrouvant après plusieurs années
risquent de ne plus se reconnaître, voire de ne plus prendre plaisir en
compagnie de l’autre, tandis que si leurs voies ne s’étaient
pas séparées, leur amitié serait peut être restée
intacte.
Si toutes connaissance définitive de notre « moi » est a
jamais hors de portée du champ de nos investigations, il est absolument
nécessaire de parvenir à une meilleure connaissance de soi-même.
Cette connaissance permettrait de faire en nous-mêmes la distinction entre
ce qui procède de l’habitude, de l’éducation, des
réflexes, du conditionnement social et ce qui procède de notre
volonté consciente et indépendante. Se demander ce que l’on
peut savoir de soi est un enjeu considérable. Notre relation à
nous-mêmes conditionne une claire perception non seulement de nous-mêmes,
mais aussi du monde et des autres, des relations que j’entretiens avec
ce monde. « Je » est le mieux placé pour parler de moi, même
si cette place est parfois inconfortable ! Tous les moyens semblent bons pour
se connaître, c’est a dire choisir sa vie. La marche vers la connaissance
de soi est donc, au fond, une marche vers la liberté, une démarche
philosophique. Il est donc impossible de savoir qui l’on est car on est
toujours en changement, en mouvement. Le peu que l’on sait de nous-mêmes
est impersonnelle. En effet, Pascal et Freud explique qui l’on est, mais
en général. Donc, si l’on est incapable de savoir précisément
qui l’on est vraiment, on est tout aussi incapable de dire qui l’on
est.